Le bassin versant hydrologique du lac de Morat s’étend sur 690 km² dans les cantons de Vaud, Fribourg et Berne. Il est intensément exploité à des fins agricoles sur environ trois quarts de sa superficie et fortement influencé par les activités humaines. Le lac de Morat reçoit les eaux usées épurées d’environ 120 000 habitants, raccordés historiquement à plus de 30 stations d’épuration. Le régime hydrologique de la Broye, cours d’eau principal du bassin versant du lac de Morat, varie de pluvio-nival dans les régions préalpines et le front subalpin à un régime strictement pluvial sur le plateau molassique. Il s’agit d’un bassin versant aux conditions hydrogéologiques et hydrologiques hétérogènes, susceptible de connaître de forts débits lors des périodes de crues et des débits très faibles en période d’étiage (fig. 1).
La région de la Broye compte également parmi les régions de Suisse avec la plus forte croissance démographique (> 2% par an). La pression sur les cours d’eau a donc été fortement accentuée avec un doublement de la population ces 30 dernières années et une diminution importante de la qualité des eaux dans la Broye et ses affluents. Les exigences de qualité des eaux définies dans l’annexe 2 de l’ordonnance sur la protection des eaux (OEaux) sont régulièrement dépassées, notamment pour l’ammonium. Le lac de Morat, quant à lui, est régulièrement confronté à des problèmes d’appauvrissement en oxygène vers la fin de la période de stagnation. Ce phénomène est une conséquence des fortes charges de phosphore biodisponible qui parviennent au lac via ses principaux affluents. Après d’importantes réductions des apports dans les années 1980–2000 à la suite notamment de la construction des STEP et de l’interdiction des phosphates dans les produits lessive, les concentrations en phosphore se sont stabilisées aux alentours de 20 µg/l. Les concentrations d’oxygène dans le lac descendent ainsi souvent en dessous de 4 mg O2/l, ce qui ne permet pas d’éviter des conditions hypoxiques, qui ont des effets négatifs sur les organismes aquatiques et ne respectent pas l’OEaux.
En parallèle, le visage de l’épuration des eaux dans cette région sera fortement modifié dans les prochaines années avec la centralisation du traitement des eaux sur cinq STEP régionales d’une taille de 50 000 EH environ chacune (fig. 2): une dans la Haute Broye (VOG Ecublens, FR), une dans la Moyenne Broye (Lucens, VD), une dans la Basse Broye (Payerne, VD), une dans la région Basse-Broye-Vully (St-Aubin, FR) et une dernière à Morat (Seeland-Sud, FR). L’objectif est de raccorder à terme un maximum de STEP existantes sur ces cinq installations afin d’augmenter l’efficacité globale de traitement, de traiter les micropolluants et de réduire les coûts d’exploitation. En effet, dans leur planification pour l’évacuation et l’épuration des eaux, les cantons de Vaud et Fribourg se sont fixés comme objectif de privilégier les solutions régionales plutôt que locales. Dans ce contexte, les STEP de faible capacité devraient être supprimées à moyen terme, par soucis d’économie, de sécurité de fonctionnement et de protection des eaux.
L’objectif des différentes modélisations effectuées est de simuler l’effet de ces projets sur la qualité future des eaux et de déterminer si un renforcement des normes au sens de l’article 6 de l’OEaux est nécessaire dans un contexte de croissance démographique et de réchauffement climatique. Les résultats pour la simulation du phosphore et de l’ammonium sont présentés ici. Une étude similaire a été effectuée pour le diclofénac (micropolluant).
Les données des stations de mesure situées sur chaque affluent principal du lac Morat ont été utilisées pour quantifier les charges de phosphore total et biodisponible entrant dans le lac. La modélisation s’est concentrée sur le phosphore biodisponible, car il s’agit de la fraction pertinente pour l’appauvrissement en oxygène dans les lacs. Tout le phosphore sortant des STEP est considéré comme biodisponible, alors que seule la fraction dissoute mesurée dans les affluents est considérée comme biodisponible. Le phosphore particulaire est généralement absorbé ou adsorbé sur les particules du sol ou contenu dans les minéraux et la biomasse et sédimente rapidement dans le lac.
