Ces dernières années, les stations d’épuration (STEP) ont été de plus en plus perçues comme des sources d’énergie. Les STEP modernes épurent les eaux usées, mais valorisent également les boues d’épuration produites ou les eaux usées comme matière première ou source d’énergie. Le gaz d’épuration (ci-après biogaz) produit par la digestion des boues d’épuration peut être utilisé de différentes manières. Il peut par exemple alimenter des installations de cogénération CCF «Couplage Chaleur-Force» qui génèrent du courant électrique renouvelable et de la chaleur résiduelle, pouvant chauffer la digestion des boues et les bâtiments de service ou bien même alimenter les réseaux de chauffage à distance. L’électricité produite peut aussi être utilisée pour des variations rapides de consommation et donc sécuriser l’approvisionnement en électricité. Une autre forme d’utilisation du biogaz, de plus en plus répandue, consiste à l’injecter dans le réseau de gaz naturel après une étape de purification. Actuellement, le nombre de ces installations augmente car elles présentent l’avantage de pouvoir transporter le gaz produit et ainsi le stocker à court terme dans le réseau de gaz urbain.
Les associations VSA et InfraWatt ont élaboré, avec le soutien de l’Office fédérale de l’énergie (OFEN), une aide à la décision [1] ayant pour objectif de montrer aux exploitants et aux planificateurs l’utilisation la plus rationnelle du biogaz dans l’avenir. Elle se concentre sur les deux procédés éprouvés que sont la cogénération de courant électrique et de chaleur par CCF ainsi que la purification et l’injection dans le réseau de gaz naturel. Les avantages et inconvénients écologiques, régionaux et économiques des différentes solutions sont pris en considération.
Le biogaz est une source d’énergie renouvelable qui est produite en permanence dans un grand nombre de STEP suisses. Il est principalement utilisé pour la production de courant électrique avec utilisation simultanée de la chaleur résiduelle (cogénération) ou uniquement pour le chauffage (principalement dans les petites STEP). En outre, le biogaz peut être traité de façon à obtenir une composition comparable au gaz naturel (biométhane) et être injecté dans le réseau de gaz urbain.
Après la digestion, le biogaz est déshumidifié dans un échangeur de chaleur. Ensuite, les composés de silicium et de soufre sont éliminés dans un filtre à charbon actif. Le travail mécanique généré lors de la combustion (moteur ou turbine à gaz) est transformé en énergie électrique au moyen d’un générateur. La chaleur résiduelle produite (eau de refroi-dissement, gaz d’échappement) peut être utilisée pour le chauffage. Les deux procédés utilisés le plus fréquemment sont l’installation CCF et, dans une moindre mesure, la microturbine à gaz (pour plus de détails voir [1]).
Le biogaz est constitué en grande partie (environ 60 à 65%) de méthane (CH4) et de gaz carbonique (CO2). Suivant le procédé, le biogaz est prétraité (déshumidification, désulfuration, etc.). Ensuite, le CO2 et le CH4 sont séparés. Le biométhane ainsi obtenu est amené à la pression du réseau, odorisé et injecté dans le réseau de gaz naturel. Le CO2 peut être rejeté dans l’atmosphère ou commercialisé sous sa forme pure en tant que produit. Afin qu’une injection dans le réseau de gaz naturel puisse être autorisée, la qualité du gaz doit être conforme aux exigences de la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE; Directive G13 [2]). Les paramètres les plus importants sont la teneur en méthane du gaz produit – qui doit être supérieure à 96% – et les déperditions de méthane – qui doivent être inférieures à 2,5% par rapport au débit volumique de gaz brut. Les procédés courants de purification sont l’adsorption (PSA), l’absorption (lavage à l’eau, absorption physique ou chimique), la séparation membranaire ou la liquéfaction du CO2 (pour plus de détails voir [1]). Tous les procédés atteignent des concentrations de méthane similaires dans le gaz produit. La consommation d’électricité est également comparable.
Inaugurée en 1971, la station d’épuration de la Ville du Locle comprend principalement deux monoblocs Schreiber pour assurer le traitement des eaux. Au vu de la nécessité d’intégrer une nouvelle étape de traitement des micropolluants et, au préalable, de l’azote, il a été décidé de reconstruire entièrement la STEP du Locle. La nouvelle STEP (voir fig. 1) comprendra un traitement biologique par lit fluidisé de type MBBR (moving bed biofilm reactor) pour l’abattement du carbone et de l’azote puis un traitement des micropolluants par charbon actif. Elle sera également équipée d’une filière de traitement des boues d’épuration avec une digestion mésophile (à environ 37 °C) produisant du biogaz. Actuellement, la STEP ne dispose que d’une digestion froide et ne produit ainsi pas de biogaz. La mise en service de la nouvelle STEP est prévue aux alentours de 2025.
