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Article technique
27. février 2018

Clean Water Monitoring Project

Développement d'une sonde multi-paramètres

Tout distributeur d’eau se doit de fournir en permanence un produit de qualité irréprochable. En complément des analyses ponctuelles et des mesures en continu dans les stations de production, les Services Industriels de Genève (SIG), la haute école d’ingénieurs de Genève hepia et Orbiwise SA développent une sonde de mesure de 6 paramètres de qualité d’eau, compacte, installée directement sur le réseau de distribution en fonctionnement, autonome en énergie, à faible maintenance et utilisant la technologie IoT LoRa pour transmettre les données à l’utilisateur.
Pauline Perdaems, Blaise Jeanneret, Nicola Giandomenico, Didier Hélal, 

Introduction

La maîtrise du fonctionnement du réseau et le suivi de la qualité de l’eau distribuée sont déterminants pour anticiper les anomalies techniques et sanitaires, planifier les investissements, optimiser l’énergie, gérer la maintenance et surveiller la qualité, ainsi que les volumes produits et consommés.
Afin de suivre l’évolution de la qualité de l’eau, en plus des mesures déjà effectuées en ligne dans les ouvrages et ponctuellement sur le réseau par le laboratoire, entre 15 et 20 points de mesures en continu répartis sur l’ensemble du canton sont nécessaires dans un premier temps. La possibilité d’avoir une vision en temps réel de l’état du réseau devient une opportunité importante, complémentaire aux mesures ponctuelles actuellement pratiquées. Afin d’entamer cette démarche et en vue d’optimiser les performances de la distribution de l’eau potable, les SIG ont donc décidé d’analyser ce nouveau marché.
L’eau potable est une ressource essentielle, importante pour la santé et le bien-être de tous les êtres humains. Plusieurs études expérimentales [1, 2] indiquent le besoin d’une surveillance en ligne et en continu de la qualité de l’eau [3]. Les méthodes actuelles classiques de contrôle ne peuvent pas satisfaire ces exigences en raison du coût de la main d’œuvre et des coûts opérationnels. Une part importante des cas de contamination est attribuable à des problèmes au sein des systèmes de distribution et en raison du temps relativement long entre deux cycles d’échantillonnages et de mesures par les méthodes classiques de contrôle en laboratoire. Il est ainsi impossible pour les services de distribution de connaître la qualité de l’eau potable livrée, en tout temps.
Compte tenu de la taille des réseaux (longueur des tuyaux) et du nombre de ménages desservis, il est fondamental que l’échantillonnage spatio-temporel soit nettement augmenté. Il faut donc prélever des échantillons de mesure à beaucoup plus d’endroits et plus fréquemment. Par conséquent, le principal défi est de développer un système de détection de polluants à faible coût, précis, à maintenance réduite, énergétiquement autonome et installé in situ dans les conduites.
Les données spatio-temporelles fournies par un tel réseau permettront de faciliter l’interprétation des paramètres mesurés ponctuellement et d’avoir ainsi une meilleure sensibilité en direct de l’état du réseau de distribution. Ces données faciliteront la prise en charge des décisions complexes concernant la qualité de l’eau potable, comprenant la détection et la localisation des dérives de paramètres physico-chimiques pouvant avoir un impact sur la santé.
Par conséquent, le projet «Clean Water Monitoring» propose un changement de paradigme dans la pratique de la surveillance [4]. L’approche choisie permettra d’atteindre une surveillance de la qualité de l’eau plus fiable en raison d’un déploiement plus large des points de mesures et d’une vision en temps réel des paramètres mesurés, avec la possibilité de corréler les résultats [5–7].

