Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
03. avril 2025

CAD

Simulations numériques

Les simulations numériques constituent un outil essentiel pour la conception, l’optimisation et la gestion des réseaux de chauffage à distance, permettant d’analyser et de prédire leurs comportements thermiques, hydrauliques et énergétiques. Chez Groupe E, ces technologies transforment les approches de dimensionnement des infrastructures, d’analyse des variantes techniques, de planification stratégique des déploiements et d’optimisation des systèmes existants.
Simon Rime 

Les simulations numériques représentent un outil incontournable pour la conception, l’optimisation et la gestion des réseaux de chauffage à distance. Cette approche permet d’analyser et de prédire les comportements thermiques, hydrauliques et énergétiques de ces systèmes, constituant un support décisionnel pour les ingénieurs et gestionnaires.

Ces simulations optimisent les paramètres des réseaux existants, comme les températures de fonctionnement, les débits ou la régulation, réduisant ainsi les pertes thermiques et la consommation énergétique. Les modèles numériques facilitent l’analyse de scénarios variés, tels que l’extension d’un réseau, l’intégration de nouvelles sources de chaleur renouvelable, ou l’adaptation aux variations de la demande. Elles contribuent également à améliorer la fiabilité des systèmes en identifiant les points faibles potentiels et en testant des stratégies de résilience. Le développement des réseaux de nouvelles générations utilisant des sources décentralisées et des niveaux de températures bas renforce également l’utilisation des simulations dans la conception des réseaux.

Chez Groupe E, dans le secteur du chauffage à distance, les simulations sont principalement utilisées pour:

  • Tracer, dimensionner et optimiser les rĂ©seaux
  • Comparer des variantes (impact sur le CAPEX et l’OPEX)
  • Planification (impact de l’ajout de nouvelles centrales, intĂ©gration d’accumulateur, simulation de pannes, etc.)
  • Optimiser l’exploitation


Cet article traite des trois premiers points, mais pas du quatrième, car un article exhaustif consacré à l'optimisation des réseaux de chaleur en exploitation a déjà été publié dans le numéro de février 2024 d'Aqua & Gas [1].

Dimensionnement des réseaux

L’intégration des systèmes d’information géographique (GIS) avec des logiciels de simulation spécialisés (comme Fluidit Heat [2] utilisé par Groupe E) permet de concevoir et dimensionner efficacement des réseaux complexes, qu’ils soient maillés ou bouclés. Le dimensionnement peut être adapté en fonction de différents paramètres (coûts du réseau, prix de revient de la chaleur, prix de l’électricité, taux de simultanéité, type d’isolation, pertes de charge maximale, pression nominale [PN], températures, etc.). En fixant des paramètres propres à chaque projet, il est possible de tendre vers des solutions optimales et de minimiser ainsi les coûts et la consommation énergétique.

Le géoréférencement des résultats facilite leur interopérabilité avec d’autres plateformes d’analyse et de gestion. Cette caractéristique permet d’établir des corrélations précises entre l’infrastructure de distribution (conduites) et les clients potentiels. Sur cette base, des analyses statistiques peuvent être effectuées pour évaluer avec finesse l’impact économique et technique de chaque raccordement client, optimiser la stratégie de développement du CAD en minimisant l’exposition aux risques, et déterminer avec précision les clients stratégiques nécessaires à la viabilité du projet (fig. 1).

Analyse des variantes

Les simulations permettent d’analyser et de comparer rapidement différentes variantes sans investissements matériels préalables. Elles établissent un protocole structuré pour projeter et quantifier les performances technico-économiques et environnementales des diverses solutions envisagées, guidant ainsi les décisions stratégiques.

Étude de cas: impact d'un changement d'une conduite de transport

Un exemple d’analyse de variante est l’optimisation d’une artère de transport critique au sein du réseau de chauffage à distance d’Entre-deux-Lacs [3]. La problématique centrale concerne le dimensionnement optimal de la conduite de transport principale, d’une longueur d’environ 12 km aller-retour. L’objectif de cette analyse est d’évaluer les implications technico-économiques de différentes options de diamètre nominal (DN300, 350 ou 400) sur la structure des coûts d’investissement, mais également sur les paramètres d’exploitation cruciaux tels que la consommation énergétique des groupes de pompage et les déperditions thermiques.

