Au pied de l’emblématique Pierre Avoi, le village de Saxon a une histoire singulière avec l’eau. Station balnéaire dans les années 1850, berceau de l’eau minérale Cristalp vendue jusqu’en 2022, la commune tire la majeure partie de son eau potable des sources de montagne. Cette eau pure et naturelle est directement injectée dans le réseau sans filtration ni traitement. Alors que les normes de potabilité deviennent de plus en plus strictes et que les conditions climatiques influencent la qualité de l’eau, la question se posait depuis quelques années d’acquérir un système d’analyse afin d’assurer une qualité irréprochable de ce bien précieux qu’est l’eau aux quelques 7000 résidents du territoire.
Suite à deux fortes pollutions bactériologiques en 2019, la commune a développé en plusieurs étapes un système automatisé pour maîtriser les risques de pollution microbiologique. Dès la phase de conception du système, la commune a émis la volonté de garder l’eau naturelle et de haute qualité; c’est pour cela que l’installation d’une station de traitement n’a pas été envisagée.
La figure 1 montre les sources et les principaux réservoirs de Saxon. La zone située en amont du réservoir de la Louette est alimentée par différentes sources. Plusieurs réservoirs secondaires permettent d’alimenter les différents hameaux des Mayens. Dans chaque réservoir un trop plein alimente les réservoirs inférieurs, jusqu’au réservoir principal du Pessot qui peut également être alimenté par une station de pompage d’eau souterraine (captage Vaccoz). Une interconnexion avec la commune voisine Riddes permet quant à elle, d’alimenter directement le réseau de plaine. Environ 96% de la population tire son eau du réservoir principal.
Au cours d’une année moyenne, une grande partie de l’eau de Saxon et de ses Mayens provient de sources d’altitude (jusqu’à 70%). Selon les conditions climatiques, entre 15% et 40% de l’eau provient d’une interconnexion avec une commune voisine (voir aussi tab. 1).
Chiffres clés |  |
Habitants | 7000 |
Habitants Mayen | 300 |
Nombre de réservoirs et de chambres de réunion | 10 |
Volume total de stockage | 2621 m3 |
Volume du réservoir principal (Pessot) | 1430 m3 |
Longueur totale des réseaux communaux | env. 62 km |
Quantités de l’eau |  |
Eau de source automne | 960 l/min |
Eau de source printemps | 2810 l/min |
Capacité interconnexion Riddes | 700 l/min |
Capacité pompage Vaccoz | 2700 l/min |
Livraison totale annuelle | 501'500 m3 |
Tab. 1 Principales caractéristiques de la distribution d'eau de Saxon.
Pour répondre au problème de qualité, une analyse des risques a été effectuée d’après la méthode HACCP et la mise en œuvre a suivi les normes de la directive SSIGE W12 [1]. Le principal danger identifié est un danger microbiologique pouvant se produire suite à une contamination environnementale d’un des 17 captages de sources par des germes pathogènes.
Dans un premier temps, l’arrivée du réservoir principal de Pessot a été identifiée comme un point de contrôle critique et l’emplacement idéale pour surveiller la qualité de l’eau. Pour surveiller en continu la qualité microbienne de l’eau potable, à ce niveau, un cytomètre en flux a été utilisé (cf. recommandation SSIGE W1014 [2]). Cet appareil permet de quantifier toutes les bactéries et les différentes fractions cellulaires en colorant l’ADN avec un marqueur fluorescent (Sybr Green I) et en effectuant une mesure optique.
Les cellules peuvent ensuite être classifiées. La fraction des cellules à haute teneur en acide nucléique (HNA) comprend la plupart des agents pathogènes connus, dont E. coli. Comme cette fraction a tendance à représenter un plus grand danger, une augmentation du nombre de cellules HNA a été choisie comme critère de qualité à Saxon.
Dès l’été 2020, un système complet de gestion des risques de contamination microbiologique a été mis en place par une entreprise d’automatisation locale (PMAX). Il se compose de trois parties (cf. fig. 2):
Ainsi, à part les 300 habitants des Mayens (Boveresse, L ’Arbarey et Près de Champs), tous les habitants sont protégés.
