Dans de nombreux bâtiments, le système de distribution d’eau potable est contaminé par des légionelles. Ces bactéries infectent l’humain lors de l’inhalation de gouttelettes d’eau contaminées et peuvent ainsi causer une pneumonie sévère, la légionellose ou un syndrome pseudo-grippal plus modéré, la fièvre de Pontiac [1]. Il est estimé qu’environ un tiers des épidémies de légionelles sont dues à la présence du pathogène dans l’eau potable [2].
En Suisse, une concentration de légionelles supérieure à 1000 untiés formatrices de colonies par litre (UFC/l) dans les douches publiques requiert l’intervention immédiate du propriétaire du bâtiment afin de réduire leur concentration [3]. L’une des principales stratégies de contrôle des légionelles dans les installations domestiques est l’utilisation de températures élevées dans le chauffe-eau. À cet égard, les directives nationales et internationales recommandent l’utilisation d’une température de chauffe-eau de 60 °C [4] et/ou le maintien d’une température supérieure à 55 °C dans les parties du système de distribution avec recirculation d’eau, ainsi que dans les portions continuellement chauffées à l’aide de rubans chauffants autorégulants. Les normes requièrent également qu’une température d’eau chaude de 50 °C puisse être atteinte au niveau du robinet [2, 5]. Cependant, lorsque les robinets ne sont pas utilisés, ces températures élevées ne sont pas maintenues, ce qui peut conduire à des températures modérées (25–45 °C) favorisant la prolifération des légionelles [6]. De plus, dans le but d’économiser l’énergie, il n’est pas rare que les températures élevées ne soient pas continuellement utilisées.
Dans cette étude de cas qui se concentre sur un grand bâtiment contaminé par le pathogène, nous démontrons comment de simples interventions techniques au niveau des réglages du système d’eau chaude ont permis de réduire la concentration de L. pneumophila en dessous des concentrations critiques. Notre étude démontre aussi que l’utilisation d’une température de chauffe-eau plus modérée, accompagnée de plusieurs cycles de surchauffe, n’est pas suffisante pour contrôler le pathogène dans le bâtiment considéré.
L’objet d’étude est le bâtiment de recherche de l’Eawag, qui comporte environ 150 robinets distribués sur 6 étages et deux vestiaires avec douches. La conduite principale montante comporte une circulation active, tandis que les boucles desservant chaque étage ont été conçues avec une circulation passive (fig. 1).
Pour déterminer la concentration des légionelles dans le système de distribution d’eau, deux types d’échantillons ont été prélevés: des échantillons prélevés durant le premier écoulement du robinet (1 l) et des échantillons prélevés après avoir laissé couler l’eau durant 5 minutes (500 ml) (fig. 1). Les échantillons prélevés durant le premier écoulement contenaient approximativement 300 ml d’eau provenant de la partie distale du système de distribution (robinet et conduite séparant le robinet de la boucle de circulation passive) et 700 ml d’eau provenant de la boucle de circulation passive de l’étage (i. e. échantillons périphériques). Les échantillons prélevés après 5 minutes d’écoulement contenaient l’eau provenant de la conduite principale (i. e. échantillons systémiques). Pour déterminer la concentration de L. pneumophila dans ces échantillons, nous avons utilisé la méthode Legiolert (IDEXX). Cette méthode basée sur la culture des bactéries conduit à la détermination du nombre le plus probable, en anglais «most probable number» (MPN), de L. pneumophila. C’est une estimation statistique équivalente mais non identique à l’unité formatrice de colonie (UFC) communément utilisée pour les normes et limites légales en Suisse [7]. Dans cette étude, les valeurs des échantillons périphériques et systémiques ont été combinées, la contamination du bâtiment étant à la fois périphérique et systémique.
Initialement, la pompe de recirculation était active uniquement les jours de la semaine, de 5 heures à 19 heures, et le bâtiment était desservi par un seul chauffe-eau (1000 l). En tant qu’institut gouvernemental, l’Eawag se doit d’être un exemple en ce qui concerne l’économie d’énergie. Pour cette raison, la température du chauffe-eau était réglée à 40 °C, avec un cycle de surchauffe (70 °C durant 4 heures) une fois par semaine (tab. 1 , période A). Les cycles de surchauffe étaient effectués de nuit quand la pompe de recirculation était éteinte. Ce faisant, la température de 70 °C fixée dans le chauffe-eau ne pouvait pas atteindre la même valeur dans les autres parties du système de distribution lors du cycle de surchauffe. Les capteurs de température dans la partie supérieure du chauffe-eau indiquaient une température médiane de 40,3 °C. Les cycles de surchauffe ont été mesurés par les capteurs tous les mercredis durant la nuit (fig. 2a).