BESOINS

Concept global

Les exploitants SIG/Eau Potable ont défini les paramètres à mesurer «essentiels» et «additionnels» (complémentaires à la liste des paramètres essentiels), ainsi que les plages de mesure et la précision voulues (tab. 1). De plus, le coût de fabrication (mécanique, électronique, capteurs) de la sonde ne doit pas dépasser un montant total de 1500 francs par unité.
Dans la figure 1, le concept global du projet est présenté. Les sondes, installées dans les regards, effectuent les mesures et les transmettent de manière sécurisée, via le réseau LoRa (Long Range; une technologie de télécommunication sans fil à longue portée), vers des gateways (passerelles de communication). Ces données sont dès lors disponibles pour l’exploitant à travers des applications dédiées ou au centre de contrôle.
Le défi majeur est d’intégrer tous les capteurs (tab. 1) dans une unique sonde de 40 mm de diamètre, insérée dans une conduite (diamètre compris entre 100 à 500 mm) sans interrompre la distribution d’eau et au travers d’un regard standard.
L’électronique de conditionnement des signaux, la communication sans fil et les capteurs sont alimentés pendant au moins 6 mois (concept de gestion intelligente de l’énergie) sans changement de Batterie. La communication sans fil mise en œuvre est basée sur le protocole émergent LoRaWAN™, conçu pour des applications à faible coût, avec des fonctionnalités spécifiques de communication sécurisée et bidirectionnelle pour l’IoT (Internet des Objets), notamment l’Industrie 4.0.
La sonde comprend une mémoire intégrée permettant de stocker les mesures effectuées avec une période d’échantillonnage configurable (de 5 minutes au minimum) et un module de communication sans fil pour transmettre régulièrement les résultats des mesures (par exemple toutes les heures). Elle peut informer à tout moment des alertes au travers du réseau.
L’ensemble du système est intégré avec le système SCADA du centre de surveillance Eau Potable des SIG; les informations s’affichent sur les tableaux de bord opérationnels. Les opérateurs peuvent également envoyer en retour des commandes spécifiques aux sondes depuis leurs postes de contrôle (p. ex. modifier la configuration de la sonde, lancer des procédures d’étalonnage, modifier la périodicité des mesures).

Capteurs

Parmi la liste des capteurs prévus, les plus délicats à mettre en œuvre sont les trois suivants:

La turbidité

Il s’agit d’une mesure d’opacité relative de l’eau, mesurée en unité de turbidité néphélométrique (NTU). Dans notre cas, c’est une mesure optique qui est mise en oeuvre: la turbidité est proportionnelle à la diffusion d’un rayonnement incident par une particule en suspension; on mesure le flux diffusé au moyen d’une photodiode placée à 90° par rapport à une diode laser, utilisée comme source de lumière incidente [8]. Les solutions existantes ne conviennent pas, car hors spécifications par rapport à la plage de mesure souhaitée (tab. 1). Pour cette raison, un capteur spécifique a été développé avec une sensibilité adaptée aux besoins.

Le chlore résiduel

Nous avons opté pour le procédé ampérométrique, technique électrochimique qui mesure le courant résultant d’une réaction chimique rédox amorcée par la polarisation contrôlée d’une électrode de travail; la concentration en chlore est proportionnelle au courant mesuré. Les capteurs de chlore usuels ne conviennent pas pour ce projet, car de trop grande taille ou non adaptés aux besoins (plage de mesure, sensibilité, précision, consommation).
Pour ce projet, une collaboration avec la société Microsens SA a été mise en place. Microsens SA a en effet développé une petite puce innovante s’inscrivant dans les critères requis [9].

La conductivité

La conductivité électrique d’une solution est mesurée en déterminant le rapport entre courant et tension, lorsqu’elle est parcourue par un courant donné, entre des électrodes séparées d’une distance fixe. Un courant alternatif est utilisé afin d’éviter le phénomène d’électrolyse. Le capteur choisi intègre également le capteur de température placé sur le même substrat que le capteur de conductivité, permettant de compenser la dérive de la mesure en fonction de la température [10].

Autres capteurs dans la sonde

En plus des capteurs ci-dessus, la sonde comprend la mesure de la température, de la pression et également du débit (pouvant être mesuré dans les deux sens). Une information de la température et du taux d’humidité, mesurés hors conduite, est également disponible et indique au centre de conduite les conditions ambiantes présentes dans le regard (fig. 2 et 3).
La conception modulaire de l’électronique pour le conditionnement des signaux provenant des capteurs permet d’intégrer facilement des capteurs supplémentaires, lors d’une future évolution.