La charge de phosphore rejetée par les stations d’épuration a été quantifiée sur la base des valeurs de rejet des STEP. La charge émise par les déversements d’eaux mixtes a été estimée sur la base des valeurs moyennes par habitant. Les données relatives aux sources de pollution diffuse ont été calculées à l’aide du modèle MODIFFUS 3.0 d’Agroscope et calibrées avec les charges mesurées dans les différents affluents. Aucune transformation ou sédimentation du phosphore dans les cours d’eau n’a été prise en compte dans le modèle; la sédimentation ne devrait cependant pas être d’importance dans les cours d’eau du bassin versant du lac de Morat, en l’absence de lacs, retenues et zones alluviales alors qu’une transformation du phosphore est négligeable dans les cours d’eau en raison des faibles temps de séjour dans ces derniers.
La température et le débit de la Broye ont été modélisés à l’aide des mesures de la station de l’OFEV à Payerne pour les années 2016–2019. De manière simplifiée, la température du cours d’eau a été considérée comme constante le long du bassin versant, et une croissance linéaire du débit de l’amont vers l’aval a été prise en compte.
Les charges en ammonium (NH₄-N + NH₃-N) rejetées par les STEP ont été simulées à l’aide du logiciel SIMBA# [1], dans lequel les trois plus grandes STEP en amont de Domdidier et deux STEP de taille moyenne ont été modélisées en s’appuyant sur les données d’exploitation; le rejet des autres STEP a été extrapolé des résultats des simulations en fonction du nombre d’EH (fig. 3). Les rejets dus au déversement d’eaux mixtes par temps de pluie n’ont pas été modélisés, car les concentrations les plus problématiques apparaissent généralement lors de périodes sèches. Un modèle d’abattement de l’ammonium dans le cours d’eau a été adapté du modèle développé par Gujer (1976; [2]) pour la Glatt; les mesures du Canton de Vaud dans la Broye à Domdidier ont servi de base pour la calibration de celui-ci.
Afin de déterminer si une norme de 2 mg N/l d’ammonium (soit l’exigence fixée par l’annexe 3.2 Œaux) sur les futures STEP régionales était suffisante, des simulations ont été effectuées pour les futures STEP régionales de Lucens, Payerne et St-Aubin à l’horizon 2045–2050. La STEP du VOG à Ecublens (FR), située le plus à l’amont du bassin versant, dispose quant à elle déjà d’une norme renforcée à 1 mg N/l. Les futures STEP ont été modélisées dans SIMBA# de manière simplifiée, en considérant pour chacune un traitement biologique par boues activées avec un âge de boues aérobie de 10 jours à 10 °C. Les charges projetées pour l’horizon de dimensionnement et les températures mesurées dans les STEP actuelles ont été utilisées dans la simulation. Cette dernière se veut sécuritaire, car elle résulte en une concentration moyenne de 2 mg N/l d’ammonium en sortie pour une température de 10 °C; or, cette valeur correspond au maximum autorisé. Les données de débit et température de la Broye de 2016–2019 ont été reprises, en considérant une baisse de 20% du débit due au réchauffement climatique. Finalement, le modèle d’abattement calibré pour l’état actuel a été appliqué pour l’état futur.
La charge de phosphore biodisponible qui pénètre actuellement dans le lac Morat s’élève actuellement à environ 18 t/an. 5 t/an sont rejetées par les STEP, tandis qu’environ 1,5 t/an peut être attribuée aux déversements d’eaux mixtes. La pollution diffuse est donc la principale source de phosphore biodisponible dans le lac de Morat, représentant près de 2/3 de la charge totale. Selon une étude antérieure de l’Eawag [3], la charge annuelle entrant dans le lac de Morat ne devrait pas dépasser 11 t de phosphore biodisponible pour atteindre un état méso-eutrophe. Par conséquent, une réduction d’au moins 7 t/an par rapport à l’état actuel devrait être atteinte. Cette valeur cible pourrait même être inférieure en raison de la capacité du phytoplancton à utiliser plus efficacement le phosphore lorsqu’il se raréfie et du réchauffement climatique qui tend à réduire le brassage des lacs en hiver. Les simulations ont montré que si les synergies avec le traitement des micropolluants sur les cinq STEP régionales du bassin versant étaient exploitées avec la mise en place d’une étape de filtration poussée (filtre à sable bi-couche ou filtre à charbon actif en grain), la charge de phosphore rejetée par les STEP pourrait être divisée par deux (fig. 4).
