Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
11. juillet 2023

Ressources en eau

Eléments traces et eau potable

La diversité géologique des Alpes fait qu’il est possible de retrouver localement et de manière naturelle des concentrations en éléments traces dans les eaux souterraines supérieures à la limite de potabilité. Procéder à un inventaire des fonds géochimiques géogènes permet d’identifier les zones à risque et in fine d’améliorer la gestion de la ressource.
Romain Sonney, Marie Arnoux, Alexandre Gillioz, 

Les enjeux en milieux alpins sont multiples du fait de la diversité des usages de l’eau et de la demande toujours plus grande notamment pendant les périodes d'étiage estival. Les épisodes de sécheresse, générant potentiellement plus de conflits, font ressortir davantage ces enjeux. Partant de ce constat, il est essentiel d’évaluer la durabilité des ressources en eau potable pour mieux planifier leur gestion et mieux concilier les divers usages. L’un des aspects importants est la composition chimique, notamment la connaissance des fonds géochimiques géogènes, c'est à dire les concentrations naturellement présentes et liées au contexte géologique. Cette thématique qui suscite souvent peu d’intérêt mérite une plus grande attention. Les résultats présentés ici, sur le territoire restreint de la commune de Val de Bagnes, pourront aider à une prise de conscience par les
autorités et gestionnaires de l’intérêt de poursuivre les recherches sur cette problématique.

CONNAISSANCE des fonds géochimiques géogènes

Du fait de sa variété géologique, le milieu alpin possède des régions où les eaux souterraines sont riches en éléments traces, avec des teneurs pouvant localement dépasser les normes en vigueur, par exemple pour l’arsenic [1]. L’arsenic est présent naturellement dans le sous-sol, les eaux de surface et les eaux souterraines. Ses principales sources géogènes sont les sulfures d’origine hydrothermale comme les pyrites riches en arsenic, l’arsénopyrite, la pyrrhotite, l’orpiment ou le réalgar. Il est également présent sous forme d’élément accessoire dans d’autres sulfures plus complexes qui contiennent aussi d’autres éléments toxiques ou indésirables comme le plomb, le cuivre, le nickel, le cobalt et l’antimoine. Les sulfures sont principalement présents dans les roches cristallines et métamorphiques, plus rarement dans les roches carbonatées. La mise en solution de l’arsenic proviendrait de l’oxydation de ces sulfures. Les Massifs Cristallins Externes (MCE) alpins sont connus pour leurs occurrences élevées en arsenic dans les eaux souterraines avec des teneurs pouvant dépasser parfois 100 µg/l [1–4].
La récente baisse de la valeur limite de potabilité de l’arsenic de 50 à 10 µg/l a conduit plusieurs communes du Valais à assainir leur eau afin de répondre à cette nouvelle exigence sanitaire. A titre d’exemple, les communes de Salvan (1450 hab.) et de Finhaut (500 hab.; fig. 1) ont dû arrêter un crédit important pour la remise en conformité, en 2020, de la qualité de l'eau potable. Selon les 138 analyses effectuées par Dubois (1991; [2]) dans les eaux souterraines des massifs du Mont-Blanc et des Aiguilles Rouges (fig. 1), cette baisse de la valeur limite de potabilité de l’arsenic conduit à passer de 7% à 38% la proportion de sources non potables. Des teneurs significativement élevées en arsenic ont également été mesurées dans d’autres secteurs à proximité comme à Salanfe en Valais [5], à Belledonne et en Vanoise pour les alpes françaises [3, 4], dans la vallée de Conches, le Mattertal et le Saastal en Valais (fig. 1). L’impact sur la santé d’une ingestion continue d’arsenic n’est pas suffisamment bien connu pour les faibles concentrations. La forme trivalente qui domine en milieu réducteur est plus toxique que la forme pentavalente. Par principe de précaution, les limites de potabilité en éléments traces sont souvent remises en question, comme par exemple au Pays-Bas où des projets pilotes sont menés afin d’évaluer la faisabilité technique de réduire la limite de potabilité de l’arsenic à 1 µg/l [6]. A l’avenir, si l’abaissement de valeurs limites de potabilité se renforce et s’il est appliqué à d’autres substances, d’autres communes pourraient se retrouver confrontées à une situation critique, aux régions citées.

