La pollution des eaux provient principalement de trois sources: les eaux usées domestiques et industrielles, les eaux de ruissellement ainsi que l’agriculture. Dans les réseaux d’évacuation unitaires, l’eau usée est mélangée à l’eau de ruissellement, ce qui provoque des émissions d’eau usée dans le milieu récepteur (eaux de surface) lors des événements pluvieux. En effet, la capacité hydraulique du réseau unitaire ainsi que la capacité de traitement de la STEP étant limitées, des ouvrages de décharge (déversoirs d’orage ou DO) sont installés sur le réseau, qui rejettent l’écoulement excédentaire directement dans le milieu. Des bassins d’orage (BO) complètent parfois le dispositif, permettant de stocker temporairement une partie de l’écoulement afin de couper les pointes de débit et réduire les rejets pollués.
De manière générale, plus le volume de rétention à disposition dans les BO est important, plus le volume de traitement est élevé, réduisant d’autant les rejets pollués au milieu récepteur. Toutefois, la rétention coûte très cher en génie civil et peut être difficile à réaliser en milieu urbain. Dans ce contexte, la gestion dynamique des ouvrages existants, basée sur des prévisions d’écoulement dans le réseau et les ouvrages, permet d’optimiser la rétention pour chaque événement pluvieux. Elle permet ainsi d’exploiter les infrastructures existantes de manière optimale [1–4].
Une telle gestion est développée par Veolia Keyhops et Hydrique Ingénieurs pour l’exploitation du réseau d’égouts unitaire de St-Chamond, ville de 36'000 habitants environ, située dans la région de Lyon en France. Les objectifs de la gestion dynamique développée à St-Chamond, appelée GPR, sont les suivants:
La ville de St-Chamond se trouve dans la Loire, à 50 km au sud-ouest de Lyon, en France. La ville, traversée par le cours d’eau du Gier, souvent souterrain, recense 36'000 habitants. Les précipitations moyennes sont de 665 mm/an, mais elles ont déjà atteint 140 mm/24h [5]. L’activité industrielle y est importante. 71% de la surface du bassin versant urbain (12,6 km2) est imperméabilisée, et le taux de séparatif est de l’ordre de 45%. La STEP de St-Chamond a une capacité nominale de 65'000 EH. Sa filière temps sec fonctionne à 1500 m3/h et sa filière pluviale à 8500 m3/s, soit une capacité totale de traitement de 10 000 m3/h lors des précipitations.
Le réseau d’évacuation unitaire comporte plusieurs ouvrages de régulation et de décharge, dont les principaux sont les suivants (fig. 1):
Le milieu récepteur est constitué par le Gier, cours d’eau piscicole prenant sa source au Pilat (1300 m s.m.) et se jetant dans le Rhône à Givors. Son bassin versant est de 403 km2 à Givors. Le barrage de Soulage, situé à l’amont de St-Chamond, libère un débit d’étiage estival de 300 l/s qui doit diluer les rejets du réseau unitaire de l’agglomération.
La gestion dynamique du réseau est basée sur le concept de jumeau numérique. Le principe est de créer un doublon numérique d’un objet, dans le cas présent du réseau d’évacuation des eaux et de son bassin versant. Ce doublon numérique doit en reproduire les processus, évoluer dans le temps et être connecté en temps réel à son objet grâce à des capteurs. Ainsi, le jumeau numérique est une maquette virtuelle de l’objet réel, qui doit en tout temps correspondre à son état. Grâce à cette qualité, le jumeau numérique devient une entité sur laquelle de nombreuses opérations peuvent être menées sans risque: extraction d’informations, test de scénarios, analyse d’événements passés, prévision en temps réel, et bien sûr gestion dynamique.
Le jumeau numérique effectue les simulations en continu dans le cloud, alimenté par différentes sources de données, dont la supervision de l’exploitant du réseau. Les consignes d’exploitation et alarmes sont envoyées vers la supervision et contrôlent automatiquement la régulation des ouvrages (fig. 2).
Le jumeau numérique [4] est basé sur le modèle de simulation pluie-débit hydrodynamique Routing System (RS), initialement conçu à l’EPFL [6, 7] et développé par Hydrique Ingénieurs. Son module RS URBAN [7, 8], développé spécifiquement pour les zones urbaines, modélise les bassins versants et leur apport en eau dans le réseau selon un concept fonctionnel (fig. 3).
