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Article technique
08. janvier 2025

Réduction des températures des CAD

Le cas d’étude du réseau CAD-SIG à Genève

L’abaissement des niveaux de température des réseaux de chaleur à distance existants est une étape clef pour permettre l’intégration massive de chaleur renouvelable. Cet article montre comment les Services Industriels de Genève, avec l’appui de l’Université de Genève, ont mis en place une stratégie pour prioriser les sous-stations pour lesquelles des interventions seront nécessaires pour abaisser ces niveaux. Une campagne de mesure sur un échantillon de sous-stations montre que la principale raison pour des températures de retour élevées est le sous-dimensionnement de l’échangeur primaire.
Stefan Schneider, Simon Callegari, Rubén Novoa-Herzog, Pauline Brischoux, 

L’intĂ©gration massive de chaleur renouvelable dans les rĂ©seaux de chauffage Ă  distance (CAD) est conditionnĂ©e par la rĂ©duction de leurs tempĂ©ratures de fonctionnement, lesquelles dĂ©pendent Ă  leur tour du niveau de tempĂ©rature des sous-stations individuelles (SST) et des tempĂ©ratures du cĂŽtĂ© secondaire (bĂątiment et/ou systĂšme de distribution) de l’échangeur de chaleur. Abaisser ces tempĂ©ratures peut ĂȘtre particuliĂšrement complexe dans le cas de bĂątiments existants, oĂč les tempĂ©ratures de distribution sont connues pour ĂȘtre Ă©levĂ©es, et oĂč les actions correctives dans les espaces habitĂ©s sont particuliĂšrement difficiles (en particulier pour les bĂątiments rĂ©sidentiels collectifs). Plusieurs techniques de rĂ©duction des tempĂ©ratures au niveau des sous-stations ont Ă©tĂ© proposĂ©es ou sont actuellement Ă  l’étude, mais leur mise en Ɠuvre effective dans les SST existantes dĂ©pend dans une large mesure des conditions prĂ©existantes.

En Suisse, les rĂ©seaux les plus importants en termes de quantitĂ© de chaleur fournie sont Ă©galement ceux dont les tempĂ©ratures d’alimentation sont les plus Ă©levĂ©es (90–110 °C) [1]. Cependant, Ă  l’intĂ©rieur des bĂątiments, les tempĂ©ratures d’approvisionnement pour le chauffage des locaux sont gĂ©nĂ©ralement infĂ©rieures Ă  60 °C pour une tempĂ©rature extĂ©rieure de –5 °C, mĂȘme dans les bĂątiments non rĂ©novĂ©s, de sorte que l’eau chaude sanitaire (ECS) est gĂ©nĂ©ralement responsable du besoin de tempĂ©rature le plus Ă©levĂ© [2].

D’ici 2035, GenĂšve ambitionne de couvrir entre 25% et 30% des besoins en chaleur (contre environ 10% en 2023) du parc bĂąti avec des rĂ©seaux de CAD, qui devront ĂȘtre alimentĂ©s Ă  80% par des Ă©nergies renouvelables ou de rĂ©cupĂ©ration. Cet objectif implique de rĂ©duire le niveau de tempĂ©rature de son rĂ©seau principal d’au moins 20 °C. Cela reprĂ©sente un dĂ©fi de taille, compte tenu du nombre important de SST impliquĂ©es et du nombre de clients potentiellement impactĂ©s.

LE CAS D’ÉTUDE: RĂ©seau CAD-SIG

Niveaux de température

Le principal rĂ©seau de GenĂšve CAD-SIG construit dans les annĂ©es 1960 fournit 359 GWh/an de chaleur Ă  214 SST. Les niveaux de tempĂ©rature de 110 °C/70 °C (aller/retour) sont relativement Ă©levĂ©s et correspondent aux rĂ©seaux de 2Ăšme gĂ©nĂ©ration (2GDH). L’extension de ce rĂ©seau, tout en augmentant la proportion de chaleur renouvelable, soulĂšve des questions quant Ă  quelle(s) option(s) privilĂ©gier. Cela concerne entre autres la transformation complĂšte ou partielle du rĂ©seau actuel en un rĂ©seau 3GDH Ă  90 °C/45 °C (aller/retour).Une sĂ©rie de scĂ©narios prospectifs permet de valider la faisabilitĂ© des objectifs visĂ©s pour 2035, mais aussi de mettre en Ă©vidence la question de la rĂ©duction de la tempĂ©rature du CAD comme un problĂšme clĂ©. Les 3 options envisagĂ©es sont:

  1. L’extension du rĂ©seau actuel Ă  un rĂ©seau haute tempĂ©rature (2GDH), qui limite intrinsĂšquement la fraction de chaleur renouvelable Ă  75%;
  2. Le maintien du rĂ©seau Ă  haute tempĂ©rature existant (2GDH) combinĂ© avec une extension Ă  un niveau de tempĂ©rature plus bas (3GDH), permettant d’atteindre une fraction renouvelable de 80%;
  3. La conversion de l’ensemble du rĂ©seau (existant + extension) en 3GDH, atteignant une fraction renouvelable de 82%. L’évaluation de ces scĂ©narios montre que l’atteinte de l’objectif passe par une conversion partielle ou totale d’un rĂ©seau 2GDH Ă  3GDH.
Typologies de sous-stations

La figure 1 illustre l’architecture la plus courante des SST de CAD-SIG. Elle comprend un Ă©changeur de chaleur primaire appartenant Ă  l’opĂ©rateur du CAD, qui alimente en chaleur le cĂŽtĂ© secondaire, appartenant au client. Une vanne motorisĂ©e contrĂŽle le dĂ©bit primaire, afin de respecter la tempĂ©rature de consigne pour la distribution du cĂŽtĂ© secondaire. Un compteur de facturation branchĂ© sur le cĂŽtĂ© primaire de l’échangeur permet de mesurer la demande thermique globale, mais pas la sĂ©paration en chaleur pour le chauffage et la prĂ©paration de l’ECS.

Cette architecture de base peut ĂȘtre classĂ©e en trois typologies principales, en termes de facturation/comptage et de connexions en aval:

  1. Echangeur primaire unique: un compteur de facturation par Ă©changeur primaire;
  2. Multiples échangeurs primaires: un compteur de facturation pour plusieurs échangeur primaires, connectés en parallÚle (typiquement dans le cas de plusieurs allées de bùtiments avec un propriétaire ou un organisme administratif commun);
  3. Connexion d’un sous-rĂ©seau: CAD-SIG alimente un sous-rĂ©seau local privĂ© (typiquement un rĂ©seau de quartier anciennement alimentĂ© par des combustibles fossiles), avec sa propre architecture de SST.

 

ANALYSE DU RÉSEAU CAD-SIG

L’analyse du rĂ©seau CAD-SIG est faite en deux Ă©tapes. Pour commencer les diffĂ©rentes SST sont classĂ©es en fonction de leur influence sur la tempĂ©rature de retour du rĂ©seau. Ce classement permet de repĂ©rer les SST les plus problĂ©matiques et de prioriser les interventions. La deuxiĂšme Ă©tape consiste Ă  faire un audit plus complet d’un Ă©chantillon de SST pour diagnostiquer la ou les causes des tempĂ©ratures de retour Ă©levĂ©es.

Classement des SST en fonction de l'influence sur la température de retour

Afin d’évaluer l’impact d’une SST spĂ©cifique sur la tempĂ©rature de retour du CAD, nous utilisons la mĂ©thode du volume excĂ©dentaire [3], qui permet une analyse prĂ©liminaire et un classement sur la base de la demande de chaleur annuelle (QSST) et du volume utilisĂ© (VSST) par chaque SST. La mĂ©thode consiste Ă  calculer/comparer la diffĂ©rence de tempĂ©rature de retour du CAD pour les deux situations illustrĂ©es dans la figure 2:

  1. la SST non optimisĂ©e, avec le ∆T primaire et le volume V tels que mesurĂ©s;
  2. la SST optimisĂ©e, avec le volume Vref adaptĂ© de maniĂšre Ă  atteindre le ΔTref de 45 °C, correspondant Ă  un volume optimisĂ©. Le volume excĂ©dentaire Vsup peut ĂȘtre utilisĂ© pour calculer l’influence de chaque SST sur la tempĂ©rature de retour globale du CAD.