OBJECTIFS

Le principal objectif de cette étude est d’établir, sur le territoire de la commune de Val de Bagnes, un état des lieux du risque de fonds géochimiques géogènes élevés, à travers le croisement des données géologiques existantes et les résultats des nouvelles analyses chimiques. Autrement dit, existe-t-il des secteurs où les conditions sont plus favorables que d’autres à la présence d’éléments traces dans les eaux souterraines? La synthèse de ces données permet aussi de vérifier si les risques ne concernent que l’arsenic ou d’autres éléments traces. A ce stade des connaissances, il est possible que d’autres éléments posent des problèmes. La répétition des campagnes donne une première appréciation du rôle de la fonte glacio-nivale sur la variabilité saisonnière des éléments traces. De plus, dans des régions avoisinantes, il a été supposé que le changement climatique pourrait entrainer une hausse des concentrations en éléments traces [3, 4]. Ainsi, dans cette étude, la comparaison avec des données historiques apportera un élément de réponse sur ce possible impact du changement climatique sur les concentrations en éléments traces.

SITE D’ÉTUDE

Le site d’étude couvre la commune de Val de Bagnes dans les Alpes valaisannes. Située entre 670 et 4313 m d’altitude, Val de Bagnes est la quatrième plus grande commune de Suisse avec une surface de 302 km2 (Office fédéral de la statistique), compte environ 10'500 habitants et se compose de 26 villages et hameaux dont la station de ski de Verbier. La Dranse de Bagnes est le principal cours d’eau de cette commune, orientée Sud-Est Nord-Ouest, elle rejoint la Dranse d’Entremont à Sembrancher. De là, la Dranse se jette dans le Rhône au coude de Martigny, situé 15 km plus en aval (fig. 1).
Ce territoire possède une importante diversité géologique. Il est composé, d’une façon très synthétique, d’une multitude d’unités géologiques imbriquées et empilées les unes sur les autres exhibant des structures souvent complexes, généralement sous forme de nappes de charriage (fig. 2). Ces unités comportent des éléments antéhercyniens gneissiques les plus profonds des Alpes dans la culmination axiale du Simplon, surmontées par les sédiments essentiellement mésozoïques et tertiaires du domaine Helvétique et de vastes domaines austroalpins et penniques souvent polymétamorphiques. Elles sont recouvertes de manière irrégulière par des dépôts glaciaires, fluvio-glaciaires et lacustres du Quaternaire qui occupent les fonds de vallée et qui sont également visibles le long des versants.
Environ 70 sources sont captées par la commune pour l’approvisionnement en eau potable. Elles émergent d’environnements géologiques variés, poreux ou fissurés selon la nature des roches traversées. Certaines d’entre-elles jaillissent aux contacts de nappes ou de failles. Ces milieux plus fracturés et plus perméables favorisent davantage les circulations d’eau souterraine. Les principales sources captées sont localisées à des altitudes situées entre 800 et 2200 m aussi bien en rive droite qu’en rive gauche de la Dranse de Bagnes. L’exploitation des eaux se fait de manière gravitaire, sans pompage. L'eau des sources captées est acheminée dans des réservoirs pour être ensuite transmise aux consommateurs.

MÉTHODOLOGIE

Choix des sources et des éléments traces 

La sélection des sources pour les analyses chimiques a été effectuée de manière à pouvoir identifier les unités géologiques pouvant présenter des concentrations significatives en éléments traces et à vérifier la variabilité spatiale des concentrations. Les sources présentes dans six unités géologiques ont été étudiées, du Nord-Ouest au Sud-Est: Helvétique, zone de Sion-Courmayeur, zone Houillère, nappes des Pontis et de Siviez-Mischabel, nappe du Mont-Fort et nappe du Tsate (tab. 1).

Unité géologique

Analyse complète 18 éléments traces

Arsenic seul 
Helvétique 3 8
Zone de Sion-Courmayeur 3 3
Zone Houillère 2 10
Contact Nappe des Pontis / Zone Houillère 4 5
Nappe des Pontis 2 7
Contact Nappe de Siviez-Mischabel / Zone Houillère 2 3
Nappe de Siviez-Mischabel 7 8
Contact Nappe du Mont-Fort / Nappe de Siviez-Mischabel 4 1
Nappe du Mont-Fort 3 2
Nappe du Tsaté 0 1
TOTAL 30 48

Tab. 1 Nombre d’analyses effectuées par unité géologique.

