Avec l’extension des zones imperméabilisées, la gestion du risque hydrologique urbain est devenue critique, en Suisse comme dans le monde [1] et ce danger est aggravé par le changement climatique. Par ailleurs, les eaux de ruissellement sont contaminées, c’est pourquoi les normes VSA [2] exigent que les eaux de bien-fonds soient en priorité infiltrées dans un sol biologiquement actif, ce qui est rarement possible dans les centres urbains. Non seulement les sols urbains sont rares, mais ils sont souvent de très mauvaise qualité et donc impropres à infiltrer et épurer les eaux de surface [3]. L’arbre en ville est également victime de ce problème: les plantations sont très coûteuses en raison des aménagements qui les accompagnent, et leurs échecs sont fréquents en raison de la mauvaise qualité des sols, ce qui a un coût social, écologique et économique pour les villes [4], et devrait empirer avec le changement climatique.
Une première expérience conduite à Stockholm a montré le chemin pour répondre à ces différents problèmes de façon intégrée. L’idée est de planter les arbres dans un matériau stable et perméable de façon à la fois à améliorer la reprise des plantations tout en permettant d’y infiltrer une grande part des eaux de ruissellement [5]. Pour cela des matériaux organiques pyrolisés appelés biochars sont utilisés. Les biochars se présentent sous forme de charbons en grains, ils sont rigides et présentent des propriétés intéressantes en termes de stabilité [6, 7]. Ils sont microporeux et peuvent retenir des nutriments et de l’eau, enfin ils séquestrent du carbone étant peu biodégradables [8]. Parallèlement à l’expérience de Stockholm, le groupe Sols et Substrats de HEPIA a développé, en collaboration avec l’institut Ithaka, un Technosol à base de 70% de biochar, le TP70. Le processus de fabrication permet d’activer les biochars (donc de les rendre plus réactifs et rétenteurs), de les charger de fertilisants, et de créer un matériau structuré, très poreux, léger et perméable, de faible densité, stable et aux propriétés épuratrices élevées vis-à -vis des substances dissoutes et des particules [9]. Le TP70 est ainsi bien supérieur par ces propriétés aux biochars qui le composent. L’une des utilisations proposées est similaire à celle de Stockholm, mais avec un spectre d’application plus important. En utilisant le TP70 dans les fosses de plantation on peut en effet sécuriser le développement des arbres, tout en infiltrant et épurant les eaux de chaussée de façon très performante compte tenu de la perméabilité du TP70.
La Ville de Lausanne a imaginé et étudié cette technologie afin de la mettre en œuvre dans le cadre du développement de l’écoquartier des Plaines-du-Loup. Une première fosse de plantation prototype a été mise en place à l’Avenue de Montoie pour déterminer in situ les caractéristiques et le fonctionnement hydrologique de ces fosses, et permettre en particulier de les dimensionner en respect des contraintes de rétention des eaux de ruissellement urbaines. Les résultats observés sur cette fosse sont reportés dans cette article.
Le plan partiel d’affectation (PPA) des Plaines-du-Loup contraint les espaces publics à effectuer pour les surfaces imperméables de la rétention d’eau avec le volume d’une pluie de temps de retour 10 ans et un débit de restitution contrôlé de maximum 20 litres par seconde, par hectare de bassin versant. Le volume offert doit être vidangé en un temps maximal de 4 h 40. Pour que la fosse de plantation puisse jouer ce rôle elle doit satisfaire ces contraintes de volume et de débit.
Le test des propriétés hydrauliques d’un mélange autoporteur TP70-Pierres (TP-P) est l’objectif spécifique de ce projet. Ces propriétés sont analysées sur une maquette de section de fosse à l’échelle 1:1 et sur la fosse expérimentale mise en place sur l’Avenue Montoie à Lausanne. Elles sont comparées aux estimations théoriques faites sur la base des propriétés mesurées en laboratoire.
La fosse se compose de 2 couches principales (fig. 1):
Â
La portance des couches permet de porter les matériaux carrossables de surface sans mise en œuvre de coffres supplémentaires (classe de trafic T1). Une amorce de drain installé en fond de fosse collecte l’eau et la dirige vers l’élément de sortie équipé d’un régulateur de débit correspondant à 20 l/s par ha de bassin versant. Un trop-plein collecte l’eau dans la couche d’aération et l’évacue vers l’élément de sortie (fig. 1).