Les deux voies possibles de valorisation du biogaz sont les suivantes:
La meilleure solution doit être déterminée individuellement pour chaque STEP selon les conditions cadres locales en termes de faisabilité, rentabilité et durabilité. Pour parvenir au meilleur choix, l’aide à la décision susmentionnée a été appliquée par le bureau d’ingénieurs mandaté, Ryser Ingénieurs SA.
Les quatre étapes illustrées dans la figure 2 représentent les conditions-cadres locales et régionales dont il faut tenir compte, les incidences auxquelles il faut s’attendre et ce qui devrait être pris en considération dans l’analyse économique. Ces quatre étapes seront présentées dans la suite de l’article, sur la base de l’exemple de la STEP du Locle.
Dans cette première étape de l’aide à la décision, il convient de vérifier s’il y a des sources d’énergie dans les environs, afin d’éviter des excédents de production, et si des synergies externes sont possibles. Dans le cas de la STEP du Locle, aucune source d’énergie n’est disponible dans les environs immédiats. Il n’y a pas de chauffage à distance ou d’industrie avec de la chaleur excédentaire.
Il s’agit de déterminer dans le cadre d’un bilan énergétique la quantité d’énergie (électrique et thermique) actuellement produite et consommée dans la STEP. Dans le cas de la STEP du Locle, le bilan thermique a été estimé, car il n’y a pas encore de données d’exploitation de la nouvelle STEP. La demande en chaleur est déterminée principalement par la quantité de boues d’épuration à digérer (voir tab. 1). Le deuxième point à examiner concerne le type d’infrastructure présent aux abords de la STEP: Aucun réseau de chauffage n’est présent aux alentours, ni d’industrie avec de la chaleur excédentaire. Cependant, la présence d’un gazoduc est avérée.
Une fois que les conditions-cadres et l’infrastructure ont été évaluées, les deux variantes de solutions (valorisation en électricité ou en biométhane) peuvent être élaborées dans une étude de variantes afin de les comparer entre elles.
Pour la STEP du Locle, les deux voies de valorisation du biogaz étudiées ont une durée de vie d’environ 15 ans. La base de dimensionnement pour l’étude de variantes a été choisie entre l’état actuel et l’état futur, c.-à -d. à l’horizon 2035. Le tableau 1 fournit les valeurs de base et les caractéristiques calculées ou estimées pour l’étude de variantes.
La digestion sera construite de toute façon pour les deux variantes à étudier, donc ces coûts n’interviennent pas dans la comparaison. De même, les travaux de génie civil sont considérés identiques pour les deux variantes et n’interviennent pas dans la comparaison. Indépendamment de la variante, la STEP est munie d’une chaudière à gaz naturel assurant la redondance (variante CCF: en cas de panne du groupe CCF) ou le chauffage standard (variante injection du biogaz).
Le groupe CCF brûle le biogaz dans un moteur à piston, lequel propulse le générateur produisant de l’électricité. Celle-ci est consommée sur place par la STEP elle-même, ce qui plus intéressant du point de vue financier car la rémunération par kWhél fourni au réseau est nettement plus basse que le prix d’achat de l’électricité. Lorsque la production d’électricité dépasse la consommation, le surplus est fourni dans le réseau public et vice versa (si le CCF ne produit pas assez, on prend l’électricité du réseau). La chaleur du moteur et des gaz d’échappement est récupérée pour chauffer les digesteurs et les locaux selon les besoins. Dans le cas d’un surplus de production de chaleur (p. ex. en été), l’excédent est dissipé à l’aide d’un circuit de refroidissement de secours ou valorisé à d’autre fins (p. ex. séchage de copeaux etc.).
Le biogaz est vendu à l’entreprise de gaz, qui assure sa purification et son injection dans le réseau de gaz naturel de la ville du Locle. Dans cette variante, la STEP met à disposition un local vide ou un radier dans le périmètre de la STEP pour l’unité de purification de l’entreprise de gaz. C’est la STEP qui doit installer une station de transfert du biogaz avec un compteur étalonné servant au calcul des kWh vendus. L’entreprise de gaz reprend le biogaz, s’occupe du prétraitement nécessaire et de la purification (élimination du CO2) ainsi que de l’injection dans le réseau de gaz naturel, après odorisation préalable. Le tableau 2 illustre les deux variantes et les données techniques correspondantes.
La variante 1 présente l’avantage de produire de l’électricité et de la chaleur renouvelables pour le propre usage de la STEP, ce qui implique une économie considérable des frais de chaleur et d’électricité. Cette technique, très répandue dans les STEP suisses où elle a fait ses preuves, donne de plus droit à une probable contribution d’investissement par l’OFEN (actuellement, au moins jusqu’à fin 2022). Cette variante ne présente pas de risques, mais présente l’inconvénient de la déperdition de chaleur en été et d’une installation technique supplémentaire sur la STEP nécessitant un entretien. En outre, les coûts d’investissement pour le détenteur de la STEP sont bien supérieurs à la variante 2, mais les coûts totaux sont inférieurs.
