Le Power-to-Gas (PtG) [1] représente une solution d’avenir pour transformer l’électricité issue d’énergies renouvelables, tels que l’hydraulique, l’éolien ou le solaire, en hydrogène ou en méthane de synthèse. En effet, le système énergétique Suisse sera de plus en plus confronté à des excédents d’électricité en été, avec le développement du photovoltaïque, et à des besoins accrus en hiver, avec l’arrêt progressif des centrales nucléaires. En outre, un système de production basé sur une part importante d’énergie intermittente impliquera également la planification de nouvelles centrales de pointe pour assurer le besoin en flexibilité pendant les périodes sans soleil ou sans vent.
Dans ce contexte, les solutions PtG représentent une option intéressante pour stocker la surproduction estivale et la déplacer en hiver quand les besoins en énergie sont importants. Le PtG est en fait une conversion électrochimique de l’électricité excédentaire, car l’hydrogène (produite à partir d’un électrolyseur) et le CO₂ peuvent être transformés en molécules gazeuses (méthane de synthèse par exemple) ou en liquides.
La mise en œuvre à large échelle de cette technologie exigera la construction d’installations de stockage de grande capacité. L’infrastructure gazière apportera ainsi un complément utile aux installations de pompage-turbinage. Un stockage en cavités rocheuses est d’ailleurs à l’étude dans le Haut-Valais pour répondre à ces besoins de stockage saisonnier.
La technologie PtG s’insère parfaitement dans les objectifs de la transition énergétique:
Gaznat s’engage depuis plusieurs années dans la recherche et le développement de ces nouvelles technologies, et consacre des moyens importants pour tester deux innovations clés pour le futur:
Grâce à une fructueuse collaboration avec l’EPFL, des avancées majeures ont été réalisées dans ces domaines et des prototypes à l’échelle industrielle sont actuellement testés dans le laboratoire d’innovation (Innovation Lab) à Aigle (projet GreenGas).
Le projet GreenGas, installé sur le site du centre de conduite et de surveillance de Gaznat SA à Aigle, a pour ambition de produire du gaz neutre en CO₂ (méthane de synthèse) à partir d’énergies renouvelables, et au moyen de nouvelles technologies innovantes, afin de pouvoir l’injecter dans le réseau gazier, via les conduites de distribution ou de transport de gaz.
C’est en 2018 que le projet a été initié, grâce à différentes études qui ont permis de déterminer le potentiel de production d’énergie renouvelable, ainsi que les besoins en énergie thermique et électrique du site. Ce n’est qu’en 2020 que le projet global a été approuvé par le Conseil d’administration de Gaznat SA. Après des études détaillées, le chantier a concrètement commencé en 2022, avec la construction de la structure métallique et la pose des containers, puis s’en est suivie la mise en place du stockage de CO₂. Les différentes installations ont ensuite été raccordées et mises en service au fur et à mesure de leur livraison. L’inauguration de l’Innovation Lab a eu lieu fin août 2023 à Aigle (VD, Suisse).
La figure 1 présente le schéma de principe du projet GreenGas avec les différentes composantes de son Innovation Lab qui seront décrits par la suite:
A partir de l’énergie électrique produite par les panneaux photovoltaïques (5), un électrolyseur (6) transforme celle-ci en hydrogène. Cet hydrogène, combiné à une source de CO₂, est injecté dans un réacteur catalytique de méthanation (7) novateur, à haut taux de conversion. Il en ressort du méthane de synthèse, neutre en CO₂, qui est injecté dans le réseau de gaz pour une utilisation finale par des clients industriels/privés.
Pour couvrir les besoins en énergie du site, deux installations de couplage chaleur-force (2), alimentées au gaz, assurent la production de l’énergie électrique et thermique. Un micro-réseau de chauffage garantit la distribution dans les différents bâtiments du site.
Par la mise en place de membranes en graphène à nanopores novatrices (3), les émissions de CO₂ produites par les deux couplages chaleur-force sont ainsi captées et stockées (4) pour une utilisation ultérieure.
A des fins d’optimisation, l’énergie thermique dégagée à la fois par l’électrolyseur et le réacteur de méthanation est récupérée et injectée dans le micro-réseau de chauffage.
