Les lacs en Suisse fournissent une part non négligeable de l’eau à de grandes agglomérations. Ainsi l’eau potable de la ville de Zurich et de 67 communes environnantes provient essentiellement du lac de Zurich (70%) [1]. Le lac Léman constitue également une source majeure d’eau potable, après traitement, pour les villes de Lausanne (55%), de Genève (90%) et leurs communes limitrophes [2, 3]. Il est donc primordial, pour les distributeurs d’eau de ces différentes villes, de connaître la qualité de leurs eaux de surface de manière à déterminer les traitements les plus appropriés pour fournir une eau potable irréprochable pour le consommateur. Une source de pollution fréquente de ces lacs est constituée par les rejets des eaux des stations d’épuration. En effet, comme la plupart des stations d’épuration ne sont pas équipées pour le traitement des micropolluants, des concentrations de ces substances peuvent être détectées dans l’environnement aquatique. La présence de ces micropolluants dans les eaux de surface et dans l’eau potable est un sujet de préoccupation et d’investigation important pour les différents fournisseurs d’eau en Suisse car ces substances peuvent présenter un risque pour la santé humaine et/ou pour l’environnement.
Les nouveaux développements analytiques ont permis ces dernières années de chercher et de détecter de multiples substances chimiques dans les eaux. Cependant, ces programmes de monitoring se sont principalement focalisés sur les pesticides et les médicaments (par exemple, le programme d’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA, les études de la Commission Internationale pour la Protection des Eaux du Léman (CIPEL), les analyses menées par les différents services cantonaux ou municipaux suisses). La division «Contrôle de l’eau» du Service de l’eau de la ville de Lausanne procède ainsi à l’analyse de 280 substances chimiques dont 115 pesticides et médicaments. Or, ces groupes ne contiennent qu’une petite partie des substances chimiques quotidiennement utilisées en Suisse. En effet, si environ 400 pesticides sont homologués en Suisse, ce ne sont pas moins de 6000 substances cosmétiques qui sont autorisées en Europe [4].
Très peu de substances provenant de ces produits cosmétiques sont analysées actuellement dans les eaux de surface et dans l’eau potable. Or, des études sur les effets de certaines de ces substances cosmétiques ont démontré la nécessité de les surveiller dans les eaux. P. ex., certains parabènes, utilisés dans les gels douche et les shampooings comme conservateurs, ont suscité la polémique au début des années 2000 après qu’une étude a suggéré la possibilité d’une activité œstrogénique de ces substances dans des tissus mammaires, ayant pour conséquence une induction des cancers du sein [5]. Des effets œstrogéniques ont également été mis en évidence sur des organismes aquatiques [6]. Suite à ces différentes études, en 2014, la Commission européenne a décidé d’interdire l’utilisation de l’isopropylparabène, de l’isobutylparabène, du phenylparabène, du benzylparabène et du pentylparabène dans les produits cosmétiques [7].
Si certains conservateurs (parabènes [8], isothiazolinones [9]) et certains filtres UV [10]) sont déjà inclus dans des monitorings, il n’existe pas à notre connaissance de liste prioritaire de substances issues des produits cosmétiques à surveiller dans les eaux. Le Service de l’eau a donc décidé de lancer une campagne d’investigation de substances provenant des produits cosmétiques qui pourraient se trouver sous forme de trace dans les différents types d’eau (eaux usées, eaux de surface, eau potable).
Dans ce contexte, nous avons développé et appliqué une évaluation systématique, appelée aussi méthode de «screening», pour mettre en évidence les substances cosmétiques à surveiller dans l’environnement pour les différents distributeurs d’eau potable au sein de la SSIGE. Par le passé, nous avons déjà procédé à de telles études pour les pesticides (base de données développée par P.- J. Copin pour le Service de l’eau) et pour les médicaments [11], ce qui a entraîné le développement de méthodes analytiques dédiées à ces substances. Les méthodes de «screening» permettent de mettre en évidence les substances problématiques pour la santé humaine et/ou l’environnement en se basant sur des analyses du devenir, de la toxicité et de l’écotoxicité des substances chimiques. Etant donné le nombre important de cosmétiques vendus dans le commerce, les gels douche et les shampooings ont été principalement ciblés dans cette étude.