Les rĂ©sultats de la figure 3 montrent que la plupart des SST ont un ΔT infĂ©rieur Ă  45 °C, avec seulement 29 SST sur 96 (30%) atteignant l’objectif. Il est intĂ©ressant de noter que les SST ayant l’impact le plus Ă©levĂ© sur la tempĂ©rature de retour du CAD ne sont pas nĂ©cessairement celles qui ont les demandes de chaleur les plus Ă©levĂ©es. En effet, les SST n°3 (443 MWh) et n°78 (965 MWh) ont un impact beaucoup plus important que les SST n°13 (1750 MWh) ou n°45 (3100 MWh) ayant des demandes de chaleur quatre Ă  huit fois plus Ă©levĂ©es.

Enfin, le classement des SST par ordre de leur volume excĂ©dentaire indique que les 8 plus mauvaises d’entre elles totalisent 57% du volume excĂ©dentaire global.

Audit d'un Ă©chantillon de SST
Températures de retour

En complĂ©ment, une campagne de mesure spĂ©cifique, impliquant l’installation de capteurs de tempĂ©rature sur 13 Ă©changeurs primaires, montre que les tempĂ©ratures de retour du cĂŽtĂ© primaire sont Ă©levĂ©es, malgrĂ© des tempĂ©ratures de retour relativement basses du cĂŽtĂ© secondaire (fig. 4). Les Ă©changeurs primaires sont classĂ©s de gauche Ă  droite, par ordre dĂ©croissant de valeur mĂ©diane pour la tempĂ©rature de retour primaire. Ces derniĂšres varient de 86 Ă  56 °C (prim. fr., bleu foncĂ©), avec une dispersion importante. La tempĂ©rature aller du CAD (prim. ch, rouge foncĂ©) est trĂšs stable et d’environ 110 °C. Du cĂŽtĂ© secondaire, la tempĂ©rature aller varie entre 48 et 65 °C (sec. ch., rouge clair), et la tempĂ©rature retour correspondante varie entre 39 et 49 °C (sec. fr., bleu clair).

On constate que les tempĂ©ratures de retour relativement Ă©levĂ©s du cĂŽtĂ© primaire ne sont pas dues Ă  des retours Ă©levĂ©s du cĂŽtĂ© secondaire. En effet, les deux Ă©changeurs ayant le retour primaire le plus Ă©levĂ© (O9_14 et O9_12: 86 et 77 °C) sont Ă©galement ceux ayant le retour secondaire le plus bas (39 et 40 °C). Inversement, l’échangeur ayant l’avant-dernier retour primaire le plus bas (G15: 56 °C) est celui dont le retour secondaire est le plus Ă©levĂ© (49 °C).

Nombre d’unitĂ©s de transfert

Pour une analyse plus approfondie, nous caractĂ©risons chacun des Ă©changeurs primaires ci-dessus en termes de nombre d’unitĂ©s de transfert (NUT), qui relie la surface A et le coefficient d’échange U au plus petit des dĂ©bits primaire et secondaire (Vmin). Les Ă©quations pour le calcul des NUT peuvent ĂȘtre consultĂ©es dans [4] par exemple. La figure 5 montre la tempĂ©rature de retour primaire de chaque Ă©changeur, en fonction de son NUT. Les points reprĂ©sentent le NUT mesurĂ©, tandis que les courbes montrent la tempĂ©rature de retour thĂ©orique en fonction du NUT (c’est-Ă -dire en fonction de la surface de l’échangeur de chaleur).