Dans le but d’une exploitation optimale des installations, production et consommation n’étant pas systématiquement en phase, un stockage d’hydrogène à base d’hydrures métalliques, a été mis en place.
Toutes les installations du projet GreenGas sont pilotées et gérées par un système de supervision (1), développé en interne chez Gaznat.
En chiffres, les performances de l’installation GreenGas à Aigle et de ses différentes composantes peuvent être résumées comme suit:
L’hydrogène vert nécessaire à la réaction de méthanation est produit à partir d’eau et d’électricité photovoltaïque, dans un électrolyseur alcalin de la société danoise Green Hydrogen Systems. Le système a une puissance électrique de 450 kW et peut produire jusqu’à 8,1 kg de H₂/h à une pression d’environ 30 bars. Le système est intégré dans un conteneur de type «marine», qui comprend l’électronique de puissance, la purification de l’eau et le post-traitement de l’hydrogène.
L’intégration du processus de méthanation avec d’autres composants du système GreenGas, à savoir l’électrolyseur et l’unité de captage du CO₂, constitue un autre défi majeur, notamment pour le processus de méthanation. La variabilité inhérente de l’énergie solaire basée sur les panneaux photovoltaïques, et l’efficacité du captage du CO₂ entraînent une fluctuation des apports de H₂ et de CO₂ dans le réacteur de méthanation. En raison de cette variabilité, le réacteur de méthanation a besoin d’une grande flexibilité opérationnelle pour maintenir son efficacité et sa stabilité.
Par conséquent, un système de stockage de H₂ a été mis en place, dans le but de permettre un fonctionnement en continu de la production de gaz de synthèse sur une période de 24 heures sans production de H₂. Cette capacité de stockage permet ainsi au réacteur de maintenir une production constante de méthane de synthèse, même lorsque l’énergie photovoltaïque n’est pas disponible, par exemple pendant la nuit ou pendant les périodes de faible exposition solaire.
Ce système de stockage de H₂ utilise un compresseur à hydrure métallique (fig. 2). Grâce à sa conception compacte et à sa pression variable, il est très efficace et peu encombrant, offrant ainsi une capacité de stockage supérieure, et une intégration transparente dans les systèmes d’énergie renouvelable. Le compresseur à hydrure métallique offre un avantage significatif en stockant efficacement 30 kg de H₂ dans un conteneur d’un volume d’environ 1 m³ seulement. En outre, il fonctionne avec une pression de sortie comprise entre 1 et 30 bars, ce qui permet d’alimenter directement le réacteur de méthanation pendant les périodes où l’électrolyseur n’est pas opérationnel, par exemple en raison d’un manque d’énergie photovoltaïque. Ces innovations sont essentielles pour l’intégration réussie des procédés de méthanation dans le cadre du projet GreenGas. La flexibilité et la résilience du système sont ainsi primordiales pour parvenir à une production de gaz renouvelable stable et à grande échelle.
La synthèse du méthane est l’une des rares réactions sélectives dans la réduction du CO₂ en hydrocarbures. Le réacteur installé à Aigle, représente la troisième génération. Pour les besoins de tests en laboratoire, le premier était d'une capacité de 0,1 kg CH₄/h. Le second, en service dans le poste de détente et de comptage de Sion, était d'une puissance de 0,7 kg CH₄/ h. Le réacteur intégré dans le projet GreenGas sur le site de Gaznat à Aigle (fig. 3), vise une capacité de production de 16 kg CH₄/h. La conception complète et le dimensionnement du réacteur de méthanation ont été réalisés par GRZ Technologies, en collaboration avec Gaznat et l’EPFL à Sion.
Ce nouveau type de réacteur à lit fixe bénéficie de gradients de température élevés dans le lit de réaction, ce qui permet une conversion presque complète du CO₂ en méthane en une seule étape. Il en résulte une installation de méthanation beaucoup plus compacte, avec la possibilité d’introduire des mélanges de méthane et de CO₂ comme dans le biogaz, et sans qu’il soit nécessaire de séparer l’hydrogène et le CO₂ dans le flux de gaz produit (fig. 4).