Au total, 40 sources ont été prélevées via 4 campagnes de prélèvements, certaines une seule fois et d’autres à plusieurs reprises, en fonction des premiers résultats obtenus (tab. 2). Les analyses réalisées concernent les éléments traces (analyses complètes, pour 22 sources) et l’arsenic (18 sources, fig. 2). Sur l’ensemble du projet, entre avril 2021 et juin 2022, 30 analyses complètes et 48 analyses d’arsenic seul ont été effectuées.

  Avril 2021 Août 2021 Mars 2022  Mai 2022    TOTAL  
Analyse complète 18 éléments traces  10 15 5 0 30
Arsenic seul 15 15 12 6 48

Tab. 2 Nombre d’analyses effectuées par campagne.

Pour les analyses complètes, le choix s’est porté sur 18 éléments traces. Il se base sur l’historique des précédentes analyses effectuées par ALTIS, notamment une campagne étendue en 2003, les données de l’inventaire minier du CREALP [7] (fig. 4) et le retour d’expérience des études menées par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) sur les Alpes françaises [1, 8]. Les éléments analysés sont divisés en deux catégories, selon les critères de classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS; [9]):

  • ElĂ©ments toxiques: arsenic (As), cadmium (Cd), chrome (Cr), mercure (Hg), nickel (Ni), plomb (Pb), antimoine (Sb), sĂ©lĂ©nium (Se) et uranium (U);
  • ElĂ©ments indĂ©sirables: aluminium (Al), argent (Ag), bore (B), baryum (Ba), cuivre (Cu), fluor (F), fer (Fe), manganèse (Mn) et zinc (Zn).
Prélèvements et analyses 

Les prélèvements ont été effectués directement à la source dans les captages d’eau en période d’étiage hivernal (basses eaux) et en période de fonte des neiges (hautes eaux) afin d’évaluer l’existence ou non de cycles saisonniers pour les concentrations en éléments traces. La fonte peut en effet occasionner une diminution des concentrations par effet de dilution alors que les situations d’étiage durant l’hiver peuvent être les périodes où les teneurs en éléments traces sont les plus élevées.
Les flacons utilisés pour les prélèvements ont été préparés et fournis par les laboratoires quelques jours avant les campagnes. Pour les fluorures, un flacon en PE (polyéthylène) de 500 ml a été employé, et pour les autres éléments traces, un flacon en HDPE (polyéthylène haute densité) a été utilisé. Dans ce dernier, quelques millilitres d’un mélange d’acide nitrique et chlorhydrique étaient présents pour maintenir un pH suffisamment bas. Les échantillons n’ont pas été filtrés. Ils ont été stockés au frais et transmis aux laboratoires au maximum quelques jours après leur prélèvement.
Les analyses des 18 éléments traces ont été effectuées par le laboratoire du Service cantonal des affaires vétérinaire (SCAV) et les analyses de l’arsenic seul ont été réalisées par ce même laboratoire et un laboratoire privé à Martigny (ANESA). La limite de détection de l’arsenic n’est pas la même pour les deux laboratoires: 0,2 ou 1 µg/l pour le SCAV et 5 µg/l pour l’ANESA, soit respectivement 2%, 10% et 50% de la limite de potabilité selon l’ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD, RS 817.022.11). A l’exception des fluorures qui ont été analysés par chromatographie ionique (IC), les autres éléments traces ont été mesurés par spectrométrie de masse à plasma (ICP-MS).

RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION

Variabilité des éléments traces 

Les résultats obtenus pour l’ensemble des éléments traces en fonction des limites de potabilité selon l’OPBD et l’OMS sont présentés en figure 3. En vert sont illustrées les valeurs inférieures à 10% de la limite de potabilité, ce qui signifie que leur présence ne pose pas de problème par rapport aux critères de qualité des eaux potables.
A l’exception de l’arsenic qui se retrouve parfois à des concentrations supérieures à la limite de potabilité de 10 µg/l, les autres éléments traces ont quasi systématiquement des teneurs inférieures à 10% par rapport à leur limite de potabilité respective selon l’OPBD ou l’OMS (fig. 3). On notera toutefois que l’antimoine se rapproche, très localement, de la limite de potabilité (5 μg/l), et que l’uranium est environ 1 fois sur 3 présent dans les eaux entre 3 et 15 µg/l (limite de potabilité égale à 30 μg/l; fig. 3). La région de Bagnes est connue pour ses anciens sites d’extraction d’uranium, notamment à proximité du Col des Mines sur les hauteurs de Verbier [7].
Les relatives faibles occurrences en éléments traces constatées dans les eaux des sources prélevées indiquent, d’une part, que les activités humaines sur ce vaste territoire alpin ont peu d’impact sur la qualité des eaux, pour ce qui concerne ces 18 substances chimiques, et, d’autre part, que certains métaux sont peu présents dans les roches et/ou que les conditions physico-chimiques ne sont pas adéquates à leur mise en solution dans les eaux souterraines. Les résultats montrent également, bien que restant bien en dessous des limites de potabilité, il existe une forte variabilité entre les sources. Cette variabilité de concentrations des éléments traces peut s’expliquer notamment par:

  • la nature des roches qui compose l’aquifère,
  • le type de circulation et le temps de contact avec les minĂ©raux,
  • la tempĂ©rature et autres conditions physico-chimiques rĂ©gnantes dans l’aquifère (pH, potentiel redox, etc.).
Le cas de l'arsenic 

L’arsenic est l’unique élément trace dont les teneurs ont parfois dépassé la limite de potabilité 10 µg/l selon l’OPBD (fig. 4). Trois sources sont concernées par ces dépassements, ce qui représente 7,5% de l’ensemble des sources prélevées: S11, S26 et S36. C’est peu par rapport aux 38% de dépassement observés par Dubois (1991; [2]) pour les sources des massifs du Mont-Blanc et des Aiguilles Rouges (fig. 1).

Variabilité spatiale

Les teneurs en arsenic mesurées sont les plus faibles dans les eaux souterraines au contact des formations principalement carbonatées et détritiques des ères secondaires et tertiaires de l’Helvétique, de la zone de Sion-Courmayeur et de la zone Houillère (fig. 4).
En revanche, elles sont plus élevées dans les formations sédimentaires et cristallines comme celles présentes dans les nappes des Pontis et de Siviez-Mischabel. La nappe de Siviez-Mischabel se compose d’une alternance de gneiss, schistes et quartzites sériciteux et riches en chlorite d’âge permo-triasique. La nappe des Pontis est plutôt associée à des séries du Trias (gypse, dolomite, marbre, quartzite, etc.). Elles renferment localement de nombreux filons sulfurés métallifères d’origine hydrothermale comme l’atteste l’inventaire des ressources minérales réalisé par le CREALP [7]. Pour ces nappes et aux contacts de celles-ci, on constate une forte variabilité de concentration d’une source à une autre (fig. 4), par exemple S26 (21 µg/l), S27 (< 1 µg/l) et S28 (< 0,2 µg/l) qui sont situées dans un rayon de 500 m environ. C’est en rive gauche de la Dranse de Bagnes que les concentrations les plus élevées ont été mesurées.
On notera que certaines sources (S17, S19, S27 et S29) issues de circulation dans ces nappes ont des teneurs inférieures à 1 µg/l, soit des valeurs similaires aux sources prélevées en dehors de ces nappes, par exemple dans la nappe du Mont-Fort plus au Sud-Est (fig. 4).
La forte variabilité spatiale observée peut provenir d’une mise en solution disparate de l’arsenic et peut s’expliquer de plusieurs manières: (1) des conditions de pH et d’oxydo-réduction qui sont différentes d’une source à une autre et qui sont essentielles dans le contrôle et la mobilité de l’arsenic [10]; (2) l’adsorption ou la coprécipitation de la forme pentavalente en milieu oxydant avec les hydroxydes de fer [11] ou (3) des argiles et des composés riches en matière organique [5] présents de manière hétérogène sur le territoire. Ces phénomènes sont probablement aussi responsables de la variabilité des teneurs en arsenic constatée au sein des MCE par Dubois (1991; [2]), Sonney et al. (2005; [1]) et Tisserand et al. (2014; [4]).
Les activités minières passées ont permis l’extraction de grandes quantités de métaux, principalement contenus dans les sulfures. Certaines d’entre-elles sont répertoriées sur la figure 4. La dissémination de ces roches en surface au voisinage des mines a favorisé la dissolution de l’arsenic par oxydation (par exemple: la mine du Mayen de Pontez située à 200 m environ au Sud-Ouest de S26, non représentée sur la figure 4). Le risque de retrouver des eaux polluées aux abords des anciennes mines est donc plus important qu’ailleurs. A titre d’exemple, ceci a été démontré grâce aux analyses effectuées par Pfeifer et al. (2007; [5]) dans la région du lac de Salanfe le long de la bordure Nord-Est du massif cristallin des Aiguilles Rouges (mines Robert et Confrérie) où les eaux de surface qui ruissèlent sur d’anciens terrils et qui s’infiltrent dans le sous-sol possèdent des concentrations importantes en arsenic.