Les produits cosmétiques sont définis par l’Union européenne comme «toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles» [12]. La définition des produits cosmétiques pour la Suisse est identique à celle de l’Union européenne. Elle est définie dans l’Ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 16 décembre 2016 [13].
Les différents ingrédients qui composent les produits cosmétiques doivent être inscrits sur le produit en question pour informer le consommateur. La liste de ces ingrédients se nomme la déclaration INCI (International Nomenclature of Cosmetic Ingredients). Les règles pour la composition d’un produit cosmétique sont:– Les ingrédients de la liste INCI d’un produit sont classés selon leurs concentrations, en commençant par les concentrations les plus élevées. Ce sont donc les premiers ingrédients qui constituent la plus grande partie du produit. En-dessous de 1% en concentration, les substances peuvent être classées dans le désordre [14, 15].
– Les colorants sont notés à la fin de la liste avec l’abbréviation CI (Color Index) suivie d’un nombre à 5 chiffres correspondant au numéro d’indexation des couleurs [14].
– Les fabricants ne sont pas tenus de préciser les substances odorantes et, généralement, ils regroupent ces substances sous le terme «parfum» [14]. Cependant, 26 composants de parfum (molécules aromatiques) doivent être mentionnés dans la liste INCI lorsque leur concentration est supérieure à :
 – 0,001% dans les produits sans rinçage (par exemple, les crèmes)
 – 0,01% dans les produits à rincer (par exemple, les gels douches et les shampooings)
car ils sont considérés comme allergènes pour l’être humain [15].
Les ingrédients composant les produits cosmétiques sont connus grâce à la liste INCI mais les quantités exactes présentes dans les produits restent secrètes. Chaque fabricant possède sa propre «recette». En règle générale, l’eau est souvent l’ingrédient principal des gels douche et des shampooings (plus de 70%). Il est donc toujours en première position de la liste INCI. Ils sont composés ensuite de tensioactifs de base et de co-tensioactifs représentant jusqu’à 20% du produit. 5% sont des ajuvants (substances ajoutées à un produit pour améliorer ses propriétés) et des gélifiants. Finalement, les parfums, les colorants, les conservateurs et les principes actifs (agents hydratants, plantes comme par exemple la feuille d’Aloe vera, algues et vitamines) ne concernent que 0,5 à 3% malgré les nombreux ingrédients susceptibles de se trouver dans ces catégories [14].
La méthode de «screening» des substances cosmétiques est présentée dans la figure 1.
La première étape de la méthode (fig. 1: point 1) consiste à obtenir la composition INCI des gels douches et des shampooings les plus consommés en Suisse. Pour cela, nous avons travaillé en collaboration avec la Fédération romande des consommateurs (FRC). La FRC a publié en 2017 un dossier sur les gels douche vendus dans le commerce et dont les fabricants vantent la présence d’ingrédients «naturels» [16]. La FRC a pris en photo dans les magasins Coop, Migros, Manor, Aldi, Yves Rocher et sur un site internet spécialisé (green-shop.ch) la liste des ingrédients de 350 gels douche. Les photos des ingrédients de ces gels douche nous ont été transmises par la FRC. Parallèlement, nous avons également photographié les compositions INCI de différents gels douche et shampooings dans les magasins Coop, Migros, Manor et parfois dans des pharmacies. Les compositions des gels douche et des shampooings ont été répertoriées dans des tableaux distincts.
Dans cette étape (fig. 1: point 2), nous avons réuni dans 2 tableaux distincts les compositions de tous les gels douche, et respectivement de tous les shampooings. Nous avons par la suite isolé chacun des ingrédients qui apparaît au moins une fois dans la composition soit d’un gel douche, soit d’un shampooing. Pour les shampooings, seules les compositions des shampooings dits «classique» ont été retenues. Les compositions des shampooings dits «anti-pelliculaires», «pour cheveux fins», «pour cheveux gras», «pour cheveux colorés», etc. n’ont pas été prises en compte pour établir la liste prioritaire. Les ingrédients présents dans plus de 8%, et respectivement 12% des gels douche et des shampooings «classiques» sont retenus pour être étudiés par la suite (devenir, toxicité et écotoxicité). Un premier tri des substances est ainsi effectué (prélistes).