Le projet en cours avait pour objectif de développer et optimiser la méthode de synthèse du catalyseur, et à certifier le système conformément aux normes pertinentes, afin de permettre sa commercialisation. Le tableau 1 présente les spécifications techniques du réacteur de méthanation.
Caractéristiques techniques du réacteur | |
Capacité maximale de production de méthane (CH4) | 16,2kg/hCH4 |
Capacité minimale de production de méthane (CH4) | 3,2kg/hCH4 |
Plage de fonctionnement | 20–100% |
Puissance (Eq. CH4 HHV) | 45–225kW |
H2 débit d'alimentation (H2) | 1,6–8,1kg/hH2 |
CO2 débit d'alimentation (CO2) | 8,9–44,4kg/hCO2 |
Conditions de fonctionnement | |
Pression de sortie | 10bars |
Température de fonctionnement moyenne | 200–260°C |
Certification et conformité | |
Environnement explosif | Directive ATEX 2014/34/EU |
Directive sur la pression | Directive PED 2014/68/EU |
Dispositifs à basse tension | Directive LVD 2014/35/EU |
Pour faire évoluer le processus de méthanation catalytique de l’échelle du laboratoire à l’échelle industrielle, il a fallu relever plusieurs défis techniques, notamment en ce qui concerne la conception du réacteur, la stabilité du catalyseur, la gestion thermique et l’intégration du système. Des progrès continus dans l’ingénierie des réacteurs, le développement des catalyseurs, et l’intégration des processus, ont été nécessaires pour relever les défis associés à la méthanation à grande échelle et pour assurer sa viabilité en tant que technologie clé dans la transition énergétique [2].
Les principaux défis de l’extension du processus de méthanation catalytique résident en la conception d’un réacteur capable de traiter efficacement des volumes plus importants, avec une quantité significative de chaleur provenant de la réaction, tout en maintenant un rendement élevé de conversion du CO₂, et une sélectivité du méthane. Les réacteurs de laboratoire fonctionnent généralement dans des conditions bien contrôlées avec de petits volumes, mais ces conditions sont difficiles à reproduire à plus grande échelle en raison d’effets d’échelle non linéaires tels que les limitations du transfert de chaleur et de masse.
La réaction de méthanation est exothermique et libère des quantités importantes de chaleur, qui doivent être gérées efficacement pour éviter la surchauffe du réacteur et la désactivation du catalyseur [3]. Dans les systèmes à grande échelle, l’évacuation de cette chaleur devient plus difficile en raison de l’augmentation du volume du réacteur, et de la complexité d’assurer une distribution adéquate de la température dans l’ensemble du lit du réacteur. Par exemple, alors que les réacteurs de laboratoire peuvent s’appuyer sur de simples méthodes d’échange de chaleur pour gérer la nature exothermique de la réaction de méthanation, les réacteurs industriels nécessitent des systèmes de refroidissement sophistiqués pour éviter les points chauds susceptibles de dégrader les performances du catalyseur, et d’entraîner des vitesses de réaction irrégulières. Le passage des réacteurs à lit fixe couramment utilisés en laboratoire, à des configurations plus complexes telles que les lits fluidisés ou les réacteurs multitubulaires, est souvent nécessaire pour maintenir le contrôle thermique et garantir des conditions de réaction uniformes à l’échelle.
A la connaissance des auteurs, le taux de conversion de plus de 99% en un seul passage du gaz n’a pas été atteint à ce jour par les réacteurs concurrents. Bien qu’il soit difficile de trouver des informations techniques précises sur les fournisseurs de réacteurs de méthanation, l’on suppose que ces réacteurs sont principalement basés sur un catalyseur au nickel, permettant une conversion d’environ 60 à 70% par passage, ce qui nécessite une approche en plusieurs étapes pour obtenir un méthane de synthèse d’une grande pureté [4]. Le réacteur de méthanation développé dans ce cadre est un réacteur à lit fixe à passage unique qui vise une conversion du CO₂ supérieure à 99,5%. Cette conversion élevée est attribuée au contrôle de la température en plusieurs étapes et à un catalyseur ayant une réactivité et une stabilité à haute température, ce qui entraîne des gradients de température importants dans le réacteur à passage unique. Les larges gradients de température permettent au CO₂ qui n’a pas réagi lors de la première étape du point chaud d’être converti en méthane avec une conversion de 99,5% à des températures plus basses qui ne se maintiennent que dans la partie inférieure du réacteur. Avec une telle conversion de CO₂, le gaz en sortie du réacteur de méthanation peut ainsi être injecté directement dans un réseau de gaz, après élimination de la vapeur d’eau.