On constate que les retours primaires Ă©levĂ©s (voir fig. 4) sont dus Ă  des valeurs NUT relativement faibles, gĂ©nĂ©ralement infĂ©rieures Ă  1,5. Avec un NUT augmentĂ© Ă  4 (essentiellement une surface d’échange accrue), tous les Ă©changeurs atteindraient des retours primaires compris entre 43 et 49 °C, sans affecter le fonctionnement du cĂŽtĂ© secondaire. Un ΔT plus Ă©levĂ© du cĂŽtĂ© primaire induirait un dĂ©bit proportionnellement plus faible, libĂ©rant ainsi de la capacitĂ© pour l’extension du rĂ©seau ou la possibilitĂ© d’abaisser la tempĂ©rature aller primaire.

CONCLUSION

Cette Ă©tude porte sur un rĂ©seau de chaleur Ă  distance de 2Ăšme gĂ©nĂ©ration datant des annĂ©es 1960, fournissant 359 GWh/an Ă  110 °C/70 °C (tempĂ©ratures aller/retour). Il est prĂ©vu de baisser sa tempĂ©rature de fonctionnement pour permettre d’augmenter la part de chaleur renouvelable dans son mix Ă©nergĂ©tique.

Tout d’abord, nous utilisons la mĂ©thode du volume excĂ©dentaire pour classer les diffĂ©rentes SST en fonction de leur influence sur la tempĂ©rature de retour du CAD. L’optimisation des SST ayant un volume excĂ©dentaire significatif pourrait conduire Ă  des amĂ©liorations de la performance du CAD et Ă  la rĂ©duction de la tempĂ©rature de fonctionnement. Cependant, la visite des sous-stations sĂ©lectionnĂ©es montre diffĂ©rentes typologies de connexion et de comptage (Ă©changeurs de chaleur simples ou multiples, ainsi que connexion aux sous-rĂ©seaux au niveau du quartier), ce qui rend la supervision automatique, la dĂ©tection et l’interprĂ©tation de niveaux de tempĂ©rature inadĂ©quats plus difficile.

En auditant un ensemble de sous-stations spĂ©cifiques, nous avons observĂ© que dans la plupart des cas, le cĂŽtĂ© secondaire n’est pas responsable des tempĂ©ratures de retour Ă©levĂ©es du cĂŽtĂ© primaire. Bien qu’inattendue, cette situation est sans aucun doute plus facile pour l’opĂ©rateur du CAD, puisque les Ă©changeurs primaires sont sous sa propre responsabilitĂ© et gestion. Des optimisations complĂ©mentaires du cĂŽtĂ© secondaire, qui dĂ©couleraient de la responsabilitĂ© des clients, devraient bien sĂ»r ĂȘtre effectuĂ©es si possible et/ou nĂ©cessaire.

Bibliographie

[1] Quiquerez, L. (2017): DĂ©carboner le systĂšme Ă©nergĂ©tique Ă  l’aide des rĂ©seaux de chaleur: Ă©tat des lieux et scĂ©narios prospectifs pour le canton de GenĂšve. Doctoral Thesis, UniversitĂ© de GenĂšve.

[2] SIA (2020): Norme SIA 385/1:2020. Installations d’eau chaude sanitaire dans les bĂątiments – Bases gĂ©nĂ©rales et exigences

[3] Nussbaumer, T. et al. (2019): Guide de planification Chauffage Ă  distance. ASCAD, SuisseEnergie

[4] KaborĂ©, M. et al. (2012): ModĂ©lisation et caractĂ©risation expĂ©rimentale d’un Ă©changeur Ă  plaque. Archive de École d’ingĂ©nieurs de l’universitĂ© de Savoie (n.d.).

[5] Callegari, S.A. et al. (2023): Strategies and potentials of temperature reduction on existing district heating substations: two case studies. GenĂšve.

 

REMERCIEMENTS

Cette Ă©tude a Ă©tĂ© financĂ©e par l’OFEN et SIG, dans le cadre du projet SWEET DeCarbCH.

Le rapport complet [5] est disponible à l’adresse: https://archive-ouverte.unige.ch/unige:172333

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