Pour chaque substance des prélistes, certaines données de description de la molécule et certaines données physico-chimiques sont relevées (fig. 1: point 3). Ainsi le ou les numéros CAS de la substance, la formule et la structure moléculaires, la masse moléculaire, la fonction de la substance dans le produit cosmétique, l’origine (synthétique, végétale, animale), les restrictions au niveau des concentrations dans les produits cosmétiques, les quantités fabriquées et ou importées dans l’Espace économique européen sont détaillés quand l’information est disponible. La solubilité de la substance dans l’eau est également recherchée.
Quatre critères ont été retenus pour intégrer une substance dans la liste prioritaire des substances à analyser (fig. 1: point 3):
C’est la capacité d’une substance chimique à s’accumuler dans les organismes, notamment dans les graisses [4]. Pour évaluer le danger lié aux processus de bioaccumulation, l’indicateur Kow a été développé. Il s’agit du coefficient de partage octanol/eau. Pour le calculer, on injecte une substance dans une éprouvette contenant de l’eau et de l’octanol. Si la substance se retrouve majoritairement dans l’eau, on en déduit que la substance n’a pas tendance à se stocker dans les graisses et que par conséquent elle n’est pas bioaccumulable. Dans le cas contraire, c’est-à -dire si la substance a une affinité pour l’octanol et donc s’accumule dans les graisses, il y a un risque de bioaccumulation [4]. Si le log Kow est supérieur à 3, la substance est susceptible à la bioaccumulation. Si une substance est bioaccumulable, il y a un risque par la suite de bioamplification, c’est-à -dire une accumulation de la substance dans la chaîne alimentaire jusqu’à une hypothétique contamination de l’homme.
Les substances peuvent se dégrader dans les eaux soit par hydrolyse, soit par photolyse, soit par biodégradation. L’hydrolyse est la dégradation d’une substance dans l’eau grâce aux ions H3O+ et HO- provenant de la dissociation d’une molécule d’eau [4]. La photolyse est la dégradation d’une molécule sous l’influence de la lumière, par exemple les rayons du soleil [17]. Finalement, la biodégradation est la dégradation par des microorganismes, tels les bactéries ou les champignons, d’une substance [4].
Généralement, dans les milieux aquatiques, les processus les plus importants intervenant dans la dégradation des produits chimiques sont la biodégradation ou une combinaison d’hydrolyse et de biodégradation. La photolyse est limitée dans l’environnement aquatique car les possibilités d’exposition à la lumière solaire sont faibles (exposition uniquement dans les premiers centimètres de la couche située à la surface de l’eau). Par conséquent, les données de photolyse des substances n’ont pas été investiguées dans cette étude. Les substances qui se dégradent rapidement dans le système aquatique ont moins de probabilité d’être détectées par la suite dans les analyses des eaux en laboratoire que les substances qui se dégradent lentement. La persistance dans le milieu aquatique est donc un critère primordial pour la prise en compte ou non de la substance dans la liste prioritaire des substances à analyser. L’hydrolyse, la biodégradation, et par déduction la persistance de chacune des substances des prélistes, sont donc étudiées.
Différents paramètres sont étudiés pour décrire la toxicité humaine de ces substances. Les données de toxicité aigüe et chronique par voies d’exposition orale, dermale et par inhalation sont répertoriées quand elles sont disponibles. De plus, la cancérogénicité, la mutagénicité (toxicité sur l’ADN), la reprotoxicité (toxicité sur la reproduction) et la tératogénicité (toxicité sur les embryons) sont également prises en compte [18]. Les études démontrant de possibles effets sur les systèmes hormonaux (perturbateur endocrinien) ont également été prises en compte pour déterminer la toxicité des substances des prélistes. Finalement, le système GHS (Globally Harmonized System), qui est le système d’étiquetage et de classification des produits chimiques dangereux selon des critères uniformes dans le monde entier, a également été utilisé. Les pictogrammes de danger pour chaque substance ont été listés [18].