La réussite de la mise à l’échelle du processus de méthanation dépend essentiellement de la mise au point de catalyseurs qui présentent à la fois une activité élevée et une stabilité à long terme dans des plages de température étendues. Comme indiqué ci-dessus, la méthanation est un processus exothermique, ce qui signifie que de la chaleur est générée pendant la réaction, pouvant ainsi conduire à la formation de points chauds dans le réacteur. Ces points chauds peuvent avoir un effet négatif sur le processus en réduisant la conversion du CO₂ à l’équilibre thermique, et en accélérant la désactivation du catalyseur en raison des températures élevées. Ce problème représente un défi important pour le maintien d’une performance efficace et stable du réacteur dans le temps [5].
Dans les réacteurs de méthanation industriels, les catalyseurs à base de nickel sont largement utilisés en raison de leur activité catalytique comparable et de leur coût relativement faible. Cependant, ces derniers souffrent de plusieurs limitations, en particulier dans les conditions de haute température typiques des réacteurs à grande échelle. À des températures élevées, les catalyseurs à base de nickel sont sujets au frittage, un processus au cours duquel les particules métalliques s’agglomèrent, réduisant la surface active et entraînant une baisse de l’activité catalytique. En outre, le dépôt de carbone (cokéfaction) est un autre problème identifié, car l’accumulation de carbone à la surface du catalyseur peut bloquer les parties actives et réduire encore l’efficacité du catalyseur [6, 7].
Ces inconvénients restreignent non seulement la plage de température opérationnelle des catalyseurs à base de nickel, mais entraînent également une durée de vie du catalyseur plus courte que celle des catalyseurs à base de métaux nobles. La nécessité fréquente de remplacer le catalyseur en raison de sa désactivation augmente les coûts d’exploitation des procédés de méthanation, ce qui rend l’utilisation de catalyseurs à base de nickel moins viable économiquement pour les opérations à long terme et à grande échelle. Par conséquent, si les catalyseurs à base de nickel offrent des avantages en termes de coûts initiaux, leurs limites en termes de stabilité thermique et de susceptibilité à la désactivation constituent des défis importants pour une utilisation à grande échelle.
De ce fait, le développement de catalyseurs alternatifs avec une stabilité thermique améliorée et une résistance à la désactivation, tels que les catalyseurs à base de métaux nobles, est essentiel pour améliorer la faisabilité opérationnelle et économique des processus de méthanation à grande échelle. Par conséquent, le catalyseur développé par l’EPFL est basé sur du ruthénium (Ru) déposé sur de l’oxyde d’aluminium (Al₂O₃). Alors que le ruthénium est un métal noble précieux, l’EPFL a utilisé des techniques innovantes pour minimiser la quantité de Ru utilisée sans compromettre la performance du catalyseur.
La principale innovation réside dans la réduction de la taille des particules de ruthénium à l’échelle nanométrique, soit environ 1 nm. Ce faisant, le catalyseur ne nécessite que 0,5% en poids de Ru, ce qui réduit considérablement la consommation globale de ce métal coûteux. Cette approche offre un avantage substantiel par rapport à la plupart des catalyseurs à base de Ru publiés et disponibles sur le marché, qui ont tendance à utiliser une teneur en Ru plus élevée.
Malgré la faible charge en Ru, le catalyseur de l’EPFL démontre non seulement une efficacité économique supérieure, mais aussi une résistance thermique remarquable, capable de supporter des températures aussi élevées que 800 °C sans dégradation. Un tel niveau de stabilité thermique est essentiel pour maintenir la performance du catalyseur dans les réacteurs à haute température, où la formation de points chauds peut entraîner le frittage et la désÂactivation du catalyseur.