Processus en cinq phases

La méthodologie déployée pour cette analyse comparative s’articule autour d’un processus structuré en cinq phases distinctes:

  1. Modélisation du système – Élaboration d’un jumeau numérique complet du réseau de distribution et des utilisateurs finaux.
  2. Simulations hydrauliques statiques – Réalisation d’analyses hydrauliques en régime permanent pour chaque configuration de diamètre nominal afin d’évaluer les pressions maximales et les conditions de fonctionnement des pompes.
  3. Prédimensionnement et modélisation des pompes – Dimensionnement et modélisation détaillée des groupes de pompage adaptés à chaque scénario, avec optimisation des courbes caractéristiques.
  4. Simulation dynamique annualisée – Simulation du comportement du système sur un cycle annuel complet, intégrant les variations saisonnières de la demande thermique.
  5. Analyse technico-économique systémique – Évaluation de l’impact des différentes configurations sur les indicateurs de performance du Business Plan, intégrant à la fois les aspects d’investissement (CAPEX) et d’exploitation (OPEX).

La figure 2 illustre la topologie du réseau modélisé, avec la conduite étudiée mise en évidence en rouge. L’infrastructure globale étant dimensionnée selon la norme PN16, une station intermédiaire de surpression a été positionnée à l’emplacement indiqué par le symbole de pompe pour maintenir la pression dans les plages admissibles. 

Résultats de l’analyse

La variante «DN300 2 pompes» diffère des autres variantes par sa configuration hydraulique spécifique: contrairement aux autres configurations qui n’intègrent qu’un seul groupe de pompage sur la conduite d’alimentation, cette variante incorpore une pompe supplémentaire sur la conduite de retour, positionnée au niveau de la station de surpression. Cette architecture permet d’optimiser considérablement la répartition des pressions dans le circuit, aboutissant à une réduction des pressions maximales observées dans le réseau. Le profil de pression dynamique de cette configuration est visible en violet sur la figure 2, révélant un contraste marqué avec les profils générés par les autres configurations (représentés respectivement en cyan, orange et rouge).

Le tableau 1 synthétise les chiffres clés pour les différentes configurations analysées. Les pertes thermiques indiqués concernent uniquement la conduite de transport étudiée.

Tab. 1 Comparaison des principales métriques pour les différents scenarios.
  DN300 DN300 (2 pompes) DN350 DN400
Delta P centrale [bar] 8.2 8.2 5.3 2.9
Delta P station surpression [bar] 6.3 6.3 5.6 4.6
Pression maximale [bar] 13.7 10.8 11.6 9.4
Pertes thermiques [MWh] 2311 2311 2347 2499
Consommation Ă©lectrique [MWh] 760 760 560 390

L’ensemble des configurations étudiées satisfait aux exigences du PN16, garantissant ainsi l’intégrité du réseau dans tous les scénarios étudiés. Un différentiel significatif apparaît néanmoins dans les performances énergétiques: la consommation électrique associée aux pompes de circulation avec un diamètre DN300 est approximativement deux fois supérieure à celle observée avec un DN400, la configuration DN350 présentant des valeurs intermédiaires.

Cette consommation énergétique accrue doit cependant être mise en perspective avec l’économie réalisée sur l’investissement initial (coût des conduites de plus grand diamètre, augmentation de la taille des fouilles et des soudures, etc.) et l’impact sur les pertes thermiques. Une analyse financière intégrant l’ensemble de ces paramètres – incluant l’amortissement des installations, les coûts de maintenance prévisionnels et le coût actualisé du capital – a finalement orienté la décision en faveur de la solution DN300, offrant le meilleur équilibre entre performance technique et viabilité économique.

Planification

La complexité de la planification des réseaux de chaleur augmente dans le cas de réseaux multi-centrales. Ces systèmes énergétiques complexes, caractérisés par l’interconnexion de sous-réseaux préexistants et l’intégration de nouvelles infrastructures de production et de distribution, constituent un défi majeur en termes d’ingénierie. Les outils de simulation deviennent indispensables pour maîtriser la complexité du système et assurer sa cohérence globale.

MĂ©thodologie

La méthodologie utilisée dans le cadre de cette planification est détaillée dans la figure 3. Les données proviennent du CRM (Customer Relationship Management) pour les données clients, d’une plateforme GIS pour le réseau et du Business Plan global pour les centrales. Ces données sont intégrées dans Fluidit pour étudier différents scénarios. Le post-traitement s’effectue par extraction directe depuis Fluidit ou exportation vers QGIS [4] couplée à des scripts Python [5] pour les analyses avancées.