Seuls les tests écotoxicologiques sur les organismes aquatiques sont pris en compte dans cette étude. Les données écotoxicologiques proviennent de tests sur des microalgues d’eau douce, des daphnies (micro-crustacés) et des poissons. Ces trois types d’organismes sont pris en compte car ils sont caractéristiques de la chaîne alimentaire dans l’eau douce. En écotoxicologie, le résultat d’un test est représenté par une courbe dose-réponse. La courbe dose-réponse est une courbe statistique déterminée pour un organisme et une substance donnés. Elle décrit la relation entre l’augmentation de la dose (ou de la concentration) de la substance et l’effet qui résulte de cette augmentation de concentration sur un organisme. Elle est obtenue à partir d’expériences au laboratoire. Elle permet de prédire, pour une espèce, l’intensité de l’effet (généralement exprimée en pourcentage) pour une concentration donnée de substance. À partir de cette courbe dose-réponse, des valeurs caractéristiques peuvent être déterminées telles l’EC50, la LC50 et la NOEC. L’EC50 est la «50% Effect Concentration». Ce paramètre se réfère à la concentration d’une substance qui induit 50% de son effet maximal. Elle est souvent déterminée à l’aide de tests aigus, c’est-à -dire des tests courts par rapport au temps de génération de l’organisme. Les concentrations testées sont élevées. La LC50 est la «50% Lethal Concentration» et donne une indication de la létalité d’une substance. La NOEC est la «No Observed Effect Concentration» [19]. C’est la concentration la plus élevée testée à laquelle aucun effet n’a été observé. Elle est souvent obtenue à l’aide de tests chroniques, c’est-à -dire des tests longs par rapport au temps de génération de l’organisme. Les concentrations testées sont faibles. Le système GHS est également utilisé pour étudier l’écotoxicité car certaines substances peuvent être caractérisées par un pictogramme lié à la pollution de l’environnement [18].
Pour chaque substance étudiée, on attribue un code couleur aux quatre critères. Ce code couleur sera repris par la suite dans le tableau de la liste prioritaire. Les conclusions concernant les critères visent à déterminer si:
– La substance est non bioaccumulable (vert) ou bioaccumulable (rouge), c’est-à -dire si le log Kow est respectivement supérieur ou inférieur à 3.
– La substance est non persistante (vert) ou persistante (rouge) dans le milieu aquatique, c’est-à -dire si elle est respectivement dégradée ou non par hydrolyse/biodégradation.
– La substance est faiblement toxique (vert), moyennement toxique (orange) ou toxique (rouge) pour l’être humain. Le choix dans la distinction des potentiels toxiques est expliqué dans la table 1.
– La substance est faiblement (vert), modérément (orange) ou fortement (rouge) écotoxique pour les organismes des milieux aquatiques. La caractérisation des potentiels écotoxiques est décrite dans la table 2.
Finalement, la substance étudiée est intégrée à notre liste prioritaire si elle possède au moins un critère jugé non satisfaisant (rouge) et un autre critère jugé au moins modérément satisfaisant (orange ou rouge).
Les techniques d’analyse en laboratoire (GC-MS/MS, LC-MS/MS, etc.), les concentrations dans l’eau (eaux usées, eaux en sortie de STEP, eaux de surface, eau potable) et les métabolites (produits de dégradation) des substances sélectionnées dans la liste prioritaire selon les quatre critères précédents sont recherchés dans la littérature scientifique ou dans des rapports officiels d’Etats (fig. 1). Les métabolites sont recherchés car ils peuvent se révéler plus toxiques que la molécule mère.
Un exemple de relevé de compositions INCI pour différents produits cosmétiques est présenté dans la table 3 pour une marque de gel douche (Ushuaïa). Les substances en vert ne sont pas prises en compte dans la liste prioritaire car la majorité des critères de sélection (bioaccumulation, persistance, toxicité et/ou écotoxicité) sont jugés satisfaisants. Les substances en rouge sont prises en compte car certains critères de sélection sont non satisfaisants (comme expliqué précédemment dans le paragraphe «Détermination des critères pour sélectionner les substances»). Les substances en noir n’ont pas été étudiées car leur occurrence est faible dans l’ensemble des gels douche ou des shampooings «classiques».
Il faut noter que la composition des gels douche et des shampooings est variable dans le temps. De nouvelles compositions INCI apparaissent régulièrement car soit de nouvelles molécules sont mises sur le marché, soit inversement certaines molécules sont retirées des produits par les producteurs car sujettes à inquiétude de la part des consommateurs (cas des parabènes). Par conséquent, il faut considérer que, pour ce projet, toutes les compositions des gels douche et des shampooings ont été obtenues pour la période de mai 2017 à septembre 2017. Les compositions de 252 gels douche et de 52 shampooings dits «classiques», correspondant respectivement à 36 et 37 marques, ont été relevées.