Outre sa résistance thermique, le catalyseur a fait preuve d’une stabilité à long terme lors d’essais en laboratoire, laissant supposer qu’il pourrait être utilisé dans l’industrie. La durabilité et la constance du catalyseur sur de longues périodes de fonctionnement sont essentielles pour réduire les coûts d’exploitation et améliorer l’efficacité globale des processus de méthanation du CO₂.
Le catalyseur nouvellement développé a évolué avec succès, depuis la synthèse en laboratoire sur une base d’1 mg à la production à grande échelle sur une base de 200 kg. Ce catalyseur a été mis en place dans le réacteur de méthanation susmentionné. Les premiers tests du réacteur indiquent que la réaction peut être initiée à environ 200 °C avec le catalyseur en place, ce qui confirme son adéquation aux applications de méthanation à grande échelle.
Les enseignements tirés de la conception du réacteur, du développement du catalyseur et du contrôle de la flexibilité offrent des perspectives inestimables pour la commercialisation prochaine de la technologie. Ces enseignements serviront de base au développement d’un réacteur plus grand, dont la prochaine itération pourrait doubler ou tripler la taille (par exemple, de 500 kW à 1 MW). Des efforts et des ressources continus sont consacrés à la mise à l’échelle du réacteur tout en minimisant la consommation d’énergie et les coûts d’exploitation. Simultanément, des stratégies sont mises en œuvre pour récupérer l’importante quantité de chaleur générée lors de la réaction exothermique de méthanation, en vue d’une éventuelle réaffectation de cette chaleur à d’autres applications industrielles.
D’autre part, un aspect essentiel de la mise à l’échelle en vue de la viabilité commerciale consiste à améliorer la tolérance du catalyseur aux impuretés que l’on trouve couramment dans les matières premières, telles que le biogaz ou les gaz résiduels industriels. Ces sources, riches en CO₂, contiennent souvent des contaminants qui peuvent désactiver les catalyseurs et réduire leur efficacité. L’amélioration de la résistance du catalyseur à ces impuretés est cruciale pour garantir la stabilité à long terme et la faisabilité économique du réacteur de méthanation dans les applications industrielles. Cette approche holistique, qui combine la mise à l’échelle du réacteur, la récupération d’énergie et la gestion des impuretés, jouera un rôle essentiel dans l’avancement de la technologie de la méthanation vers la commercialisation. Celle-ci est prévue pour la fin de l’année 2024, avec le lancement d’une petite série qui sera fabriquée dès 2025.
La séparation par membrane est de plus en plus reconnue comme une solution viable pour la capture du carbone, en raison de son efficacité énergétique et de son adaptabilité à divers procédés industriels. En laissant passer sélectivement le CO₂ et en bloquant les autres gaz, les membranes offrent une alternative plus respectueuse de l’environnement, plus économe en énergie et plus rentable que les méthodes conventionnelles d’absorption chimique à base d’amines. La nécessité d’un haut rendement énergétique découle du fait que la technologie actuellement disponible sur le marché, repose sur l’absorption du CO₂ dans le solvant à base d’amines, dont le coût de la capture est très élevé. Cette technique nécessite de régénérer les amines liquides par traitement thermique [8], et par conséquent la consommation d’énergie et le coût de capture sont importants, respectivement 2–4 GJ/t CO₂ et 50–110 francs/t CO₂.
Les procédés de capture à base de membranes à haute performance reposent sur un besoin en énergie électrique nécessaire pour de la compression et de la détente, qui permet de créer un gradient de concentration à travers la membrane. La technologie actuelle de capture à base de membranes utilise des films polymères denses comme couche sélective [9, 10]. Les films polymères de pointe ont montré des performances prometteuses pour le CO₂/N₂. Cependant, il est possible d’améliorer considérablement les performances de séparation, en particulier la perméance au CO₂, en réduisant la surface nécessaire, pour faire baisser le coût d’investissement. Il est également possible d’améliorer la durée de vie opérationnelle des membranes en améliorant leur stabilité, grâce à la présence de contaminants acides dans les gaz de combustion. La couche sélective, réalisée à base de matériaux inorganiques nanoporeux, présente l’avantage intrinsèque d’une perméance élevée au CO₂, et d’une stabilité thermique et chimique améliorée.