La fosse pilote a été réalisée à l’automne 2020 dans le cadre du chantier de réaménagement de l’espace public de l’Avenue de Montoie à Lausanne. D’une surface de 88 m2, elle contient une couche de 0,65 cm de TP-P (fig. 1). La pente longitudinale est de 4% et la fosse collecte les eaux d’un bassin versant de 261 m2. Le volume de la fosse a été déterminé à partir de la porosité de drainage rapide estimée du mélange TP-P selon des données obtenues par courbe de désorption du TP70 (tab. 1; [10]). Trois arbres, un Quercus pubescens et deux Pinus sylvestris, y ont été plantés en 2021.
 |    TP70   |    TP-P   |
Drainage rapide (%) | Â Â Â 18 | Â Â Â 29 |
RĂ©tention eau (%) | Â Â Â 54 | Â Â Â 7 |
   dont RFU (%) |    18 |    2 |
   dont RDU (%) |    28 |    4 |
Porosité totale (%) |    70 |    35 |
Une maquette 1:1 en laboratoire permet de faciliter la réalisation de certaines expérimentions. D’un volume de 1 m3 elle contient 0,6 m3 de mélange TP-P sur une hauteur de 66 cm (fig. 5) ce qui correspond proportionnellement au site Montoie à 5,17 m2 de bassin versant. Elle est remplie suivant le protocole appliqué sur la fosse Montoie.
L’arrivée d’eau est contrôlée par une pompe péristaltique réglable (Prominent®, max 400 l/h) et est répartie de manière homogène sur le dessus du TP-P. Un robinet latéral en fond de bac permet de récupérer l’eau dans un bac de sortie.
Les deux dispositifs ont été utilisés pour déterminer:
Â
Est considérée comme porosité de drainage rapide celle dont la vidange en écoulement libre se fait en moins de 4 h 40 pour se conformer aux exigences des directives hydrauliques.
Pour obtenir ces résultats, les dispositifs (fosse et maquette) ont été saturés puis drainés librement en mesurant les débits de drainage jusqu’à l’arrêt des écoulements.
Les différentes porosités (totale et de drainage rapide) ainsi que la capacité de rétention en eau de la maquette ont été mesurées par comparaison entre le volume injecté pour saturer le TP-P et le volume de vidange.
Le remplissage a été réalisé au moyen d’une pompe péristaltique sur une durée de deux heures de manière à ce que la porosité du TP70 soit saturée. Par pesée du volume restant dans le réservoir d’entrée, le volume nécessaire à la saturation de la maquette et correspondant à la porosité totale a été déterminé.
La maquette a ensuite été vidangée via l’exutoire et le volume récupéré en 4 h 40 a été mesuré (par pesée) de manière à estimer la capacité de rétention en eau du TP-P, et sa porosité de drainage rapide. En écoulement libre, la vidange a été constatée en moins de deux heures.
De l’eau a été injectée à un débit de 300 l/min (débit correspondant à la pluie décennale sur le bassin versant) jusqu’à atteindre le niveau du trop-plein. La hauteur d’eau dans le TP-P a été enregistrée en continu au moyen de 4 sondes HOBO© (Onset water level logger 0-4 m) installées en fond de fosse (fig. 6).
Afin de déterminer l’infiltration en fond de fosse, la variation de hauteur d’eau dans la fosse saturée à vidange fermée a été enregistrée. Ceci a permis d’associer à chaque cote de remplissage une vitesse de perte d’eau observée dont il a été tenu compte pour interpréter les chroniques de remplissage et de vidange. Ceci nécessite l’hypothèse que les variations de hauteur lues par les HOBO sont minoritairement dues à des redistributions latérales de l’eau dans la fosse. Ces données ont ensuite été rassemblées pour les différentes sondes HOBO, ce qui permet de calculer une porosité moyenne du TP-P toutes cotes et sondes confondues (donc insensible aux redistributions latérales de l’eau) grâce à l’équation suivante:
  P = ((Vremp + Vinf) * S)/Q
Â
Les porosités totales théoriques et mesurées en maquette ou in situ du TP-P sont présentées dans le tableau 2. Elles varient entre 25,1 et 35% v/v. On note une capacité de rétention (réserve en eau) supérieure aux valeurs théoriques et une porosité de drainage rapide inférieure.
 | Porosité totale (%) | Capacité de rétention (%) | Porosité de drainage rapide (%) |
Théorique |  35 |  7 |  29 |
Maquette | Â 29,3 | 9,4Â | 19,9Â |
Fosse Montoie | Â 25,1 | Â - | Â - |
Tab. 2 Porosités du TP-P en pourcentage volumique: théorique, mesurée sur la fosse Montoie
et sur la maquette 1:1
Les mesures in situ ont montré que la fosse retient un total de 9,37 m3 d’eau avant débordement. Elle respecte ainsi l’exigence de rétention d’eau de 34 l/m2 de bassin versant soit 8,874 m3 pour un bassin versant de 261 m2.