Dans les 252 gels douche, on a recensé 508 substances différentes tandis que dans les 52 shampooings dits «classiques», on a recensé 252 substances différentes. Avec des critères d’occurrence des substances fixés à 8% pour les gels douche, et respectivement 12% pour les shampooings «classiques», on obtient des prélistes de 54 et 34 substances à étudier. Cependant, sur les 34 substances de la préliste des shampooings «classiques», 24 substances sont communes à la préliste des gels douche. Ainsi, 10 substances des shampooings «classiques» sont ajoutées aux 54 substances des gels douches à étudier. Pour conclure, la bioaccumulation, la persistance dans le milieu aquatique, la toxicité et l’écotoxicité de 64 substances ont été étudiées. Les caractéristiques de ces substances ont été regroupées dans des fiches descriptives.
Le benzyl salicylate (fig. 2) est un absorbant UV qui protège le produit cosmétique (des effets des rayons ultraviolets) ou entre dans la composition d’un parfum. Son origine est synthétique ou animale. La molécule peut être extraite de la propolis qui est un matériau complexe fabriqué par les abeilles [15, 18].
Des limitations existent pour cette substance dans les produits cosmétiques car elle fait partie des molécules aromatiques classées parmi les 26 composés odorants allergènes dont la déclaration est obligatoire dans la composition INCI si sa concentration est supérieure à 0,01% dans les produits à rincer [15]. Les quantités fabriquées et/ou importées dans l’Espace économique européen sont comprises entre 1000 et 10 000 tonnes par année [18].
Des informations sur les données physico-chimiques de la substance sont reportées. La solubilité dans l’eau correspond à 8,8 mg/l à 20 °C et à pH = 6,8–7,1, ce qui est légèrement soluble. Le log Kow de la substance est égal à 4 à 35 °C. Comme il est supérieur à 3, la substance est dite bioaccumulable. Au niveau de la persistance dans l’eau, nous n’avons pas trouvé de données à disposition concernant l’hydrolyse. Cependant, elle est très biodégradable (93% de la substance est biodégradée après 28 jours). La substance n’est donc pas persistante dans le milieu aquatique [18].
Concernant la toxicité, les études n’ont montré aucuns effets mutagènes, reprotoxiques et tératogènes [18]. Des études ont par contre mis en avant des effets sur le système hormonal, en particulier des activités antiandrogéniques plus importantes que celles de la flutamide, un antagoniste connu du récepteur hAR (human Androgen Receptor) [15, 20]. Des tests écotoxicologiques ont fourni une LC50 algue, une EC50 daphnie, une LC50 poisson équivalentes, respectivement à 1,29 mg/l, 1,16 mg/l et 1,03 mg/l et une NOEC algue, une NOEC daphnie égales, respectivement à 0,502 mg/l et 0,894 mg/l. Ces données nous permettent déjà de conclure que la substance est très toxique pour la vie aquatique [18].
Le système GHS fournit les pictogrammes de la figure 3 pour le benzyl salicylate avec les mentions correspondantes: provoque de graves irritations oculaires, peut provoquer des réactions allergiques cutanées et est dangereux pour la vie aquatique avec des effets à long terme. Ces pictogrammes confirment les résultats de toxicité et d’écotoxicité précédemment détaillés [18].
Toutes ces informations nous ont permis de conclure que la substance était non persistante dans le milieu aquatique mais qu’elle était bioaccumulable, à potentiel toxique pour la santé humaine et écotoxique pour le milieu aquatique. Trois critères sur quatre sont jugés problématiques, raisons pour lesquelles cette substance est intégrée à notre liste prioritaire.
Aucune information n’est disponible concernant le ou les métabolites du benzyl salicylate. Cependant, des données de concentration dans l’environnement ont été trouvées dans la littérature scientifique. Par exemple, des concentrations autour de 140 ng/l ont été mesurées dans des ruisseaux et des sorties de STEP au Japon [21].