Dans ce modèle, les données d’entrée sont les précipitations et températures, interpolées spatialement en fonction de la configuration locale. Le coefficient de ruissellement permet ensuite de distinguer les surfaces perméables des surfaces imperméables. Les surfaces perméables produisent de l’infiltration et éventuellement du ruissellement (non pollué), tandis que les surfaces imperméables produisent l’eau de ruissellement considérée comme polluée. Une partie de l’eau de ruissellement (ER) s’écoule dans le réseau unitaire en fonction du taux de séparatif, alors que l’eau claire parasite (ECP) est issue de l’infiltration et fonction d’un paramètre de calage (TauxECP). L’eau usée domestique et industrielle est définie selon un cycle de consommation horaire et journalier, modulé par le nombre d’équivalent-habitants (EH). L’écoulement dans le réseau unitaire est la somme de l’eau usée domestique et industrielle, de l’ECP et de l’eau de ruissellement.
Le calcul de la charge pollutive est aussi réalisé, permettant un bilan des flux de matières en suspension (MES) et d’ammonium (NH4+). Les MES sont générées par le bassin versant en considérant une accumulation linéaire par temps sec et une érosion lors des précipitations, basée sur le concept de la tension de frottement. Les MES générées par les eaux usées sont admises à concentration constante. Trois sources d’ammonium sont ainsi considérées: les habitants (cycle horaire), l’industrie (concentration constante) et l’eau de ruissellement (concentration constante).
La méthodologie suivie se base sur plusieurs étapes de développement et de vérification du système. Les détails des principales étapes réalisées dans ce projet sont présentés ci-dessous:
L’objectif d’automatisation de l’enclenchement de la filière pluviale de la STEP est atteint si le taux de fausse alarme (FAR) est inférieur à 10 %, pour autant que la probabilité de détection soit significative. En effet, chaque fausse alarme conduit au remplissage du bassin de traitement spécifique, qui doit ensuite être nettoyé, engendrant des coûts d’exploitation non négligeables.
Lors d’une période de test, le système a présenté une performance insuffisante, avec un taux de fausse alerte de 26 % et une probabilité de détection de 65 % sur 12 mois, sur un total de 20 événements observés.
Pour améliorer le système, des algorithmes prenant en compte non seulement les prévisions de débit, mais aussi les observations de débit à la STEP dans les 30 dernières minutes, ainsi que les alertes antécédentes, sont testés (tab. 1). Les algorithmes 1 et 2 évaluent la condition sur les mesures après trois signaux d’alerte (200) successifs, alors que les algorithmes 3 à 5 l’évaluent après deux signaux. De plus, les algorithmes 2 et 3 considèrent les mesures dans les 30 dernières minutes, les autres dans les 20 dernières minutes.
La figure 4 illustre la performance des algorithmes décrits dans le tableau 1, appliqués selon deux modèles de prévision: INCA et SPLINE (extrapolation mathématique de la mesure de précipitation, sans donnée radar). La performance de l’algorithme initial (Archives) et celle de l’algorithme 4 sur la période de validation (Validation) est également présentée. Les prévisions SPLINE permettent un meilleur taux de détection (jusqu’à 62%) pour un taux de fausse alarme de 20%. Toutefois, elles ne permettent pas une bonne performance des algorithmes 3 et 4, contrairement aux prévisions INCA. L’algorithme 4 est finalement retenu, étant le plus proche de l’optimum théorique. Sa performance garantit un taux de fausse alarme inférieur à 10%, pour une probabilité de détection de 50%. Cet algorithme permet ainsi de tempérer l’enclenchement automatique de la filière qui ne s’active que si le contexte est favorable.
La régulation du BO Terrenoire se faisait initialement par une consigne d’ouverture de vanne actualisée toutes les dix minutes. La règle initiale, utilisée avant 2020, fixait l’ouverture de la vanne à 30 % par défaut et à 45 % en temps de pluie ou si le bassin atteignait une hauteur de 1,3 m. Cette consigne ne considérait ni information prévisionnelle, ni information sur les débits à l’aval du BO.
En 2020, un premier algorithme est implémenté sur la base du jugement d’expert. L’algorithme considère non seulement la prévision d’apport à la STEP dans les prochaines 60 minutes, mais aussi le débit prévu dans la conduite en amont du DO Wilson, dont la capacité est limitée (fig. 5). Le principe est que le débit sortant du BO est limité à 0,1 m3/s lorsque le débit maximum prévu à la STEP n’excède pas un premier seuil. Le débit sortant du BO est ensuite fortement limité si l’apport à la STEP augmente et dépasse 0,695 m3/s. La capacité du réseau au DO Wilson est alors considérée à 0,1 m3/s.
