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Article technique
28. septembre 2023

Gazoduc haute pression

Nouvelle technologie «tube-dans-tube» afin d’augmenter la sécurité

Une des artères principales de l’approvisionnement de la Suisse occidentale est assurée par le gazoduc construit en 1979 qui relie Altavilla (à proximité de Morat) à Orbe et qui traverse notamment la zone industrielle de Givisiez (FR). Afin de permettre un développement harmonieux de la zone industrielle tout en répondant aux exigences de l’ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs (OPAM), une nouvelle solution plus sûre devait être trouvée pour ce gazoduc. La technologie innovante du «tube-dans-tube» à grande profondeur offrait la possibilité de répondre aux exigences de sécurité tout en conservant le tracé initial.
René Bautz, Gilles Verdan, Dominique  Luisier, 

Lorsque le gazoduc haute pression appartenant à Unigaz, d’un diamètre de 16’’ (406,4 mm) a été construit, en 1979, la zone industrielle de Givisiez en était à ses premiers développements. Celui-ci a été implanté dans le respect des dispositions légales, en terrain agricole et avec une bande de sécurité de 10 m de part et d’autre, exempte de toute construction que ce soit. A relever aussi que l’ordonnance sur la protection des accidents majeurs (OPAM) ne s’appliquaient pas aux gazoducs.

La genèse du projet

Au fil des ans, la zone industrielle a connu un fort développement. Au début des années 2000, l’Etat de Fribourg a interpellé l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) concernant un projet immobilier dans la zone industrielle, afin de connaître si l’OPAM ne devait finalement pas s’appliquer aussi aux gazoducs haute pression. Ce n’est finalement qu’en 2009, dans un arrêt du tribunal fédéral, que l’applicabilité de l’OPAM aux gazoducs haute pression, a été confirmée. A relever encore que cette ordonnance a été modifiée en ce sens. Son entrée en vigueur est intervenue le 1er avril 2013, tout en précisant qu’elle s’applique aux gazoducs construits avant 2013, ainsi qu’à de nouvelles réalisations.

Etude de variantes pour réduire les risques

Au vu de ce qui précède, Unigaz, détentrice du gazoduc, a étudié différentes variantes pour contenir les risques à un niveau acceptable pour l’autorité de tutelle (OFEN), tout en permettant le développement de ladite zone industrielle. Cette dernière s’étant fortement densifiée, Unigaz est arrivée rapidement à la conclusion que seules deux options étaient envisageables: une déviation du gazoduc, ou le maintien de son tracé mais en développant de nouvelles mesures de réduction des risques, les mesures classiques telles que la pose de dalles de protection étant insuffisantes.
Concernant la variante de tracé, en tenant compte des aspects environnementaux et de l’aménagement du territoire, il est ressorti de l’étude qu’une déviation d’une dizaine de kilomètres était nécessaire, pour un coût de l’ordre de 20 millions francs. Il est à relever que hormis son coût élevé, cette variante présentait du point de vue de la sécurité d’approvisionnement un inconvénient majeur, du fait que deux postes de détente et de comptage (PDC) se retrouvaient en antenne (c’est-à-dire que leur alimentation respective ne se faisait plus que par une voie, et non deux comme c’est le cas usuellement (fig. 1 et 2).
Quant à la 2ème option, Unigaz a étudié différentes solutions techniques, avec comme prérequis un maintien du tracé existant: forage dirigé en grande profondeur, galerie technique, pose du gazoduc dans une gaine de protection (fig. 3).
L’impact de chaque solution sur la diminution des risques a aussi été quantifié. Que ce soit tant pour les aspects techniques que pour les analyses de risques, des études approfondies ont dû être menées du fait de leur caractère novateur.

Variante sélectionnée

Finalement, après une analyse des différentes solutions, notamment basée sur la faisabilité, les coûts, l’impact sur la réduction des risques et l'environnement, ainsi que sur la sécurité d’approvisionnement, la variante forage dirigé en grande profondeur (15 mètres) avec la pose du gazoduc dans une gaine de protection ou «tube-dans-tube» a été retenue.
Un dossier d’approbation des plans a été déposé auprès de l’OFEN en mars 2018. A la suite de sa mise à l’enquête, l’OFEN a rendu une décision d’approbation des plans en octobre 2020.
Les travaux préparatoires ont débuté en 2021, suivi en 2022 de la réalisation du forage dirigé et de la pose du gazoduc selon la technique «tube-dans-tube». La mise en service du nouveau tronçon de gazoduc est intervenue en mai 2022. Finalement, différents travaux, dont notamment de remise en état des terrains et de pose de dalles, ont encore été réalisés durant 2023, pour un coût total de l’ordre de 6 millions francs.