La capacité à concevoir des membranes capables de séparer efficacement le CO₂ des gaz de combustion dans les centrales électriques, les installations industrielles et d’autres sources, en fait une technologie clé pour atteindre les objectifs de décarbonation. L’efficacité de la séparation par membrane dépend largement du matériau utilisé, qui détermine à la fois la perméabilité au gaz et la sélectivité. Les matériaux avancés qui présentent une perméance élevée au CO₂ (flux normalisé par la différence de pression transmembranaire), des sélectivités intéressantes CO₂/N₂ et CO₂/O₂ et une stabilité dans les gaz de combustion humides contenant du NOx et du SOx ont un potentiel élevé. Ces matériaux améliorent le transport sélectif du CO₂, tout en conservant la robustesse nécessaire aux applications industrielles, et en offrant une durabilité et des performances élevées.
Le graphène poreux est une classe émergente de membranes. En particulier, la couche qui sépare le CO₂ du N₂ dans le graphène poreux n’a qu’un atome d’épaisseur (fig. 5). Il en résulte une perméance élevée au CO₂, car la molécule ne doit traverser qu’un atome pour passer du côté amont au côté aval de la séparation. L’analyse technico-économique du captage postcombustion à partir d’émissions ponctuelles (par exemple, dans une centrale électrique au charbon) à l’aide de membranes en graphène à nanopores à haute performance, indique que les coûts énergétiques et de captage peuvent être ramenés à 1 GJ/t CO₂ et 30 francs/ CO₂, respectivement. Ceci est nettement inférieur au procédé à base d’amines [11]. Grâce à sa grande perméance, le processus basé sur la membrane de graphène à nanopores dispose d’une faible empreinte. Un tel procédé de capture est intéressant par exemple pour une application dans l’industrie du transport maritime, qui est responsable de 3% des émissions mondiales de CO₂ et qui devrait encore croître.
En collaboration avec Gaznat SA, l’EPFL a développé une technologie prometteuse pour incorporer des pores sélectifs de CO₂ dans le graphène [12–14]. Cette technologie est hautement évolutive car l’incorporation de pores ne nécessite qu’un écoulement d’ozone sur le graphène à température ambiante, suivi d’un chauffage ou d’une exposition à la lumière. Au cours des dernières années, Gaznat SA a déposé trois demandes de brevet liées à cette technologie.
Des premières membranes, avec les équipements auxiliaires nécessaires, ont été intégrées dans le projet GreenGas à Aigle. Elles ont pour but de capturer le CO₂ des gaz de combustion provenant de deux couplages chaleur-force (alimentés au gaz naturel) installés à Aigle. Les premiers résultats ont démontré que les membranes en graphène sont stables dans les gaz de combustion contenant 50 parties par million (ppm) de NOx.
Au cours des quatre dernières années, les équipes de Gaznat SA et de l’EPFL ont résolu plusieurs défis pour la production à l’échelle de membranes en graphène. Ces défis concernaient le coût de production d’un graphène de haute qualité, le développement d’un réacteur à échelle réduite pour l’incorporation uniforme de porosité dans le graphène, et le développement de membranes en graphène de grande surface selon un protocole qui garantit le succès de la fabrication dans le laboratoire de l’EPFL (fig. 6). Les principaux points forts de ces réalisations sont les suivants:
Avant le lancement du projet, les membranes en graphène utilisaient des matières premières (feuilles de Cu pour la production de graphène de haute qualité) dont le coût était prohibitif (1000–10 000 $/m²). Les travaux ont permis de réduire le coût à 8,50 francs/m², et ont montré que des membranes de haute qualité peuvent être préparées avec succès en utilisant des matières premières bon marché.