La variante 2 est très avantageuse en termes d’investissement pour la STEP et offre l’avantage que son personnel n’est pas impliqué dans la valorisation du bio-gaz. La dépendance à l’acheteur du biogaz mais aussi une éventuelle augmentation du prix de l’électricité et de gaz (chauffage) représentent un risque. En outre, aucune électricité ou chaleur ne sont produits sur place et le gaz d’épuration doit être brûlé à la torchère lors de pannes ou révisions, ce qui est nuisible à l’environnement. En plus, le principe de produire de la chaleur à l’aide du gaz naturel et de vendre le biogaz correspond à peu près au même processus que de vendre l’électricité provenant de l’installation photovoltaïque et d’acheter l’électricité provenant d’une centrale à charbon.
Une fois les points susmentionnés traités avec succès, la dernière étape de l’aide à la décision implique une évaluation de la rentabilité des deux variantes. Pour ce faire, les frais d’investissement et les coûts de construction, les autorisations nécessaires, les coûts d’exploitation et les charges d’entretien doivent être comparés aux recettes provenant des ventes d’électricité ou de gaz (subventions éventuelles comprises). Au lieu d’une rétribution de l’injection, les STEP peuvent désormais demander une contribution d’investissement à l’OFEN. Elle s’élève à maximum 20% des coûts d’investissement.
Le tableau 3 illustre les coûts d’investissement (±30%) pour les deux variantes, en tenant compte de l’installation CCF elle-même et du filtre à charbon actif (variante 1), de la station de transfert du biogaz (variante 2) ainsi que de l’intégration MCR (Mesure, Contrôle et Réglage), des installations électriques et des frais secondaires (pour les deux variantes) [5].
La différence considérable des coûts d’investissement entre les deux variantes provient du fait que la valorisation est du ressort de la STEP pour la variante 1, tandis qu’elle est externalisée pour la variante 2. Les coûts d’investissement suivants ne font pas partie du tableau 3, car supposés similaires pour les deux variantes:
Les frais annuels se composent du coût du capital des investissements (15 ans de durée de vie, 2% de taux d’intérêts), des frais d’exploitation et d’entretien des installations de valorisation du biogaz ainsi que de l’achat d’électricité et de chaleur supplémentaires (produits par le CCF) pour la variante 2. Les recettes annuelles proviennent de la rémunération de la vente du biogaz pour la variante 2 (voir fig. 3).
La variante 2 est plus coûteuses d’environ 8000 francs par an. En cas de baisse du prix de reprise du biogaz de 20%, les coûts annuels augmentent d’environ 5000 francs par an pour la variante 2. En considérant le prix de revient de 15 cts/kWhél pour l’électricité produite par le CCF, il ne faut pas oublier que la majorité (environ 75%) de la chaleur cogénérée avec l’électricité est consommée sur place et donc «gratuite». Il est à noter que le contribution d’investissement n’est pas prise en compte.
La conclusion de l’analyse multicritère qualitative (sans pondération) démontre que la variante 1 est la plus favorable. Les avantages du CCF prédominent nettement les inconvénients et risques par rapport à la variante 2. La charge d’exploitation est le seul critère où la variante 2 présente un avantage. Sur les plans économique et environnemental, c’est également la variante 1 qui est la plus avantageuse.
La variante avec CCF est donc préconisée. L’expérience corrobore que l’injection du biogaz n’est économiquement intéressante que pour une quantité de biogaz bien supérieure. Selon les premières estimations et les données de base disponibles, le CCF fournirait assez de chaleur pour couvrir les besoins thermiques de la nouvelle STEP (voir fig. 4).
Il s’est avéré que la voie de la valorisation du biogaz dans un CCF est la meilleure variante sur le plan financier et écologique ainsi que du point de vue de l’indépendance pour la STEP du Locle. A l’horizon 2035, l’installation CCF aurait ainsi les caractéristiques suivantes:
Avec une nouvelle installation CCF, la STEP du Locle produira de l’énergie renouvelable de la région et contribuera ainsi à la transition énergétique.
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[1] OFEN/VSA/InfraWatt (2019): Valoriser le biogaz en électricité ou l’injecter dans un réseau de gaz naturel après purification: Aide à la décision pour l’exploitant et le planificateur
[2] SSIGE (2016): G13 – Directives pour l’injection des gaz renouvables
[3] BG Ingénieurs Conseils SA (2020): Nouvelle STEP du Locle – Rapport de dimensionnement
[4] mce-consultants (2020): Cahier des charges –Valorisation du biogaz
[5] Ryser Ingénieurs SA (2020): Valorisation du biogaz de la STEP du Locle, étude de variantes
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