La solution technique retenue

Risques pour un gazoduc

Le principal risque technique pour un gazoduc est une intervention externe par une pelle mécanique, foreuse ou un engin similaire. Les aspects de corrosion, de mouvements de terrain et autres défauts de construction sont généralement bien moins significatifs. Ainsi, afin de réduire les risques globaux, les sociétés gazières prennent des mesures à la fois «mécanique» mais aussi en termes de surveillance comme par exemple les contrôles de tracé par voies terrestre et aérienne.
Une solution consiste à poser des dalles de protection au-dessus du gazoduc pour encore mieux protéger la conduite. Pour améliorer la protection des ouvrages souterrains et donc avoir un effet sur le calcul des risques, il est aussi possible d’enfouir la conduite plus profondément. Il reste toujours un léger risque pour le tube, par exemple par l’utilisation d’une machine de forage. On peut imaginer qu’un tel risque se présente dans le cas de projet d’exploration du sous-sol.
Le facteur de risque est également déterminé par la résistance de l’acier de la conduite. Ainsi une conduite plus épaisse sera plus difficile à endommager.

Concept «tube-dans-tube»

Dans le cas du projet, objet du présent article, il aurait été possible de poser par exemple une conduite sur-épaisse (p. ex 20 mm). Dans les diverses analyses réalisées, il est apparu que même dans le cas extrêmement peu probable d’une intervention par n’importe quelle machine, voire même par un glissement géologique, si le gazoduc était lui-même contenu dans un autre tube étanche, une double protection serait avantageuse. Les analyses de risque effectuées ont démontré qu’une combinaison de mesures s’avérait nécessaire pour contenir les risques à un niveau acceptable, à savoir un enfouissement en grande profondeur conjugué à une gaine de protection contenant le gazoduc.
C’est ainsi que le concept «tube-dans-tube» (fig. 4) est né. Dans un premier temps, la solution semblait simple: il suffit de poser un tube et d’en mettre un autre à l’intérieur. Dans la réalité, la mise en œuvre est bien plus compliquée. Il est par exemple absolument indispensable, ne serait-ce que pour répondre aux diverses directives des autorités, de pouvoir vérifier l’étanchéité de chacun des tubes avant de les mettre en service. Un test hydrostatique à une pression plus élevée que la pression de service est indispensable. Il est donc nécessaire de tester le tube extérieur sur l’ensemble de sa longueur avant d’y insérer le tube interne.

Forage dirigé

Cette simple exigence impose presque automatiquement la technique du forage dirigé. En effet, pour insérer un tube dans un autre, des rayons de courbure doivent être respectés pour éviter d’endommager les deux conduites coaxiales. Grâce à la technique du forage dirigé, le maître d’œuvre peut maîtriser le tracé de la conduite de manière très précise à la construction et surtout peut placer la conduite à distance de la surface sans avoir besoin de suivre précisément les contours du terrain. Dans le cas dudit projet, seuls les points d’entrée et de sortie ont été contraignants, il a ensuite suffi de définir les rayons de courbure admissibles et possibles avec la technique du forage dirigé, pour obtenir un tracé. La contrepartie de cette simplicité réside dans l’obligation d’avoir un terrain de la même longueur que le forage en amont pour construire la conduite d’un seul tenant, qui est ensuite tirée dans le forage. La 2ème conduite (intérieure) est construite de la même manière et est tirée dans la première une fois les tests terminés sur la conduite extérieure.