Dans un deuxième temps, l’évaluation par cytométrie de flux de la qualité de l’eau des deux affluents se déversant dans le réservoir de Louette a également permis de réduire le risque. La mesure séparée des deux affluents permet d’informer directement la population concernée en cas de pollution et d’isoler de manière ciblée la source concernée.
Un cytomètre en flux en ligne, appelé BactoSense, était choisi pour l’analyse microbiologique. La figure 3 montre l’installation de BactoSense dans l’arrivée du réservoir Pessot.
En analysant les données météorologiques en temps réel fournies par MétéoSuisse (RainAlert) sur une application cloud, les intervalles de mesure du BactoSense sont réglés via PLC (programmable logic controller) et SCADA (supervisory control and data acquisition). Cette automatisation permet de régler la fréquence des mesures en fonction des besoins. Par exemple, les périodes de pluie ou de fonte des neiges présentent des risques de pollution plus importants et nécessitent une plus grande attention. La figure 4 montre comment l’intervalle de mesure est ajusté en fonction de la météo et comment la qualité de l’eau est déterminée grâce aux résultats de cytométrie en flux. De hautes valeurs, correspondent à une forte contamination microbiologique et donc à une mauvaise qualité de l’eau.
L’eau est mesurée par deux cytomètres en flux en ligne dans deux réservoirs différents (Pessot et Louette). En cas de mauvaise qualité, l’eau est automatiquement isolée. Sur le réservoir de Louette, les mesures sont effectuées en alternance en deux points: le premier au niveau à de l’arrivée de l’Arbarey et l’autre à l’arrivée de la source de la Pleyeux. Le tableau 2 indique les mesures prises si la valeur critique est dépassée à l’un des deux points de mesure.
Niveau d’action | Mesures prises |
Qualité Suspecte |
Mesure de vérification par BactoSense. Si la valeur est confirmée:
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Mauvaise Qualité |
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Tab. 2 Mesures prises par le système pour les deux niveaux de qualité.
L’alarme est émise par deux canaux. D’une part, les responsables sont informés par le système de gestion via SMS. D’autre part, l’administration communale se charge, en cas de pollution, d’avertir les habitants via son site internet ou une application. Pour ceux qui sont réfractaires à ces moyens de communication, le service des eaux prévient chaque ménage concerné grâce à la distribution de flyers.
La consommation électrique de l’ensemble du système de gestion des risques de contamination microbiologique est faible (quelques centaines de watts) et le coût est d’environ 4 à 5 centimes par m3 (amortissement sur 25 ans). En 2022, 3,5 kg de chlore ont été utilisés. En revanche, une chloration continue aurait nécessité environ 129 kg de chlore.
En 2022, une dizaine d’alarmes ont été déclenchées; toutes n’ayant pas nécessité d’intervention. En effet, si la cause est connue ou s’il ne s’agit que d’une seule valeur élevée, la personne responsable peut accuser réception de la notification et décider de maintenir le fonctionnement normal. En 2022, quatre événements ont été considérés comme significatifs et ont nécessité une chloration:
Le premier événement a eu lieu en mai. Le nombre de cellules a augmenté dans les deux réservoirs Louette et Pessot, comme le démontre la figure 5. A Louette, il y a deux apports, l’un provenant du réservoir de l’Arbarey, l’autre du captage Pleyeux, qui sont mesurés en alternance.
Le nombre de cellules a augmenté fortement dans le réservoir du Pessot ainsi que sur l’adduction provenant de l’Arbarey. Un examen plus approfondi a conduit à rejeter certaines sources, qui ont été mises manuellement en décharge par un collaborateur du Service des eaux de Saxon.
En conséquence, le nombre de cellules s’est normalisé et la chloration a pu être arrêtée. Les prélèvements pour analyse microbiologique de suivi le 17 mai ont montré des valeurs principalement conformes, un seul Entérocoque a été trouvé. L’échantillon de suivi du 18 mai était finalement conforme.
L’augmentation des bactéries n’a pas pu être associée à un épisode de pluie, mais une forte fonte des neiges a eu lieu à ce moment-là .
L’anomalie en juillet est représentée dans la figure 6. La réaction immédiate a été d’isoler la source de la Vouarde et l’arrivée de l’Arbarey, ce qui a permis d’éviter la chloration au réservoir du Pessot.
