Le chlorothalonil est un produit phytosanitaire largement utilisé comme fongicide dans l’agriculture Suisse depuis les années 1970. En janvier 2018, l’agence européenne EFSA (European Food and Safety Agency) a publié un rapport indiquant que le chlorothalonil était une substance cancérigène de catégorie 1B. Par conséquent, tous les métabolites du chlorothalonil devraient être considérés comme pertinents, ce qui implique une réglementation de toutes ces substances à 0,1 µg/l dans l’eau destinée à la consommation humaine [1]. La Suisse a mis en place cette régulation dès décembre 2019 et a interdit l’utilisation du chlorothalonil depuis janvier 2020. La publication de la directive 2020/1 par l’OSAV en septembre 2020 obligeait les distributeurs d’eau à trouver des solutions pour respecter les normes mises en place sous un délai de 2 ans. Cette directive est aujourd’hui en suspens à la suite du recours déposé par la société productrice du chlorothalonil auprès le tribunal administratif fédéral dont l’instruction est en cours.
La dégradation du chlorothalonil dans l’environnement étant rapide (environ 1 mois pour dégrader la moitié des quantités épandues), sa présence dans l’environnement est aujourd’hui peu probable. En revanche, les métabolites du chlorothalonil (molécules issues de sa transformation dans les sols) sont des molécules persistantes pouvant rester plusieurs mois, voire plusieurs années dans les nappes phréatiques. Du fait de leur concentration élevée dans l’environnement [2, 3] et de leur difficulté à être éliminés par des procédés de traitement conventionnels [4, 5], les métabolites R471811 et R417888 sont devenus les cibles prioritaires des distributeurs d’eau.
Une première étude publiée par l’Eawag en 2020 montre que les procédés de traitement dégradatifs tels que l’ozonation, l’oxydation avancée ou encore la désinfection UV sont inefficaces pour éliminer ces deux métabolites [4, 5]. En revanche, l’utilisation d’un filtre à charbon actif en grains (CAG) permet de retenir le métabolite R471811 jusqu’à un taux de traitement de l’ordre de 25 m3/kg CAG lorsque les membranes d’osmose inverse permettent une rétention des métabolites supérieures à 98%.
Même si la technologie par osmose inverse joue le rôle d’une barrière performante contre les micropolluants, ce procédé nécessite une consommation énergétique importante, la gestion des concentrats (représentant environ 20 à 30% de l’eau traitée) est problématique, et l’eau traitée nécessite une reminéralisation avant distribution. Par conséquent, le procédé d’adsorption par charbon actif semble être une solution mieux adaptée au contexte. La seule limitation identifiée est la faible capacité du charbon actif à adsorber les deux métabolites, ce qui nécessite une régénération fréquente du charbon actif et ainsi des coûts d’exploitation relativement élevés.
Dans ce contexte, des essais pilotes co-financés par le fonds de recherche pour l’eau (FOWA) de la SSIGE ont démarré en janvier 2021 dans le but d’évaluer l’efficacité de deux procédés d’adsorption sur charbon actif optimisés (filtre LUCA et procédé CarboPlus®) et de comparer les résultats obtenus avec ceux d’un procédé d’adsorption conventionnel (lit fixe). Des tests ont également été entrepris pour savoir si le charbon actif utilisé dans le procédé CarboPlus® pouvait être réutilisé pour le traitement tertiaire des micropolluants dans une station d’épuration (STEP).
Récemment rénové et de grande capacité (7000 l/min), le puits de la Vernaz est la ressource principale des communes de Payerne et Corcelles-près-Payerne VD. Ce puits se situe sur le plateau Suisse au milieu de terres cultivées présentant un fort potentiel de contamination par des produits phytosanitaires, dont le chlorothalonil. La concentration en métabolite R471811 est en moyenne 7,6 fois supérieure à la limite autorisée avec des variations entre 0,53 et 0,93 µg/l sur la durée des essais pilotes (fig. 1). La teneur en métabolite R417888 était de 0,07 ± 0,01 µg/l et n’a jamais dépassé la limite de 0,1 µg/l. Les analyses ont également révélé des teneurs importantes pour deux métabolites du chloridazone, le desphényl-chloridazone (1,17 ± 0,08 µg/l) et le méthyl-desphényl-chloridazone (0,17 ± 0,02 µg/l). A noter que le chloridazone est un herbicide autorisé en Suisse et utilisé dans la culture de la betterave sucrière mais interdit en Europe depuis 2018. La teneur en carbone organique dissous (COD) est d’environ 0,6 mg C/l, ce qui est typique d’une eau souterraine du plateau suisse.