En ce qui concerne la plantation et en considérant de manière théorique: (i) la plantation de trois arbres avec une évapotranspiration moyenne évaluée à 60 litres/jour (période estivale), (ii) la totalité du volume de fosse utilisé par les racines et (iii) la totalité de la porosité fine remplie (suite à un arrosage/précipitation), la réserve facilement utilisable par les plantes (pF 1,7) offre de l’eau disponible pour les végétaux sur une période d’environ 9 jours.
De manière à mettre en relation la dynamique de l’eau dans la fosse de Montoie et la pente (4%), les hauteurs d’eau mesurées par les sondes sont représentées par rapport à un plan horizontal (hydrostatique). La figure 7 présente les cotes de remplissage observées au cours du temps par rapport au niveau hydrostatique. La sonde 4 est excentrée dans une extension latérale de la fosse (voir fig. 6). Bien que la plus proche de l’exutoire, elle ne dépasse pas les 40 cm après 25 minutes alors que de l’eau atteint le trop-plein.
Selon les autres sondes, la fosse se remplit et se vidange plus rapidement au niveau des sondes les plus proches des ouvrages de captation par lesquels l’eau est injectée. Ceci suggère que le débit d’entrée est légèrement supérieur à la conductivité hydraulique du mélange TP-P, ce qui conduit à une montée en charge légèrement plus rapide que l’écoulement de l’eau vers l’aval. Mais l’eau s’infiltre bien dans la fosse sans débordement aux abords des ouvrages de captation d’eau ni passage dans le ballast. La pente des plans d’eau est relativement parallèle à la surface du sol: le volume poral est bien exploré. La question de cloisonner les fosses non perpendiculaires à la pente ou à géométrie non linéaire pourrait se poser mais ce mode de faire entraverait la capacité exploratoire des racines. En outre, la nécessité n’apparaît pas pour une pente de 4%, en raison d’un bon équilibre entre perméabilité du TP-P et vitesse de remplissage. En cas de pente supérieure, le potentiel de rétention pourrait être réduit si une partie du TP-P n’est pas saturée. Ce facteur devra donc être estimé pour des futures fosses en forte pente.
Enfin, la vidange s’est faite plus rapidement que sous débit limité (norme des 20 l/s), la condition de vitesse de vidange étant donc remplie.
Les calculs mettent en Ă©vidence que:
Â
Gérer les eaux des espaces urbains avec ce principe des fosses à impluvium est donc réaliste et déployable.
Â
[1] Pörtner, H.-O. et al. (2022): Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press
[2] VSA (2019): Gestion des eaux urbaines par temps de pluie
[3] OFEV: Sol: En bref. https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/sol/en-bref.html#-808791666. Consulté le 10 août 2022
[4] Gillig, C.M. et al. (2008): L’arbre en milieu urbain, conception et réalisation de plantations. Infolio: Gollion, Suisse
[5] Embrén, B. (2016): Planting Urban Trees with Biochar. The Stockholm Project. The Biochar Journal- Ithaka Institute for Carbon Strategies: 44–47. https://www.biochar-journal.org/en/ct/77
[6] Ding, Y. et al. (2016): Biochar to improve soil fertility. A review. Agron. Sustain. Dev. 36: 36. https://doi.org/10.1007/s13593-016-0372-z
[7] Sohi, S.P. et al. (2010): Chapter 2 – A Review of Biochar and Its Use and Function in Soil. Advances in Agronomy 105: 47–82
[8] Lorenz, K.; Lal, R. (2014): Biochar application to soil for climate change mitigation by soil organic carbon sequestration. J. Plant. Nutr. Soil. Sci. 177: 651–670
[9] Boivin, P.; Guiné, V. (2013): Biochar-based technosols. Evaluation of their potential for effluent depuration applications. Proceedings of the Biochar, Compost and Digestates international conference, Bari, Italy
[10] Boivin, P. et al. (2004): Relationship between Clay Content, Clay Type, and Shrinkage Properties of Soil Samples. Soil Science Society of America Journal 68: 9
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «AQUA & GAS» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Wasserspiegel» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Kommentare (0)