Bien que massive, cette réduction ne suffira pas à ramener le lac Morat à un état méso-eutrophe, mais permettrait tout de même d’atteindre un tiers de l’objectif de diminution. Au vu du coût marginal relativement faible d’un traitement plus poussé du phosphore sur des STEP traitant les micropolluants avec une filtration, une norme renforcée à 0,2 mg/l sur le phosphore (Ptot) est pertinente et économiquement supportable et sera fixée pour les STEP régionales. Des mesures supplémentaires devront toutefois également être prises dans le domaine agricole pour que l’objectif soit atteint.
La norme sur l’ammonium dans la Broye selon l’annexe 2 de l’Œaux s’élève à 0,2 mg N/l quand la température est supérieure à 10 °C et à 0,4 mg N/l autrement. Les simulations tendent à montrer que celle-ci sera globalement bien respectée grâce aux régionalisations de l’épuration. Cela contraste avec la situation actuelle, où de nombreux dépassements ont lieu car une part importante des STEP existantes du bassin versant n’a pas été conçue pour nitrifier.
Pour la simulation en aval de la future STEP régionale située à Payerne, les seuls dépassements ont lieu lors d’un épisode d’étiage correspondant aux données d’octobre 2018 (fig. 5). Durant cette période de deux semaines environ, le débit de la Broye s’élevait à seulement 30 à 50% de son débit d’étiage Q347, tandis que sa température demeurait supérieure à 10 °C; à cela s’ajoute une baisse de la température des eaux de la STEP qui entraîne une diminution des performances de nitrification.
Ainsi, pour la future STEP de Payerne, une norme de rejet de 2 mg N/l sur l’ammonium apparaît comme appropriée pour garantir une bonne qualité des eaux et une norme renforcée ne semble pas pertinente. Les résultats sont similaires pour les futures STEP de Lucens et St-Aubin. Finalement, une analyse des concentrations en ammonium simulées directement à l’aval des STEP régionales selon la méthode du système modulaire gradué (SMG) donne des résultats bons à très bons. En parallèle, la qualité des eaux des autres affluents principaux du lac de Morat (Petite-Glâne, Arbogne et Chandon) sera grandement améliorée avec la suppression de l’entier des rejets de STEP, ceux-ci étant à terme tous centralisés sur la Broye.Â
Les simulations effectuées dans le bassin versant du lac de Morat montrent que la qualité des eaux sera grandement améliorée avec la mise en œuvre des cinq grands projets de régionalisation, et ce malgré la croissance démographique et les effets du réchauffement climatique. Une approche dynamique intégrant l’ensemble d’un bassin versant ainsi que la perspective du milieu récepteur permet de renforcer ou non les exigences de rejet en fonction des besoins réels des milieux aquatiques. Le rapport coût/bénéfice des projets peut ainsi être optimisé.
Le cas du phosphore montre que ramener le lac Morat à un état méso-eutrophe représente un grand défi, car ce lac a un bassin versant relativement important par rapport à sa petite taille. En outre, le réchauffement climatique pourrait compromettre les efforts déployés, car le brassage automnal du lac Morat diminuera, voire s’arrêtera, avec l’augmentation des températures. Toutefois en exploitant au maximum les synergies avec le traitement des micropolluants, les STEP sont en mesure de contribuer de manière importante à la réduction des charges.En ce qui concerne l’ammonium dans la Broye, les projets de régionalisation amélioreront grandement la qualité de l’eau en réduisant fortement la charge émise par les STEP. Dans le cas de la STEP de Payerne, on estime par exemple que la charge émise par la future STEP à l’horizon de dimensionnement sera environ dix fois inférieure à celle de la STEP actuelle, qui n’a pas été conçue pour nitrifier, malgré un nombre d’EH bien plus important.
Â
[1] ifak e.V. Magdeburg (2021): SIMBA#
[2] Gujer, W. (1976): Nitrifikation in Fliessgewässern – Fallstudie Glatt. Schweiz. Z. Hydrologie 38: 171–189
[3] Müller, B.; Schmid, M. (2009): Bilans du phosphore et de l’oxygène dans le lac de Morat. Rapport Eawag pour les cantons de Fribourg (SEN) et de Vaud (SESA)
La méthodologie décrite dans le présent article (phosphore) a été développée dans le cadre d’un mandat attribué par le Service de l’environnement de l’État de Fribourg (SEN), section protection des eaux. Nous remercions chaleureusement le SEN ainsi que les associations intercommunales de l’Épuration Moyenne Broye (EMB) et de l’EPARSE pour le financement des études.
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «AQUA & GAS» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Wasserspiegel» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Kommentare (0)