Plus tard, des contrôles réalisés en laboratoire de la zone en aval de la source de la Vouarde jusqu’à l’arrivée de l’Arbarey ont révélé des contaminations E. coli et Enterococcus spp. Suite à cette pollution, le captage de Vouarde a été complètement rénové lors de l’été 2022.
L’événement suivant s’est déroulé en octobre. Des contaminations provenant du réservoir de l’Arbarey à l’arrivée de la Louette ont entraîné une augmentation rapide du nombre de cellules à Pessot. La vanne à Louette s’est fermée automatiquement et une chloration prolongée a été effectuée au réservoir Pessot jusqu’au 29 octobre, car une mesure précédente plus élevée a suscité un certain scepticisme et les valeurs ultérieures n’ont pas permis un rétablissement complet du système. Le chlore et l’isolation de la Louette ont toutefois permis de maîtriser rapidement la situation dans ce cas également.
Les prélèvements microbiologiques qui ont suivi cet évènement ont montré une augmentation des germes aérobies mésophiles, des E. coli et d’entérocoques de la source Vouarde. Les échantillons prélevés dans les réseaux en aval du réservoir de Louette et Pessot étaient tous conformes. Grâce aux mesures automatiques, la source de la Vouarde a donc pu être isolée à temps permettant de protéger les consommateurs des réseaux avals.
Le dernier événement a eu lieu en décembre, juste avant Noël (fig. 8). Le cytomètre en flux en ligne a détecté une anomalie au réservoir de la Louette. Une chloration du réservoir Pessot a été déclenchée à cette occasion, ainsi qu’une isolation du réservoir Louette. La situation a ainsi pu être rapidement maîtrisée et les fêtes de fin d’année ont pu être sauvées pour de nombreux habitants.
En 2022, aucun habitant n’a signalé une maladie suite à une pollution du réseau d’eau potable. Dans plusieurs situations, le danger a pu être réduit immédiatement et le plus souvent automatiquement. En 2022, ce sont surtout des sources isolées qui ont été touchées par des contaminations. Grâce aux connaissances acquises par les mesures, il a été possible de trouver et d’écarter les sources concernées en quelques étapes au cours du second semestre.
Toutes ces analyses ont montré que la plupart des contaminations proviennent d’un petit nombre de sources. Celles-ci devraient maintenant être équipées d’un système automatique de rejet . Ce système peut être basé sur plusieurs paramètres. A Saxon, celui qui a été choisi est la turbidité; des mesures prises tout au long de l’année ont permis de décider de la meilleure façon de mettre en œuvre le rejet automatique.
Le tableau 3 compare les résultats des analyses microbiologiques effectuées avec ceux des analyses de turbidité. Les résultats ont été évalués selon les critères définis dans les annexes 1 et 3 de l’OPBD [3]. Les deux valeurs, turbidité et microbiologie, étaient disponibles sur 87 échantillons. On peut voir qu’avec la turbidité, la contamination bactérienne a tendance à être sous-estimée. C’est à prévoir pour les mesures au niveau du système, mais inattendu pour l’eau brute (tab. 3B).
Les résultats de cette étude sont en accord avec les résultats précédents obtenus avec la cytométrie de flux dans une vaste étude menée par Besmer et Hammes en 2016 [4]. Il y était indiqué que les sources sont stables par temps sec et réagissent rapidement aux événements pluvieux. En plus, différents paramètres physiques en ligne ont montré des réactions aux événements pluvieux, mais différents en termes de temps de réaction, de sensibilité et de variation relative. Ils concluent qu’aucun des paramètres abiotiques individuels ne décrit de manière fiable la concentration cellulaire totale. La turbidité baisse trop rapidement [4, 5]. Ils ont conclu que le nombre de cellules totales constitue donc un précieux paramètre pour les impuretés microbiologiques dans les sources karstiques. Le monitoring permet notamment d’élaborer une compréhension optimale du système et des processus. Ce n’est que si le système hydrologique est suffisamment connu et que des critères spécifiques sont fixés qu’un compteur de particules peut détecter la contamination fécale avec une grande précision [6].
La turbidité ne permet donc pas d’exclure de manière fiable les contaminations microbiologiques. Mais combinée à la cytométrie en flux automatisée, qui offre une détection rapide, précise et efficace des cellules, c’est une façon fiable d’automatiser le rejet des sources. Pourvu que le critère de rejet soit défini séparément pour chaque source et aussi strict que possible.