Sur les 64 substances étudiées, 31 substances composent notre liste prioritaire (table 4). Cette liste de substances se décompose en 4 tensioactifs, 10 adjuvants, 11 parfums, 2 conservateurs (pour éviter le développement de champignons ou de micro-organismes), 2 colorants et 2 principes actifs. 32% des substances de cette liste sont persistantes dans le milieu aquatique, 42% sont bioaccumulables, 52% sont modérément toxiques à toxiques pour la santé humaine et 74% sont modérément toxiques à toxiques pour l’environnement aquatique.
24 substances sont retenues dans la liste prioritaire car elles possèdent un critère jugé non satisfaisant (rouge) et un critère jugé au moins modérément satisfaisant (orange ou rouge). Les 7 autres substances représentent des cas particuliers:
– Le propylene glycol et le CI 15985 sont suspectés d’avoir de potentiels effets sur le système endocrinien à des concentrations données. La problématique des perturbateurs endocriniens est un sujet de préoccupation très actuel, raison pour laquelle nous avons décidé d’intégrer ces 2 substances dans notre liste.
– L’Aloe barbadensis leaf juice est considérée comme «peut-être cancérigène pour l’homme» (catégorie 2B de l’IARC, International Agency for Research on Cancer,
www.iarc.fr/). Comme le seul critère disponible, c’est-à -dire la toxicité, est déjà jugé non satisfaisant et qu’aucune information n’est disponible pour les trois autres critères, la substance a été intégrée dans la liste des substances à analyser.
– Des effets reprotoxiques ont été observés avec le phenoxyethanol. Bien que seul le critère de toxicité soit jugé finalement non satisfaisant, cette substance est intégrée dans notre liste car l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, France) a recommandé de ne pas l’utiliser dans les produits cosmétiques destinés aux postérieurs des enfants de moins de 3 ans. De plus, l’ANSM recommande également de restreindre sa concentration à 0,4% dans les autres types de cosmétiques au lieu d’une concentration maximale de son utilisation préconisée à 1% actuellement [22].
– Finalement, pour le disodium cocoyl glutamate, l’étiquetage GHS indique que la substance est nocive pour l’environnement avec des effets à long terme. Bien qu’aucune donnée écotoxicologique ne soit disponible pour le polyquaternium-10 et le guar hydroxypropyl trimonium, l’étiquetage GHS indique que ces substances sont respectivement toxiques et très toxiques pour l’environnement avec des effets à long terme. Par conséquent, nous avons intégré ces 3 substances à notre liste de par leur effet non négligeable sur l’environnement de manière chronique.
Des quantités importantes de substances cosmétiques sont susceptibles de se retrouver dans les eaux de rejet des stations d’épuration, dû à la consommation non négligeable des produits cosmétiques par la population suisse. Ces substances sont encore très peu monitorées par les services cantonaux et les services municipaux des grandes villes chargés de la gestion des eaux usées et de l’eau potable. Suite à ce constat, il a été décidé d’établir une liste prioritaire des substances cosmétiques provenant de gels douche et de shampooings à analyser dans les eaux usées, dans les eaux de surface et dans l’eau potable. Après le relevé des ingrédients composant 252 gels douche et 52 shampooings dits «classiques», et la prise en compte de l’occurrence de ces substances chimiques dans ces gels douche et ces shampooings «classiques», 64 substances ont été étudiées selon une méthode de «screening». Après analyse des critères de persistance dans le milieu aquatique, de bioaccumulation, de toxicité et d’écotoxicité, la liste prioritaire est constituée de 31 substances cosmétiques. Les techniques d’analyse en laboratoire de ces substances et leurs concentrations mesurées dans l’environnement dans divers pays du monde ont également été décrites dans cette étude. À la suite des analyses qui seront effectuées en laboratoire, certaines substances pourront être retirées de la liste si leurs concentrations ne sont jamais détectées durant une certaine période de temps. Ce projet pourrait être étendu par la suite à d’autres produits cosmétiques tels que les dentifrices, les produits de maquillage, les déodorants, les parfums, etc. de manière à cibler la majeure partie des substances cosmétiques jugées problématiques pour l’environnement et la santé humaine. En effet, des substances comme par exemple l’octocrylène, présent dans les crèmes solaires et qui est susceptible d’être un perturbateur endocrinien, ne sont pas encore présentes dans notre liste prioritaire. Cette étude va permettre finalement d’étendre davantage l’expertise concernant les micropolluants par les distributeurs d’eau potable en Suisse. De plus, pour les consommateurs, elle illustre le fait que tout est mis en place par ces mêmes distributeurs pour «traquer» les micropolluants dans les eaux de manière à obtenir des eaux de surface et une eau potable de qualité.