Variabilité temporelle

Les concentrations mesurées lors des différentes campagnes de prélèvement entre avril 2021 et juin 2022 indiquent une relative stabilité saisonnière. La source S36 possède des concentrations en arsenic qui varient entre 12,5 et 14,2 µg/l (4 mesures) et la source S13 entre 5,7 et 6,4 µg/l (4 mesures, tab. 3). L’augmentation des débits durant les mois de mai et juin issue de la fonte nivale engendre peu de baisse des concentrations en arsenic par effet de dilution. Par exemple, entre mars et mai 2022, les teneurs en arsenic pour les sources S12, S13, S26 et S36 ont diminué de 0,7 à 1,9 µg/l, alors qu'une augmentation de 0,1 µg/l a été mesurée pour S11 entre ces deux campagnes (tab. 3). D’autres analyses d’arsenic sont encore nécessaires pour vérifier si cette stabilité saisonnière se généralise ou non à l’ensemble des sources. Ce premier constat laisse à penser que l’arsenic peut provenir aussi bien d’écoulements profonds qui contribuent au débit de base en période d’étiage que d’écoulements superficiels plus variables dans le temps et plus marqués lors de la fonte. De la même manière, aucune tendance significative de baisse ou de hausse des teneurs en arsenic n’avait été mise en évidence par Pili et al. (2013; [3]) avec les fluctuations de débits induites par la fonte nivale dans les sources du massif de la Vanoise (Alpes françaises).

Source déc. 1999
(basses eaux)
mai 2003
(hautes eaux)
juil. 2003
(hautes eaux)
avr. 2021
(basses eaux)
août 2021
(hautes eaux)
mars 2022
(basses eaux)
mai 2022
(hautes eaux)
S11 n.a. n.a. 16,8 n.a. 11,1 11,9 12,0
S12 n.a. n.a. n.a. n.a. n.a. 9,2 7,1
S13 n.a. n.a. n.a. 6,0 6,0 6,4 5,7
S26 n.a. n.a. n.a. n.a. 19,0 21,4 20,2
mélange
S27 et S26
13,0 13,8 n.a. 13,2 n.a. n.a. n.a.
S36 13,0 11,8 n.a. 13,6 13,1 14,2 12,5

Tab. 3 Présentation de quelques résultats de concentration en arsenic obtenus lors de cette étude (2021–2022) et données historiques fournies par ALTIS (1999 et 2003) pour les période de basses eaux (BE), allant de décembre à avril, et de hautes eaux (HE), allant de mai à aout. Unités: µg/l; n.a.: non analysé. L'attribution des valeurs de BE 1999 et HE 2003 aux mélange S26 et S27 ainsi qu'à la source S36 est basé sur leur localisation qui concorde avec le nom des échantillons retrouvés. Il reste cependant une incertitude sur l'attribution de ces deux valeurs aux sources précitées.