 

CAD Fribourg

Le projet de réseau de chaleur du Grand Fribourg (CADFR) vise à intégrer des réseaux thermiques existants au sein d’une infrastructure énergétique unifiée. À maturité, ce réseau desservira environ 5000 points de consommation et s’appuiera sur une vingtaine de centrales thermiques (fig. 4).

Dans ce contexte, les simulations jouent un rôle crucial à plusieurs niveaux. Premièrement, elles constituent un support décisionnel essentiel pour l’élaboration de l’architecture globale du réseau, permettant d’évaluer quantitativement différentes configurations d’interconnexion et d’identifier les synergies entre les réseaux.

Deuxièmement, elles offrent une plateforme d’évaluation pour quantifier rapidement l’impact de modifications, telles que l’ajout ou le retrait d’unités de production, conférant ainsi une flexibilité considérable dans la planification du déploiement des infrastructures. Enfin, elles servent de base au dimensionnement précis des composants techniques, en tenant compte des interactions et des interdépendances entre les différentes zones du réseau.

Pression dans le réseau

Le relief vallonné de l’agglomération fribourgeoise (fig. 4), génère des contraintes de pression statique considérables. La différence maximale d’altitude atteint environ 185 m, induisant une pression hydrostatique importante.

La structure actuelle présente une hétérogénéité historique significative, chaque segment ayant des spécifications techniques distinctes. Les modèles hydrauliques identifient les nœuds critiques où les différentiels de pression pourraient compromettre l’intégrité des installations. Des simulations sont réalisées à différents horizons temporels, conduisant à la définition de zones séparées hydrauliquement par des échangeurs de chaleur pour limiter les impacts de la pression statique.

Ces données de pression (fig. 5) permettent également d’alimenter les cahiers des charges des nouvelles centrales, fournissant ainsi des paramètres précis et fiables pour la conception des installations hydrauliques.

Taux de renouvelable et heures de fonctionnement des centrales

Le déploiement de simulations dynamiques permet d’approfondir l’analyse du comportement du réseau thermique. Ces modèles temporels offrent la possibilité d’évaluer avec précision l’impact de diverses configurations sur des indicateurs stratégiques, tels que le taux d’intégration des énergies renouvelables. Ces projections constituent un support décisionnel précieux pour prioriser les investissements associés aux nouvelles centrales de production.

La figure 6 représente l’origine de la chaleur (quelle zone est alimentée par quelle centrale). Cette carte permet de visualiser facilement l’impact des différentes centrales. Ces résultats visuels facilitent également le dialogue avec les autorités locales.

L’extrapolation de ces données sur une année complète permet d’évaluer l’impact de divers scénarios climatiques sur le taux de renouvelables et d’anticiper avec précision les profils de production. La figure 7 illustre l’évolution de la puissance des différentes centrales au cours d’une année caractérisée par un hiver rigoureux. L’approvisionnement thermique de base est assuré majoritairement par une unité de valorisation énergétique des déchets (UIOM) qui fournit une production relativement constante tout au long de l’année, avec une capacité d’ajustement durant les périodes de pointe hivernale. Les autres unités de production sont activées progressivement selon un «Merit Order» prédéfini. Ces projections sont synthétisées dans le tableau 2. L’analyse des différents scénarios climatiques révèle des variations des taux d’utilisation, particulièrement marquées pour les centrales d’appoint dont le fonctionnement annuel est inférieur à 4000 heures. Pour ces unités, les simulations mettent en évidence une fluctuation de production de l’ordre de 25 à 35% entre les scénarios, soulignant la sensibilité de ces installations aux variations météorologiques.

Tab. 2 Evolution de l’énergie produite par différentes centrales en fonction du type d’année.
Centrale Energie annuelle [MWh] Durée d utilisation de la puissance (DUP) [heures]

Scénario 1 froid

Scénario 2 chaud

Scénario 1 froid

Scénario 2 chaud

1 5600 3938 1400 984
2 136 908 128 031 7606 7113
3 3869 2903 3869 2903
4 34 961 25 883 1457 1078
5 46 962 40 868 6523 5676
6 10 722 6770 715 451
7 61 576 47 090 4105 3139

Le profil climatique annuel influence également de manière significative le taux de renouvelables dans le mix du réseau. La figure 8 illustre l’évolution de ce paramètre en fonction de la capacité installée en production renouvelable et des caractéristiques thermiques de la période hivernale considérée.