BIBLIOGRAPHIE
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[2] Site du Service de l’eau de la ville de Lausanne (dernière consultation: 03/2018): http://www.lausanne.ch/lausanne-officielle/administration/securite-et-economie/service-de-l-eau.html
[3] Site du SIG (dernière consultation: 03/2018): https://ww2.sig-ge.ch/artisans_independants/nos-offres/eau-potable/qualite
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[7] Commission Européenne (2014): Consommateurs: la Commission rend les produits cosmétiques plus sûrs. Communiqué de presse: http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-1051_fr.htm
[8] Chen, J. et al. (2017): Occurrence, temporal variation, and estrogenic burden of five parabens in sewage sludge collected across the United States. Science of The Total Environment 593–594: 368–374
[9] Speksnijder, P.; van Ravestijn, J.; de Voogt, P. (2010): Trace analysis of isothiazolinones in water samples by large-volume direct injection liquid chromatography tandem mass spectrometry. Journal of Chromatography A 1217: 5184–5189
[10] Mandaric, L. et al. (2017): Contamination sources and distribution patterns of pharmaceuticals and personal care products in alpine rivers strongly affected by tourism. Science of The Total Environment 590–591: 484–494
[11] Perazzolo, C. et al. (2010): Occurrence and fate of micropollutants in the Vidy Bay of Lake Geneva, Switzerland. Part I: priority list for environmental risk assessment of pharmaceuticals. Environmental Toxicology and Chemistry 29: 1649–1657
[12] Règlement (CE) N° 1223/2009 du Parlement Européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques (refonte). https://www.eurosafe.fr/vars/fichiers/reglement-12232009.pdf
[13] Ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels (ODAlOUs) du 16 décembre 2016 (Etat le 2 mai 2017). RS 817.02
[14] Stiens, R. (2017): La vérité sur les cosmétiques. Leduc.s Editions, Quatrième impression, Février 2017
[15] Site internet de «L’observatoire des cosmétiques» (dernière consultation: 03/2018): http://www.observatoiredescosmetiques.com/
[16] Gels douche. Le naturel se prend une sacrée douche froide. FRC Mieux choisir, Le magazine de la fédération romande des consommateurs, Novembre 2017
[17] ANSES: Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (2012): AGRITOX – Base de données sur les substances actives phytopharmaceutiques. http://www.agritox.anses.fr/ (dernière consultation: 03/2018)
[18] Site internet de l’Agence européenne des produits chimiques, ECHA (dernière consultation: 03/2018): https://echa.europa.eu/fr/home
[19] European Chemicals Bureau, Institute for Health and Consumer Protection, (2003): Technical Guidance Document on Risk Assessment, Part II
[20] De Coster, S.; van Larebeke, N. (2012): Endocrine-disrupting chemicals: associated disorders and mechanisms of action. Journal of Environmental and Public Health 2012: Article ID 713696, 52 p. doi:10.1155/2012/713696

[21] Kameda, Y.; Kimura, K.; Miyazaki, M. (2011): Occurrence and profiles of organic sun-blocking agents in surface waters and sediments in Japanese rivers and lakes. Environmental Pollution 159: 1570–1576
[22] Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, ANSM (2012): Evaluation du risque lié à l’utilisation du phénoyéthanol dans les produits cosmétiques
Les auteurs remercient vivement la Fédération romande des consommateurs (FRC), en particulier Mme Anne Onidi et M. Lionel Cretegny, pour la transmission des photos de composition INCI de certains gels douche obtenus dans divers supermarchés et pour leur intérêt tout particulier concernant la problématique des substances cosmétiques. Les auteurs tiennent également à remercier le Dr Garcia-Hidalgo pour leur avoir transmis des données de consommation des gels douche et des shampooings en Suisse permettant de déterminer si les produits étudiés étaient représentatifs de la consommation suisse. Les auteurs remercient chaleureusement le Dr Chiara Perazzolo de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) pour ses explications concernant le système d’étiquetage GHS des produits chimiques. Enfin, les auteurs remercient également Mme Huma Khamis Madden, journaliste à la RTS, pour ses conseils lors du lancement de ce projet.
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