Lors de précédentes campagnes en décembre 1999, en mai et juillet 2003, des teneurs en arsenic comprises entre 11,8 et 13,8 µg/l avaient été mesurées dans les réseaux d’eau potable des hameaux de Lourtier et de Champsec respectivement, certainement alimentés par les sources S36 (12,5 à 14,2 µg/l, 4 mesures entre 2021 et 2022), le mélange S27 et S26 (13,2 µg/l, 1 mesure entre 2021 et 2022) et peut-être également S26 (19 à 21,4 µg/l, 3 mesures entre 2021 et 2022; tab. 3). Pour S11, 16,7 µg/l ont été mesurés en juillet 2003 contre 11 à 12 µg/l entre avril 2021 et juin 2022. Lors des 20 dernières années, les concentrations en arsenic ont donc peu évolué pour ces différentes sources avec des concentrations stables pour S36 et le mélange S27 et S26 et une baisse d’environ 5 µg/l pour S11. Or, ces 20 dernières années ont été marquées par une augmentation de la fonte des glaciers et de nombreuses années avec des étés secs et chauds (2003, 2011, 2015, 2020 et 2022). Un suivi mensuel de l’arsenic et des paramètres physico-chimiques (température, oxygène, pH et conductivité) sur plusieurs années et sur ces quelques sources permettraient de vérifier:

  • S’il n’y pas de cycles saisonniers concernant l’arsenic en lien avec la fonte des neiges et des glaciers. S’il apparait qu’il y a finalement des cycles saisonniers, contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© observĂ© dans cette Ă©tude, il serait utile de dĂ©finir les pĂ©riodes oĂą les concentrations en arsenic sont les plus basses (vs. Ă©levĂ©es) pour une meilleure gestion de la ressource.
  • L’impact des Ă©pisodes de sĂ©cheresse, notamment l’effet de l’augmentation de l’épaisseur de la zone non saturĂ©e sur l’état d’oxygĂ©nation des eaux souterraines et sur les interactions eau-roche. Cette hypothèse, Ă©mise par Tisserand et al. (2014; [4]), sous-entend que l’augmentation des sĂ©cheresses pourrait engendrer une augmentation des teneurs en Ă©lĂ©ments traces dans les eaux souterraines par recrudescence de l’oxydation des sulfures contenus dans la roche.
Zones Ă  risque

Le croisement entre les éléments traces mesurés dans les eaux souterraines et les données géologiques permettent d’évaluer les risques d’occurrence de fond géochimique élevé. A l’exception de l’arsenic, les risques de retrouver des éléments traces à des concentrations supérieures aux limites de potabilité sont très faibles sur le territoire de la commune de Val de Bagnes.
Seul l’arsenic est donc représenté dans la carte des risques (fig. 5). Pour cet élément, les zones à risque concernent les nappes des Pontis et de Siviez-Mischabel et l’extrémité Ouest de la commune où se situe le massif cristallin du Mont-Blanc. Les nappes des Pontis et de Siviez-Mischabel s’étendent depuis le col du Grand Saint-Bernard jusqu’au col du Simplon, soit sur une centaine de kilomètres. Certaines communes situées sur ces nappes sont affectées par des fortes teneurs en arsenic dans les eaux souterraines comme dans les vallées latérales du Val d’Hérens, Val d’Anniviers, Mattertal et Saastal en rive gauche du Rhône.
La carte présentée en figure 5 permettra à la commune de Val de Bagnes de proposer un suivi qualitatif des ressources adapté aux conditions géologiques locales et de définir une stratégie de prospection de nouvelles ressources en eau potables en priorisant les zones à faible risque.