Il n’existe aujourd’hui aucune redondance suffisante dans la région de Payerne VD pour remplacer la production d’eau au puits de la Vernaz. Aussi, l’ajout d’une filière de traitement sur cette ressource est certainement la meilleure solution. Des essais pilotes ont ainsi été réalisés sur différents filtres à charbon actif (fig. 2) pour estimer leur capacité à éliminer les micropolluants et en particulier le métabolite R471811:
Â
Une fois extrait du pilote CarboPlus® du puits de la Vernaz, le charbon actif micrograin a été stocké avant d’être réinjecté dans un pilote similaire connecté en sortie du décanteur secondaire de la STEP de Penthaz VD afin de tester son efficacité pour l’élimination des micropolluants cibles définis par l’OFEV dont les teneurs dans l’effluent secondaire sont présentées à la figure 3. Ce pilote a fonctionné à vitesse constante de 11 m/h et un dosage de charbon actif de 15 mg/l en parallèle du procédé CarboPlus® utilisé sur la STEP. L’abattement des micropolluants a été calculé selon l’ordonnance du DETEC [6].
Â
Soupçonnant un effet du temps de contact sur l’adsorption du mĂ©tabolite R471811, deux vitesses de filtration (3,8 et 7,2 m/h) et plusieurs hauteurs de lit de CAG ont Ă©tĂ© testĂ©es (40 Ă 200 cm) afin de simuler plusieurs temps de contact. La superÂposition des courbes de percĂ©e obtenues sous ces diffĂ©rentes conditions indique que le temps de contact a peu d’effet sur la rĂ©tention du mĂ©tabolite R471811 pour des temps de contact variant entre 3,3 et 16,7 min (fig. 4). Dans tous les cas, le charbon actif devra ĂŞtre remplacĂ© après un volume traitĂ© Ă©quivalent d’environ 25 Ă 30 m3/kg CAG pour ne pas dĂ©passer la limite de 0,1 µg/l en sortie du filtre. A noter que la concentration en mĂ©tabolite R471811 n’a jamais dĂ©passĂ© la limite de quantification de 0,05 µg/l pour des volumes traitĂ©s infĂ©rieurs Ă 22 m3/kg CAG.
Le métabolite R417888 ainsi que les deux métabolites du chloridazone présentaient des teneurs inférieures aux limites de quantification analytiques jusqu’à un volume d’eau traité de 73 m3/kg CAG. Pour un volume traité de 137 m3/kg CAG, la concentration en métabolite R417888 était de 0,03 µg/l en sortie du filtre CAG et de 0,16 µg/l pour le desphényl-chloridazone, ce qui représente des abattements respectifs de 59% et 87% lorsque l’abattement du métabolite R471811 n’est plus que de 11%.
Le filtre LUCA (Layered Upflow Carbon Adsorber) a été développé au début des années 1990 par le bureau RWB et l’Eawag dans le but de limiter la préadsorption des matières organiques naturelles et augmenter la capacité d’adsorption d’un filtre CAG pour des composés organiques volatils (COV) [7]. Les substances organiques, quantifiables par la mesure du COD, sont en général moins adsorbables sur le charbon actif que les micropolluants. Le front d’adsorption du COD se déplace donc plus rapidement dans les couches supérieures du filtre CAG que ceux des micropolluants. En ajoutant progressivement des couches de CAG dans le filtre, la préadsorption du COD est évitée et pour une même quantité de CAG, la capacité d’adsorption des micropolluants est plus importante dans un filtre LUCA que dans un filtre CAG conventionnel. D’après la figure 5, les deux CAG testés dans cette étude ont des performances équivalentes avec des volumes traités d’environ 50 m3/kg CAG pour le CAG Filtrasorb 400 (fig. 5a) et environ 55 m3/kg CAG pour le CAG ROW 0.8 Supra (fig. 5b), soit un gain d’environ 100% par rapport à un filtre CAG conventionnel. A noter qu’à hauteur de lit équivalente d’environ 100 cm, ce gain est de seulement 60% pour le CAG Filtrasorb 400. Même si le CAG ROW 0.8 Supra montre des performances 10% plus élevées, il est important de tenir également compte de la densité des deux CAG de 475 kg/m3 pour le Filtrasorb 400 et 360 kg/m3 pour le ROW 0.8 Supra. A masse de CAG équivalente, un filtre CAG rempli de ROW 0.8 Supra sera donc 25% plus volumineux qu’un filtre à base de CAG Filtrasorb 400.
Dans le cadre de cette étude, les résultats d’analyses sur le métabolite R471811 n’ont pas pu être anticipé. Par conséquent, les couches de CAG ont toujours été ajoutées après le dépassement de la limite de 0,1 µg/l. Il conviendra dans un procédé à taille réelle d’ajouter les couches plus rapidement que lors des essais pilotes afin de respecter en tout temps les normes de qualité d’eau.
Les essais sur le pilote CarboPlus® ont débuté par une première phase de mise en charge (entre 0 et 32 m3/kg) où le charbon actif micrograins Microsorb 400 a été ajouté sans purge jusqu’à une hauteur d’environ 175 cm. Dans une deuxième phase, une partie du µCAG a été renouvelée deux fois par semaine pour une dose de charbon frais équivalente à 16,8 mg/l d’eau traitée.
La figure 6 montre que la dose initiale sélectionnée n’est pas suffisante pour maintenir une concentration résiduelle en métabolite R471811 en dessous de 0,1 µg/l. Le dépassement de cette limite est atteint après un volume traité d’environ 45 m3/kg. Des essais complémentaires avec une dose de µCAG plus élevée sont en cours et tendent à démontrer que la dose optimale se situerait aux alentours de 25 à 30 mg/l.