Ces résultats analytiques sont consolidés dans le tableau 3. L’analyse révèle une sensibilité climatique inversement proportionnelle à la capacité renouvelable installée: plus la puissance renouvelable disponible est limitée, plus l’impact des variations météorologiques sur le taux d’intégration renouvelable est prononcé. Ainsi, avec une capacité renouvelable représentant approximativement 50% de la puissance totale requise, le réseau présente une variation potentielle du taux de renouvelable pouvant atteindre 10%. Cette amplitude de variation diminue progressivement à mesure que la capacité renouvelable installée augmente. De même, l’efficacité de l’investissement en capacité renouvelable supplémentaire est inversement corrélée à la capacité déjà installée: l’impact relatif de l’ajout d’une unité de puissance renouvelable sur le taux de renouvelable décroît considérablement à mesure que la puissance renouvelable totale installée augmente.

Tab. 3 Taux d’intégration renouvelable en fonction de la puissance renouvelable installée.

Puissance renouvelable 
installée [MW]

Taux de renouvelable
Hiver doux Hiver moyen
105 96% 91%
115 98% 94%
125 99% 96%
150 100% 99%
175 100% 100%
200 100% 100%

L’analyse des données révèle un seuil intéressant: l’installation de 140 MW de capacité renouvelable (représentant approximativement 68% de la puissance totale requise) permet déjà d’atteindre un pourcentage d’énergie renouvelable supérieur à 95% pour l’ensemble des scénarios climatiques étudiés. Au-delà de ce palier, l’installation des 60 MW additionnels se caractérise par un gain extrêmement faible – particulièrement prononcé dans les scénarios d’hivers tempérés où l’impact devient quasiment négligeable.

Il faut toutefois souligner que ces projections reposent sur des hypothèses d’exploitation optimale du réseau CADFR. Dans les conditions réelles, divers facteurs peuvent influencer les performances– parmi lesquels les contraintes de maintenance, les variations inattendues de la demande ou encore les limitations des unités de production. Ces facteurs sont susceptibles d’induire des écarts par rapport au modèle théorique, pouvant se traduire par une réduction du taux de renouvelable.

Conclusion

Les simulations numériques sont devenues un instrument incontournable dans l’écosystème des réseaux de chauffage à distance modernes. Elles transforment les approches de conception, d’optimisation et d’exploitation des infrastructures thermiques.

L’intégration de ces technologies chez Groupe E a permis d’optimiser les performances des réseaux existants et de planifier avec précision le développement de nouveaux réseaux complexes comme celui de Fribourg. La capacité à modéliser les interactions, à anticiper les comportements dynamiques et à quantifier les impacts des choix techniques constitue un avantage majeur.

Toutefois, les simulations numériques ne représentent qu’un outil d’aide à la décision dont la pertinence dépend de la qualité des données d’entrée et des hypothèses formulées. L’expertise et l’expérience de l’ingénieur demeurent irremplaçables pour l’élaboration des modèles, la validation des hypothèses et l’interprétation des résultats.

Le rôle de l’expert humain est déterminant dans plusieurs phases clés: définition du périmètre d’étude, calibration des modèles, analyse des résultats numériques, et leur traduction en recommandations adaptées. Les simulations fournissent des projections précieuses, mais c’est l’intelligence conjuguée de l’outil numérique et de l’expertise humaine qui permet de transformer ces données en décisions éclairées.

Les défis futurs des réseaux de chauffage à distance – intégration de sources renouvelables intermittentes, abaissement des températures opérationnelles, optimisation en temps réel – nécessiteront des modèles de simulation plus sophistiqués et des experts capables d’en exploiter le potentiel. Le développement d’approches intégrant l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique ouvre des perspectives prometteuses.

En définitive, la maîtrise des technologies de simulation numérique, associée à une solide expertise technique, apparaît comme un facteur clé de succès pour les opérateurs énergétiques engagés dans la décarbonation des systèmes de chauffage à distance, contribuant significativement à la transition énergétique.

Bibliographie

[1] Rolle J. (2024): Optimisation des réseaux CAD en utilisant la simulation numérique. Aqua & Gas 2/2024: 20–24

[2] https://fluidit.com/software/fluidit-heat/. Con­sul­té le 27.02.2025

[3] https://www.entre-deux-lacs.ch/comment-fonctionne-le-chauffage-distance-entre-deux-lacs. Consulté le 27.02.2025

[4] https://qgis.org/

[5] https://www.python.org/

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