CONCLUSION

Dans cette étude, l’arsenic est le seul élément trace qui peut poser problème, 3 sources sur les 40 prélevées dépassent la limite de potabilité. La commune a mis en place des solutions permettant de maintenir l’exploitation de ces ressources (dilution et interconnexion) afin de garantir l'approvisionnement en eaux potable. L’antimoine et l’uranium sont localement présents sous les seuils de potabilité. Pour les 15 autres éléments traces analysés, les concentrations sont pratiquement toujours inférieures à 10% de la limite de potabilité. Il y a donc peu de risque d’avoir des dépassements pour ces substances dans les sources. Au regard de ces résultats, on peut constater que les zones à risque de fond géochimique élevé pour l’arsenic dans les eaux souterraines dans le Val de Bagnes sont associées aux formations des nappes des Pontis et de Siviez-Mischabel qui sont localement imprégnées de filons riches en sulfures métallifères, et au niveau des contacts avec ces unités.
Ce projet a mis en évidence l’hétérogénéité de la répartition géographique des fortes occurrences en arsenic qui dépendent de conditions physico-chimiques complexes et particulières pour la mise en solution dans les eaux souterraines. La fonte des neiges à l’origine des pics de débits des sources en mai-juin ne provoque pas de baisse significative des teneurs en éléments traces par effet de dilution. La comparaison des données acquises dans le cadre de ce projet avec celles de 1999 et 2003 ne montrent pas d’évolution significative des concentrations en arsenic dans les sources qui pourrait résulter de l’augmentation des épisodes de sécheresse qui ont eu lieu depuis 2010. Des campagnes resserrées dans le temps et répétées sur plusieurs cycles hydrogéologiques permettraient de généraliser ces observations.
Des programmes d’acquisition de données permettraient d’affiner les connaissances dans les secteurs où un risque est supposé (sur la base des prélèvements et des considérations lithologiques) mais non statistiquement vérifié compte tenu du nombre d’analyse qu’il a été possible d’entreprendre dans le cadre de ce projet. Des prélèvements à une plus large échelle permettraient de suivre les sources dans certaines unités géologiques au-delà des limites communales et ainsi confirmer le lien de ces unités avec les concentrations en arsenic dans les sources. Ce risque pourrait en outre être apprécié sur le terrain par la reconnaissance des zones riches en filons de sulfures et en skarns.
Même si les concentrations en éléments traces restent faibles, il est important de continuer un suivi régulier. Surtout que, dans un contexte de changement climatique, il n’est pas encore clairement défini comment les teneurs en éléments traces vont évoluer.
Enfin, il semble important que les exploitants et gestionnaires d’eau potable puissent mieux connaitre les zones à risque de fond géochimique géogène élevé sur leur territoire pour garantir un approvisionnement de qualité, pour rechercher de nouvelles ressources, pour développer des interconnexions entre réseaux, et pour établir des plans directeurs sur l’usage de l’eau. Dans ce contexte, la possibilité de poser un tel diagnostic revêt un intérêt stratégique.

Bibliographie

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[2] Dubois, J.-D. (1991): Typologie des aquifères du cristallin: exemple des massifs des Aiguilles rouges et du Mont-blanc (France, Italie et Suisse). Lausanne, Vaud: Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, N°950
[3] Pili, E. et al. (2013): Origin, Mobility, and Temporal Evolution of Arsenic from a Low-Contamination Catchment in Alpine Crystalline Rocks. Journal of Hazardous Materials 262: 887‑895. https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2012.07.004
[4] Tisserand, D. et al. (2014): Geogenic Arsenic in Groundwaters in the Western Alps. Journal of Hydrology 518: 317–325. https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2013.06.023
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[6] Zhu, Y.-G., éd. (2019): Environmental Arsenic in a Changing World: As2018, 7th International Congress and Exhibition on Arsenic in the Environment, Beijing, P.R. China, July 1 – 6, 2018. Boca Raton: CRC Press
[7] Cavalli, D. et al. (2002): Carte des ressources minérales de la Suisse. Valais – Oberland bernois. Notice explicative partielle. Rapport pour la Commission Géotechnique Suisse
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[11] Hug, S.J. et al.. (2020): Arsenic and Other Geogenic Contaminants in Groundwater – A Global Challenge. CHIMIA 74(7‑8): 524. https://doi.org/10.2533/chimia.2020.524

Remerciements

Cet article présente les résultats du projet mené entre avril 2021 et février 2023 intitulé «outils pour identifier les ressources en eau stratégique dans le contexte du changement climatique» cofinancé par ALTIS, gestionnaire délégué des réseaux d’eau et d’énergies de la commune de Val de Bagnes, et le fond de recherche sur l’eau (FOWA) de l’association professionnelle des distributeurs de gaz, d’eau et de chaleur à distance (SSIGE). Nos remerciements s’adressent à ALTIS pour leur implication dans le projet et leur disponibilité sur le terrain et la SSIGE pour leur soutien. Nous remercions également les laboratoires du SCAV et d’ANESA pour le bon déroulement des campagnes d’échantillonnage et des analyses. Le projet se compose de 2 volets traités de manière séparée dans la publication des résultats: aspects quantitatifs et qualitatifs. Cet article se concentre principalement sur les aspects qualitatifs.

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