Une augmentation du temps de contact permettrait très probablement de diminuer la dose de µCAG à renouveler. Cependant, cela impliquerait également une taille de filtre plus importante. Cette hypothèse n’a pas pu être vérifiée dans le cadre de ces essais par manque de temps.
Le suivi de l’élimination de micropolluants à travers une usine de production d’eau potable engendre des dépenses d’exploitation importantes, en particulier pour des micropolluants difficilement éliminables qui requièrent une fréquence d’analyses plus importantes.
Comme indiqué précédemment, les matières organiques présentes dans les eaux naturelles sont moins adsorbables que les micropolluants. Elles sont donc détectées avant les micropolluants en sortie d’un filtre CAG. Une solution simple pour analyser ces matières organiques naturelles est de quantifier l’absorbance UV à 254 nm (UV254). Contrairement à la mesure du COD, l’analyse de l’UV254 est facilement intégrable en ligne et les résultats des essais pilotes montrent une bonne corrélation entre le pourcentage d’UV254 non retenu sur les CAG et la teneur résiduelle en métabolite R471811 (fig. 7).
Lorsque la fraction d’UV254 non adsorbée est inférieure à 30%, seulement trois échantillons sur l’ensemble des échantillons analysés présentaient des teneurs en métabolite R471811 comprises entre la limite de quantification et la limite de 0,1 µg/l. Malgré la disparité des corrélations, il est possible de maintenir une teneur résiduelle en métabolite R471811 inférieure à 0,1 µg/l en sortie de filtre CAG en surveillant le pourcentage d’UV254 non adsorbés en dessous de 35 à 40% selon le CAG utilisé.
Les résultats précédents ont démontré que la fréquence du remplacement du charbon actif est rapide lorsque les micropolluants ciblés sont faiblement adsorbables. Aussi, une réutilisation pour le traitement des micropolluants dans les STEP est envisageable si elle répond aux deux conditions principales suivantes:
La figure 8 présente les résultats des tests réalisés sur le pilote CarboPlus® à la STEP de Penthaz. Avec une dose de µCAG de 15 mg/l (équivalent à celle appliquée dans le CarboPlus® grande échelle de la STEP), les taux d’abattement des micropolluants cibles ont oscillé autour de 80% pendant les 6 mois d’essais, ce qui démontre le potentiel de réutilisation du µCAG. Pour s’assurer d’avoir un taux d’abattement toujours supérieur à 80%, il conviendrait tout de même d’ajouter une faible proportion de µCAG neuf au µCAG réutilisé lors de l’injection de charbon (mélange optimal non déterminé dans le cadre de cette étude).
Par ailleurs, aucune désorption du métabolite R471811 n’a été observée en sortie du pilote CarboPlus®.
A noter que le procédé CarboPlus® est aujourd’hui utilisé en Suisse pour éliminer les micropolluants dans les STEP de Penthaz VD [8] et Delémont JU, mais qu’il n’existe en revanche aucune usine de production d’eau potable équipée de ce procédé.
Les essais pilotes réalisés au puits de la Vernaz et à la STEP de Penthaz ont mis en évidence les conclusions suivantes:
[1] European Food Safety (EFSA) (2018): Peer review of the pesticide risk assessment of the active substance chlorothalonil. EFSA Journal 16(1). https://doi.org/10.2903/j.efsa.2018.5126
[2] Kiefer, K. et al. (2019): New Relevant Pesticide Transformation Products in Groundwater Detected Using Target and Suspect Screening for Agricultural and Urban Micropollutants with LC-HRMS. Water Research 165: 114972. https://doi.org/10.1016/j.watres.2019.114972
[3] Kiefer, K. et al. (2019): Pflanzenschutzmittel-Metaboliten im Grundwasser. Ergebnisse aus der NAQUA-Pilotstudie «Screening». Aqua & Gas 11/2019: 14–23
[4] Kiefer, K. et al. (2020): Chlorothalonil transformation products in drinking water resources: Widespread and challenging to abate. Water Research 183: 116066. https://doi.org/10.1016/j.watres.2020.116066
[5] Eawag (2020): Fact sheet: Métabolites du chlorothalonil: un nouveau challenge pour l’approvisionnement en eau potable.
[6] Ordonnance du DETEC visant à contrôler l’efficacité des mesures d’élimination des composés traces organiques dans les installations d’épuration des eaux usées, 814.201.231, du 3 novembre 2016 (état au 1er décembre 2016)
[7] Munz, C. et al. (1990): Evaluating layered upflow carbon adsorption for the removal of trace organic contaminants. Journal American Water Works Association 82(3): 63–76
[8] Grelot, J. et al. (2021): Elimination des micropolluants par CAG en lit fluidisé – Expériences de l’exploitation de la STEP de Penthaz. Aqua & Gas 1/2021: 30–38
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «AQUA & GAS» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Wasserspiegel» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Kommentare (0)