L’algorithme optimisé conserve la première limitation à 0,1 m3/s. Toutefois, lorsque le débit maximum prévu à la STEP dépasse 0,55 m3/s, le débit sortant du BO peut atteindre la réserve de capacité prévue dans la conduite, mais au maximum 0,2 m3/s. Lorsque le débit maximum prévu à la STEP atteint 2,5 m3/s, le débit sortant du BO est à nouveau restreint. La capacité du réseau au DO Wilson est maintenant considérée à 0,2 m3/s.
L’algorithme optimisé permet ainsi une meilleure utilisation du volume de rétention à disposition, en réduisant la réserve de capacité du réseau en aval. La figure 6 illustre l’influence des différents algorithmes sur les volumes déversés sur une année au BO Terrenoire, à la STEP et au DO Wilson pour les trois algorithmes présentés, en situation de prévision parfaite (situation historique jusqu’à 2020). 50'000 m3 sont déversés au total selon la configuration «historique». Les prévisions parfaites permettent, avec l’algorithme initial (2020), de diminuer ce volume de 48%, pour un total de 24'000 m3. Finalement, l’algorithme optimisé permet limiter encore le volume déversé à 20'000 m3.
La figure 7 montre que l’incertitude des prévisions réelles impacte négativement la performance du système et ne permet de diminuer effectivement que de 17% le volume total déversé avec l’algorithme initial (2020), et de 19% avec l’algorithme optimisé. Les rejets totaux représentant ainsi le double de ce que permettraient d’obtenir les prévisions parfaites. On observe à travers cette analyse que l’incertitude des prévisions réelles impose une limite à l’optimisation. Toutefois, le potentiel du système à moyen terme est très intéressant, mais nécessite une amélioration des prévisions réelles.
Deux propositions de modifications légères d’infrastructures existantes sont présentées, issues d’observations faites lors de la mise au point du système (fig. 8).
La première vise Ă augmenter la capacitĂ© de rĂ©tention du BO Terrenoire en surĂ©levant de 20 cm le seuil de dĂ©versement. Le BO, ne se remplissant jamais jusqu’à sa pleine capacitĂ©, libère un volume inÂutilisĂ© excessif. Il s’agit alors de tester cette surĂ©lĂ©vation par une simple poutre mĂ©tallique.
La deuxième proposition vise à diminuer les rejets au DO Lafayette en surélevant le déversoir frontal, afin de réduire la fréquence des déversements au Gier et augmenter le volume d’eau acheminé à la STEP. En effet, l’analyse comparative des données de diagnostic permanent a montré que la fréquence des déversements au DO Lafayette est largement supérieure à celle de la STEP, située juste en aval du DO. Il s’agit alors de tester une augmentation du débit vers la STEP de 100 l/s à 200 l/s, qu’il est possible d’obtenir par un rehaussement du seuil frontal de 10 cm.
La figure 9 illustre la réduction des volumes déversés avec une ou deux propositions considérées. Le rehaussement de la hauteur maximale du BO Terrenoire permet localement une diminution du volume déversé de 30% (17'241 m3/an). Comme le débit libéré du bassin d’orage est augmenté, le volume déversé à l’aval au DO Wilson augmente de 15% (71 m3/an). Toutefois, le bilan global est largement positif, avec une diminution de 9% des volumes déversés sur l’ensemble du réseau.
Le deuxième aménagement permet d’acheminer plus d’eau à la STEP grâce à la diminution de 60% (10'265 m3/an) du volume déversé au DO Lafayette. En contrepartie, une augmentation de 4% (317 m3/an) est constatée à la STEP. Finalement, les deux aménagements combinés permettent de réduire de 14% (27'187 m3/an) le volume rejeté sur l’ensemble du réseau.
Cette analyse démontre l’intérêt du jumeau numérique, non seulement pour la gestion dynamique, mais aussi pour la découverte et l’évaluation aisée de propositions d’amélioration du système.
Finalement, le jumeau numérique est valorisé pour l’estimation des émissions au milieu récepteur. Le tableau 2 synthétise la diminution des rejets annuels de MES et d’ammonium selon les différents scénarios testés. L’utilisation des prévisions INCA dans la gestion du BO Terrenoire doit être combinée à un algorithme optimisé pour aboutir à une réduction des émissions, atteignant 20% de réduction des rejets de MES et 31% des rejets d’ammonium. De plus, la combinaison gestion dynamique temps réel et aménagements constructifs permet de réduire de 21% les rejets de MES et de 34% les rejets d’ammonium, soit une légère amélioration supplémentaire. Pour comparaison, la rétention à la source, qui limiterait par hypothèse le débit d’eau de ruissellement à 20 l/s, permettrait une diminution selon les simulations de seulement 4 à 6% environ.