Technologie de communications sans fil

La technologie LoRa™ et le protocole LoRaWAN™ [11] permettent la communication dans les bandes en dessous du GHz réservées par le CEPT Electronic Communications Committee dans sa recommandation ERC 70-03 (1997, mise à jour le 9 octobre 2013) dans l’annexe 1 «Non Specific short-range devices» autorisant les modulations à étalement de spectre. Les fréquences qui sont utilisées dans le projet ne nécessitent pas de licence (a contrario de la téléphonie mobile).
La solution s’appuie sur un réseau de stations de bas à très faible coût qui peuvent être installées:

  • soit en extĂ©rieur, de prĂ©fĂ©rence sur des points hauts et connectĂ©es Ă  internet via une connexion sans fil cellulaire ou via une connexion filaire par câble Ethernet. Elles couvrent dans ce cas un rayon de 10 km ou plus en zones dĂ©gagĂ©es;
  • soit en intĂ©rieur, connectĂ©es Ă  internet via une connexion filaire par câble Ethernet ou via une connexion sans fil de type WiFi. Elles ont dans ce cas une couverture de quelques centaines de mètres de Rayon.

Cette infrastructure, dont le cœur logiciel fonctionne sur des serveurs centralisés, permet à l’utilisateur de pouvoir récupérer à distance les données générées par les objets communicants, transmises dans l’air, reçues par les stations de base. Les puissances d’émission sont inférieures à 50 mW pour les objets et inférieures à 500 mW pour les stations de base.
Les données de mesures reçues sont ensuite mises à disposition au moyen d’interfaces simples de requêtes vers des bases de données. Un centre de contrôle peut ainsi interfacer son système SCADA avec le réseau de communication sans fil.
Les réseaux LPWAN (Low Power Wide Area Network) basés sur le protocole LoRaWAN présentent le plus haut de niveau de sécurité disponible aujourd’hui pour l’Internet des Objets. Le protocole de communication LoRaWAN intègre les standards de sécurité les plus récents. Un mécanisme d’authentification mutuelle entre le réseau et l’objet connecté permet que seuls des éléments autorisés puissent établir un lien de communication. Chaque objet dispose d’une clé AES (Advanced Encryption Standard) 128-bit et d’un identifiant global unique basé sur EUI-64 (64-bit Extended Unique Identifier). Chaque réseau a également un identifiant global unique sur 24-bit alloué par l’Alliance LoRa. Les trames échangées entre le réseau et l’objet sont encryptées de bout en bout. L’intégrité est assurée par deux clés de sessions:

  • La clef NwkSKey entre le rĂ©seau et l’objet qui protège la donnĂ©e transportĂ©e et les commandes du protocole rĂ©seau.
  • La clef AppSKey assure l’encryptage de la donnĂ©e depuis l’objet jusqu’à l’utilisateur final qui sera seul Ă  pouvoir la dĂ©coder et l’interprĂ©ter.

En plus de la sécurité intrinsèque au protocole de communication, le serveur de réseau est installé sur un data center sécurisé, capable de résister à tous les types d’attaques (notamment du type «déni de service»). Les liens de communication entre les passerelles et le serveur de réseau, ainsi qu’entre le serveur de réseau et les applications utilisant les données, sont authentifiés encryptés.

ouverture de session

MATERIELS ET METHODES

Le projet est actuellement en phase de finalisation des tests sur banc et des premières installations sur le réseau. En raison de la grande variété et de la complexité des capteurs, de l’interaction entre l’électronique, la communication et la mécanique, il a fallu décomposer les tâches de validation et d’étalonnage. Certains tests ont été réalisés dans le laboratoire d’électronique de hepia, d’autres dans les installations de SIG, afin d’être le plus proche possible des conditions d’utilisation finales. La validation des mesures du chlore résiduel, de la conductivité et de la turbidité a été effectuée à l’aide d’échantillons préparés et contrôlés. Puis la comparaison s’est faite avec des appareils de référence, permettant des mesures contradictoires en continu.
Du point de vue des essais mécaniques, les étapes permettant d’insérer et de retirer la sonde sous pression ainsi que la validation du maintien de l’étanchéité ont également été validés sur le banc de test. Il a été possible d’augmenter la pression jusqu’à des valeurs au-delà des spécifications, sans constater de fuites ou défauts d’étanchéité lors des manipulations. La figure 4 montre un des bancs de test utilisé.