Azote dans l’espace annulaire

La technique«tube-dans-tube» offre en plus une possibilité intéressante de surveiller la pression du fluide qui occupe l’espace annulaire (fig. 4). En injectant dans cette cavité de l’azote sec à un pression déterminée (p. ex. 3 bar), une surveillance de cette pression dans le temps permet de détecter un éventuel défaut sur une des deux conduites concentriques.
Ainsi, si la pression de l’espace annulaire venait à baisser, on peut en déduire que le tube externe a subi un défaut et que de l’azote s’échappe vers l’extérieur. Dans ce cas, s’il est avéré, on peut rapidement agir pour mettre en sécurité l’installation. On pourrait ainsi par exemple interrompre des éventuels travaux de forage qui mettraient en péril la conduite. A noter que la fuite d’azote vers l’extérieur sera probablement détectée et comme ce gaz est inerte, il ne mettra pas en danger les personnes à proximité de la fuite.
Dans le cas où l'on remarquerait une augmentation de la pression dans l’espace annulaire, on en déduirait que le tube interne présente un défaut et que du gaz s’introduit dans le tube externe. Les mesures de sécurisation de l’installation pourront également être rapidement mises en place.
La détection de ces deux événements, bien que très improbables, permet de contenir les risques à un niveau acceptable et ainsi permettre le développement de ladite zone industrielle.

Impact de la solution novatrice sur l’analyse de risques

Les analyses de risques sont effectuées conformément au «rapport cadre sur l’estimation de l’ampleur des dommages et de l’étude de risque standardisées, révision 2010». Ce rapport couvre notamment l’impact sur les risques en fonction de mesures telles que la pose de dalles, le changement du tube par un nouveau avec une épaisseur plus élevée, l’augmentation de la fréquence des contrôles des tracés, etc. Par contre, ce dernier ne couvrait pas les mesures innovantes développées dans le cadre de ce projet et leurs impacts sur les risques, soit l’enfouissement à une grande profondeur et la pose «tube-dans-tube».
Il a alors été procédé à des études spécifiques dans le but de déterminer les facteurs de réduction de risques qui pourraient être appliqués à ces deux nouvelles solutions techniques. Il en est ressorti que ces mesures ont un impact significatif sur les facteurs «interventions de tiers», «mouvements de terrain» et «défauts de matériau et de construction», facteurs utilisés dans les analyses de risques (tab. 1 et 2).
Pour le tronçon concerné dans la zone industrielle de Givisiez, les résultats de l’analyse de risques se présentent comme suit, avec les mesures de réduction des risques suivantes: dalles, enfouissement à 15 mètres, «tube-dans-tube», surveillance du tracé hebdomadaire (fig. 5).
La figure 5 permet de constater que l’augmentation de l’occupation des parcelles à proximité du gazoduc (différence entre la courbe noire – situation actuelle – et la courbe rouge – occupation future) n’a pratiquement plus d’influence sur l’ampleur des dommages par la mise en œuvre des nouvelles mesures. Il est aussi intéressant de relever que la courbe des risques se situait dans le domaine intermédiaire supérieur, sans la mise en œuvre des deux nouvelles mesures innovantes (enfouissement à 15 m et tube-dans-tube).

 

Recouvrement

Interventions de tiers

Fréquence de rupture

Mouvements de terrain

Fréquence de rupture

Défauts matériaux de construction

Fréquence de rupture

1-4 m (selon rapport cadre) 0,5 ≤ K ≤ 1,1 Selon rapport cadre K = 1
4-15 m K = 0,1

K ≤ 0,1

(expertise géologique)

K = 1
> 5 m K = 0,01

K ≤ 0,05

(expertise géologique)

K = 1

Tab. 1 Vue d’ensemble des facteurs de correction K en fonction du recouvrement.

 

Interventions de tiers Mouvements de terrain Défauts matériaux de construction
K = 0,01                 

Mouvements lents:

K = 0

Mouvements rapides et importants:

K = 1

K = 0

(dommage pas pris en compte dans l'analyse de risques)

Tab. 2 Vue d’ensemble des facteurs de correction K pour le système «tube dans tube».