La réduction des déversements en milieu naturel est l’un des principaux défis de l’exploitation des réseaux d’égouts unitaires. En effet, le surdimensionnement du réseau ou la rétention à la source ne sont que très rarement possible à moyen terme. Néanmoins, une solution peu coûteuse mais très efficace est offerte par la gestion dynamique temps réel des ouvrages, basée sur les prévisions nowcasting, telle qu’implémentée dans le réseau d’égouts de St-Chamond.
Dans cet exemple, la réduction des rejets non traités au milieu récepteur est obtenue par une combinaison de trois solutions: automatiser le système d’enclenchement de la STEP, optimiser la rétention au BO Terrenoire, et améliorer les infrastructures existantes par des mesures constructives légères. Les trois principaux résultats obtenus sont les suivants:
Malgré ces résultats encourageants, des améliorations supplémentaires sont possibles. Pour améliorer la performance du système d’enclenchement de la STEP, une piste est l’installation de mesures temps réel de débit supplémentaires en amont, permettant d’évaluer plus précisément les écoulements réels dans le réseau en début d’événement et de retarder la décision.
L’algorithme de régulation du BO Terrenoire pourrait certes encore être amélioré, mais le volume du bassin et la capacité du réseau aval imposent une limite qui, grâce à l’optimisation présentée, est presque atteinte. Ce sont donc d’autres pistes, comme l’amélioration de la robustesse de la modélisation pluie-débit, qui permettraient de préciser la répartition spatiale des écoulements de ruissellement. L’écoulement réel au DO Wilson serait alors mieux estimé, et la consigne de débit au BO Terrenoire plus fine. Pour y parvenir, l’installation de pluviomètres supplémentaires permettrait de mieux représenter spatialement les précipitations et donc de mieux paramétrer les caractéristiques des bassins versants. Bien entendu, l’amélioration de la prévision radar (INCA) aurait un impact extrêmement favorable. Cependant, il s’agit d’un travail de très longue haleine déjà engagé par de nombreux experts en Europe.
Au final, la gestion dynamique des réseaux, appuyée par un jumeau numérique et en particulier la combinaison entre prévision des écoulements et optimisation des ouvrages en temps réel, apporte des solutions efficaces et peu coûteuses en comparaison de mesures de génie civil. Ces bénéfices sont obtenus non seulement en phase d’exploitation, mais aussi lors du développement du système, car cette étape nécessite une prise de connaissance des ouvrages et finalement une meilleure maîtrise du réseau par tous les acteurs du projet.
[1] Baumgartner D. et al. (2019): Gestion des eaux urbaines par temps de pluie. Directive Association suisse des professionnels de la protection des eaux
[2] Elsener, J. et al. (2019): Echtzeit-Monitoring für das ERM-Abwassersystem. Aqua & Gas 10/2019: 62–69
[3] Hammond, M. J. et al. (2015): Urban Flood Impact Assessment: A State-of-the-Art Review. Urban Water Journal 12(1): 14–29. DOI: 10.1080/1573062X.2013.857421
[4] Jordan, F.; Gerber, P.; Heller, P. (2021): Gestion intégrée du réseau – l’idée de digital twin pour la valorisation des données temporelles et l’aide à l’exploitation. Proc., Forum ARPEA-VSA-GRESE «Le traitement des eaux à l’heure du big data», arpea mag. 286, Genève
[5] Climatologie globale à Saint-Etienne - Bouthéon - Infoclimat. https://www.infoclimat.fr/climatologie/globale/saint-etienne-boutheon/07475.html (visité le 11/05/2021)
[6] Jordan, F. (2007): Modèle de prévision et de gestion des crues – Optimisation des opérations des aménagements hydroélectriques à accumulation pour la réduction des débits de crue. PhD thesis n°3711, École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Lausanne, Switzerland
[7] Jordan, F.; Boillat, J.-L.; Martinerie, R. (2010): Modélisation du réseau d’assainissement de la ville de Lausanne – Outil de diagnostic et de planification. gwa – Gas-Wasser-Abwasser 3/2010: 199–208
[8] Kleiner, A.; Jordan, F. (2017): Projet d’autosurveillance des réseaux d’assainissement genevois. Proc., «Hydraulique des canalisations» VSA, 3e séminaire, pp 123–135, ed. M. Pfister, HES-SO, Fribourg
[9] Barton, Y. et al. (2020): A method for real-time temporal disaggregation of blended radar-rain gauge precipitation fields. Meteorological Applications 27(1). DOI: 10.1002/met.1843
Les auteurs remercient Keyhops, entité du groupe Veolia OTV, pour la mise à disposition des données temps réel et l’interconnexion à la supervision du réseau de St-Chamond, ainsi que la société Veolia Eau France pour la mise à disposition du personnel et des ressources permettant de réaliser le projet.
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