De son côté, la cytométrie en flux automatisée permet d’analyser un grand nombre d’échantillons et trouve des applications dans divers domaines de la distribution de l’eau, spécialement en combinaison avec d’autres systèmes de détection d’événements environnementaux, comme de fortes pluies.
A la suite des contaminations de l’eau potable de 2019, l’acquisition d’un cytomètre en flux en ligne et son installation ont permis le contrôle et la chloration automatisée au réservoir principal permettant d’augmenter significativement la sécurité de la distribution de l’eau potable pour les habitants du village de Saxon.
L’utilisation de deux cytomètres en flux en ligne aux points critiques permet de comprendre et de limiter efficacement les risques. Les résultats obtenus avec le cytomètres en flux peuvent aussi être confirmés et complémentés par des analyses de laboratoire. Dans plusieurs cas, l’efficacité des mesures prises a pu être confirmée et a validé le processus mis en place pour éliminer les contaminations.
Le système de prévention est très efficace grâce à l’analyse des précipitations combinée à une technologie de mesure moderne. L’automatisation a une faible consommation de ressources et d’énergie. En raison du rejet ciblé de sources individuelles, le traitement de l’eau n’a été nécessaire que quelques jours en 2022. Ainsi, la plupart du temps, le réseau d’eau potable fournit à ses habitants une eau de source non traitée et de qualité irréprochable.
Cette solution automatisée, peut grandement améliorer la sécurité de l’eau potable. En plus, le système peut être utilisé pour la surveillance de l’eau potable dans les petits et grands sites d’approvisionnement en eau. C’est une de l’objectif du projet ToDrinQ soutenu par l’UE (Toolkit for Adaptable, Resilient Installations Securing High Quality Drinking Water; todrinq.eu). Les entreprises bNovate et ALTIS participent ensemble à ce projet. Non loin de Saxon, dans le Val de Bagnes, un système similaire est mis en place et amélioré dans le cadre du projet de l’UE. Les expériences de Saxon et la participation de la société PMAX sont une bonne base pour ce projet.
La méthode dite «d’empreintes digitales» constitue une cible intéressante pour les développements futurs dans le domaine de la cytométrie en flux promettant une détection encore plus précise des événements de contamination [7, 8].
Après l’optimisation de l’utilisation de l’eau de source et le contrôle de la qualité, le prochain défi pour la commune de Saxon est l’exploitation de nouvelles ressources en eau: L’été 2022 a été exceptionnellement sec, de sorte que seulement environ 55% de l’eau a pu être fourni par les sources de la région. Le reste a été fourni par la commune voisine. L’influence du changement climatique risque de rendre les étés de plus en plus secs à l’avenir. La qualité de l’eau étant assurée par cette solution, il est désormais possible de se concentrer sur la sécurité de l’approvisionnement.
[1] SSIGE (2023): Directive W12 – Guide des bonnes pratiques pour la distribution d’eau potable
[2] SSIGE (2018): Recommandation relative à la saisie et au traitement des données pour les distributeurs d’eau
[3] Ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public OPBD, version 2021
[4] Besmer, M.; Hammes, F. (2016): Trinkwasser aus Karstgebieten und mikrobiologische Trinkwassersicherheit. Regionale Wasserversorgung Basel-Landschaft 21, Liestal, DĂĽbendorf
[5] Auckenthaler, A.; von Gunten, U. (2016): Gesamtsynthese, Regionale Wasserversorgung Basel-Landschaft 21, Liestal, DĂĽbendorf
[6] Pronk, M. et al. (2007): Particle-Size Distribution As Indicator for Fecal Bacteria Contamination of Drinking Water from Karst Springs. Environmental Science & Technology 41(24): 8400–8405)
[7] Sadler, M.C. et al. (2020): Computational Surveillance of Microbial Water Quality With Online Flow Cytometry, Frontiers in Water 2: 586969. https://doi.org/10.3389/frwa.2020.586969
[8] Favere, J. et al. (2021): Online microbial monitoring of drinking water: How do different techniques respond to contaminations in practice? Water Research 202: 117387. https://doi.org/10.1016/j.watres.2021.117387
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