 

RĂ©alisation du projet et mise en service

La décision d’approbation des plans proche d’être rendue, un appel d’offres a été lancé en septembre 2020 pour la fourniture des tubes, les travaux de soudages et de préparation, ainsi que le forage dirigé. Les travaux ont pu démarrer le 19 mars 2021 par la préparation des installations de chantier et les travaux forestiers, nécessaires pour la piste de construction de la conduite de 700 m.
Le temps fort du projet a consisté à la période de forage, car même si cette technique est bien maîtrisée, ce projet représentait tout de même un forage de longueur et diamètre particulièrement ambitieux. Le 16 juin 2022, les 770 m de forage étaient exécutés avec le diamètre «pilote». Après plusieurs alésages (agrandissement du diamètre) jusqu’à 850 mm, à mi-septembre le tube de 24’’ (610 mm) a pu être inséré dans le forage (fig. 6).
Les travaux de forage ont été exécutés par une entreprise suisse, possédant une machine suffisamment puissante pour franchir de telle longueur de forage. Cette machine dispose d’une force de tirage de 250 kN (25 tonnes) et d’un couple de rotation de 120'000 N/m. La foreuse est disposée sur une remorque, de nombreux équipements annexes en containers viennent compléter l’ensemble de la machine de forage.
Le traitement des boues de forages a été un défi assez important. En effet, l’altimétrie de départ du forage étant inférieure à l’arrivée, la bentonite utilisée pour maintenir le forage a eu une tendance à s’écouler en direction de la foreuse. Il a ainsi fallu mettre en place une conduite de transport provisoire de bentonite sur près de 1000 m à travers la zone industrielle de Givisiez. Pour traiter les fluides en sortie du forage, une installation de grande ampleur a également été mise en place sur la surface d’installation de la foreuse dans le but de séparer la bentonite réutilisable des matériaux de forage.
Après assemblage et contrôle de pression, le tube de diamètre nominal du gazoduc de 16’’ (406,4 mm) a été inséré dans son tube protecteur en novembre 2021 et, après raccordement des extrémités, l’azote a pu être injecté dans l’espace annulaire en mars 2022. Il a fallu attendre la fin de la saison d’hiver avant de pouvoir couper le gazoduc en service et raccorder la nouvelle section «tube-dans-tube» sur ce secteur. La mise en service de cette conduite a pu être exécutée le 18 mai 2022 à la satisfaction de toutes les parties prenantes.
Des travaux de remise en état, de pose de dalles et d’une conduite de déviation des eaux viendront achever ce projet novateur. En effet, le forage a probablement traversé une zone de source d’eau, et même si les débits sont assez faibles, il s’agit d’évacuer cette eau dans une rivière proche, plutôt que de risquer d’inonder le terrain à une des extrémités du forage.

Conclusion

Ce projet innovateur a nécessité les compétences de plusieurs entreprises, de la coordination avec les autorités, le support des propriétaires et exploitants agricoles concernés. Dans l’ensemble, tout s’est bien déroulé et le projet a pu suivre un planning serré et bien établi. Nous pouvons regretter que la fin du projet ait été entaché de difficultés administratives, mais ce n’est finalement qu’une question de temps pour terminer avec un ouvrage de qualité assurant la sécurité de la zone industrielle. La mise en œuvre de cette nouvelle innovation, à savoir le forage dirigé en grande profondeur, combiné avec la technique «tube-dans-tube», a permis de trouver une solution pour répondre aux exigences de l’ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs, tout en permettant un développement harmonieux de la zone industrielle de Givisiez. Même si cette solution s’est avérée beaucoup moins onéreuse que le déplacement du gazoduc, celle-ci reste tout de même une solution coûteuse en regard de solutions de réduction des risques classiques comme des dalles ou le remplacement des tubes avec une surépaisseur, avec des contraintes d’exploitation et de surveillance accrues. Cette solution «tube-dans-tube» à grande profondeur est intéressante si elle permet d’éviter la construction d’un nouveau gazoduc sur un tracé différent de l’ancienne conduite.

 

Bibliographie

[1] Sécurité des installations de gaz naturel à haute pression – Rapport-cadre de l’estimation de l’ampleur des dommages et de l’étude de risque standardisées – Révision 2010
[2] Considérations des accidents majeurs pour l’enfouissement d’un gazoduc à haute pression selon un système de conduite à double enveloppe et/ou avec différentes profondeurs de recouvrements – Octobre 2016
[3] Gazoduc Orbe – Mülchi (UG 400) - Communes de Givisiez et de Corminboeuf - Déplacement du gazoduc UG400 - Zone Industrielle - Évaluation du risque d’accident majeur – 31.10.2017

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