MISE EN SERVICE DES SONDES: RESULTATS

La première sonde a été installée sur le réseau début décembre 2017 (fig. 5), la seconde étant prévue en janvier 2018. Dans cette phase de tests de performance, il est prévu d’en installer 4 au total, à différents points du réseau de distribution.
Les mesures sont actuellement effectuées et transmises toutes les 5 minutes. Dans la figure 10, nous pouvons visualiser, à titre d’exemple, les paramètres de conductivité, température et pression de l’eau sur une période allant du 10 décembre à fin décembre 2017. Ces images sont tirées de l’outil de visualisation (fig. 6), disponible sur une page internet affichée depuis un browser. Ces mêmes informations, stockées dans une base de données sécurisée, sont disponibles pour le centre de contrôle de SIG.

CONCLUSION

Le projet «Clean Water Monitoring» est très prometteur afin d’améliorer le contrôle des opérations et la surveillance du réseau de distribution d’eau. Au moment de la rédaction du document, les premiers essais sur le réseau sont en cours. Nous envisageons de laisser les sondes pendant 6 mois afin d’identifier les éventuelles imperfections et le comportement de la sonde durant sa durée d’utilisation, avant maintenance. Cette période sera utilisée pour améliorer le produit et préparer sa phase
d’industrialisation.

Bibliographie

[1] Aisopou, A.; Stoianov, I.; Graham, NJ. (2012): In-pipe water quality monitoring in water supply systems under steady and unsteady state flow conditions: a quantitative assessment. Water Research 46: 235–246
[2] Blîndu, I. (2004): Outil d’aide au diagnostic du réseau d’eau potable pour la ville de Chisinau par analyse spatiale et temporelle des dysfonctionnements hydrauliques. Thèse, Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne et Université Jean Monnet
[3] Hall, J. et al. (2007): On-line Water Quality Parameters as Indicators of Distribution System Contamination. Journal AWWA 99: 66–77
[4] Lambrou, T.P.; Panayiotou, C.G.; Anastasiou, C.C. (2012): A Low-Cost System for Real Time Monitoring and Assessment of Potable Water Quality at Consumer Sites. IEEE Sensors 2012: 28–31
[5] Panguluri, S. et al. (2009): Distribution System Water Quality Monitoring: Sensor Technology Evaluation Methodology and Results. A Guide for Sensor Manufacturers and Water Utilities, U.S. Environmental Protection Agency
[6] Wu, Q. et al. (2010): Application of GPRS Technology in Water Quality Monitoring System. World Automation Congress (WAC), 2010
[7] SWAN, Smart Water Network Forum (2012): The Value of Online Water Network Monitoring
[8] Lambrou, T.P.; Anastasiou, C.C.; Panayiotou, C.G. (2009): A Nephelometric Turbidity System for Monitoring Residential Drinking Water Quality. International Conference on Sensor Applications, Experimentation and Logistics, Sensappeal 2009: Sensor Applications, Experimentation, and Logistics pp 43–55
[9] Microsens SA: Specification and datasheet of the MAES-2402, Chlorine (HOCl) Sensor. http:/microsens.ch/products/pdf/MAES_flyer.pdf
[10] IST Innovative Sensor Technology: Basic theoretical introduction. http://www.ist-ag.ch/eh/ist-ag/resource.nsf/imgref/Download_BC_E1.2.pdf/$FILE/BC_E1.2.pdf
[11] LoRa Alliance: www.lora-alliance.org

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier l’OSAV ainsi que le FOWA (fonds de recherche suisse pour l’eau) de la SSIGE pour leur soutien financier.

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