Avant le début du projet, il n’existait pas de solution personnalisée pour préparer des pores sélectifs de CO₂ dans le graphène à une échelle supérieure à 1 cm. Il était nécessaire d’augmenter l’échelle de la technologie de génération de pores, de manière à ce que la porosité incorporée soit uniforme sur une échelle de longueur de plusieurs centaines de centimètres. Ce projet a permis de concevoir un réacteur dédié, et de résoudre les problèmes liés au transfert de masse du réactif, à la dégradation de la couche support, etc. pour finalement aboutir à un protocole permettant la réalisation d’une oxydation uniforme sur une surface de 500 cm2.
La principale difficulté posée par les membranes d’épaisseur atomique (ou biÂdimensionnelles 2D) réside dans le fait que ces matériaux sont très fragiles. Cela signifie que la transformation du graphène poreux en membranes entraîne souvent des déchirures et des fissures, réduisant ainsi à néant son potentiel d’utilisation dans les applications de séparation. Des protocoles ont donc été développés pour permettre la préparation de membranes en graphène de grande surface (jusqu’à 50 cm²) dans des modules à flux croisés. Celles-ci ont montré des performances équivalentes à celles de petits coupons de membranes de graphène à l’échelle du centimètre (fig. 7).
L’un des points forts de ce projet est incontestablement la mise en place d’un démonstrateur sur le site d’Aigle, et son intégration dans le projet GreenGas (fig. 8). Ceci a permis de résoudre les problèmes de condensation de l’eau dans les gaz de combustion, de l’approvisionnement non continu en gaz de combustion (la cogénération ne fonctionne que par intermittence), ainsi que la surveillance et l’exploitation à distance. La découverte la plus importante a été de constater que les membranes en graphène sont stables dans les gaz de combustion, qui contiennent 50 ppm de NOx. Cela a permis d’élever le niveau de préparation technologique à 5 sur 9 sur l’échelle TRL.
La membrane en graphène à nanopores est une technologie très prometteuse qui émerge rapidement, et qui cherche à surmonter les problèmes de coût, de stabilité, d’empreinte et d’émissions environnementales liés à la capture du carbone. La matière première (le graphène tel qu’il a été synthétisé) est désormais disponible dans le commerce à faible coût, grâce aux progrès rapides réalisés dans la production de graphène par un processus rouleau à rouleau continu.
Motivée par l’énorme potentiel de la technologie de capture du carbone basée sur les membranes de graphène, une entreprise dérivée de l’EPFL (Divea SA) cherche à développer des protocoles de production rapide pour mettre cette technologie sur le marché, en vue d’une mise en œuvre à grande échelle (1000 t/d), avant la fin de cette décennie [15]. Plusieurs étapes critiques visant à améliorer le niveau de préparation technologique de la membrane en graphène seront bientôt mises en œuvre.
Plus d’un an après la mise en service officielle, les panneaux photovoltaïques ont produit plus de 500 000 kWh, et les deux couplages chaleur-force ont assuré la fourniture d’énergie thermique du site d’Aigle, pour un total de 680 000 kWhth. Le réacteur de méthanation a subi de nombreux tests de performance, qui ont permis d’optimiser son utilisation. L’objectif de plus de 99% de conversion du CO₂ a bien été atteint. Quant aux membranes en graphène pour la capture du CO₂, différents problèmes de «jeunesse» ont été constatés, qui ont nécessité des modifications sur l’installation. Néanmoins, l’objectif de capture du CO₂ avec un étage de membrane a été atteint, générant une pureté de plus de 60% de CO₂.
Dans l’ensemble, les résultats sont très encourageants. Ils vont permettre de lancer une présérie de production de plusieurs unités du réacteur de méthanation, et d’autre part, de mettre en place le deuxième étage de membranes en graphène, avec pour objectif d'atteindre plus de 90% de pureté de CO₂.
Plusieurs emplacements sont encore disponibles dans l’Innovation Lab, pour tester de nouvelles innovations issues des hautes écoles et des startups. Gaznat est à la disposition des personnes, des sociétés et des institutions intéressées, pour tout renseignement.
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[2] Goeppert, A. et al. (2014): Carbon Dioxide Capture from the Air and Conversion to Methanol and Methane. Journal of the American Chemical Society 136(23): 8277–8282
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