Au début de l’étude (tab. 1, période A), la concentration médiane de L. pneumophila dans les échantillons collectés entre décembre 2017 et mars 2018 était de 5383 MPN/l (n = 36; fig. 3). Cette contamination a été confirmée par des mesures parallèles effectuées par les Laboratoires cantonaux de Zürich (données non incluses).
Comme la concentration en légionelles était supérieure à 1000 MPN/l, l’Eawag a initié des actions correctives et formé un groupe opérationnel comprenant la direction, les services techniques, le département de la communication, ainsi que des chercheurs pour superviser l’intervention. En premier lieu, les douches des vestiaires, qui représentaient le plus grand risque d’infection, ont été équipées d’un chauffe-eau séparé, constamment réglé à une température de 60 °C. Après ce changement, la concentration de L. pneumophila dans les échantillons provenant des douches était inférieure à 10 MPN/l (données non incluses) et par conséquent, les données provenant des douches ont été exclues de cette étude.
Une fois les douches sécurisées, l’efficacité de différentes stratégies de mitigation a pu être testée dans le reste du bâtiment. Plusieurs interventions techniques ont été effectuées de mars 2018 à mars 2019 (tab. 1, périodes B à F). Ces interventions ont été supervisées par les services techniques et contrôlées par l’équipe de recherche (> 500 échantillons prélevés), et toutes les actions ont été communiquées aux usagers réguliers du bâtiment.
La première intervention fut d’activer brièvement (7 minutes) la pompe de recirculation chaque heure durant les cycles de surchauffe de 4 heures, de façon à ce que l’eau chaude atteigne la boucle de circulation principale (tab. 1, période B). Si cette intervention n’a probablement pas permis à l’eau chaude d’atteindre les portions distales, il est néanmoins possible qu’elle ait permis de réduire la concentration de légionelles grâce à la désinfection thermale de la conduite montante principale, et, dans une certaine mesure, les boucles de circulation de chaque étage.
Comme la seule différence entre la période A et la période B est l’activation brève de la pompe de recirculation durant le cycle de surchauffe, les profils de températures observés dans le chauffe-eau durant ces deux périodes sont similaires (fig. 2b). Cependant, la température médiane dans la partie supérieure du chauffe-eau a augmenté à 46,9 °C alors qu’elle n’était que de 40,3 °C durant la période A. La raison de cette augmentation n’est pas connue.
Durant la période B, la concentration médiane de L. pneumophila a diminué à 223 MPN/l (n = 56; fig. 3), suggérant un impact positif de l’activation de la pompe à recirculation. Cependant, la présence du pathogène a été détectée très fréquemment dans les échantillons (95% d’échantillons positifs), probablement parce que l’eau surchauffée n’a été que brièvement distribuée dans les parties accessibles à la recirculation, tandis que les parties distales du système de distribution n’ont pas été exposées. Ceci a pu engendrer la recontamination du système et éventuellement la prolifération des bactéries sur la biomasse morte suite au choc thermique [6, 8].
Pour tenter de réduire la concentration de L. pneumophila et le nombre d’échantillons positifs, la température du chauffe-eau a été augmentée à 60 °C (sans cycle de surchauffe) durant une période de 3 semaines (tab. 1, période C). Ceci a permis d’assurer qu’une température supérieure à 55 °C soit atteinte dans les parties principales du système de distribution et soit distribuée dans les parties distales du système quand les robinets étaient utilisés. Ces ajustements correspondent aux recommandations pour le contrôle thermal des légionelles [4, 6, 9].
Le profil de température du chauffe-eau durant la période C indiquait une température avoisinant généralement 60 °C, ainsi que des pics de températures supérieurs à 70 °C (fig. 2c). La raison de ces pics n’est pas claire, car ils ne font pas partie des réglages effectués au niveau du chauffe-eau. Ils pourraient être partiellement dus à une stratification thermale du chauffe-eau la nuit, lorsque la pompe de recirculation était éteinte. Il est également possible que ces pics soient le résultat d’une installation/calibration non idéale des capteurs de température sur le chauffe-eau.
Suite à cette intervention, la concentration médiane de L. pneumophila a diminué jusqu’à atteindre 10 MPN/l (n = 42), avec seulement 10% d’échantillons positifs (fig. 3). Il est ainsi possible de conclure que l’utilisation d’une température constante de 60 °C au niveau du chauffe-eau a permis de réduire la concentration du pathogène au niveau des parties systémiques et périphériques du système.
Après 3 semaines à 60 °C, les réglages appliqués durant la période B ont été à nouveau appliqués (température du chauffe-eau à 45 °C et un cycle de surchauffe par semaine avec activation de la pompe de recirculation; tab. 1, période D). Les milieux académiques comme industriels essaient d’optimiser la température utilisée au niveau du chauffe-eau dans le but de maximiser l’économie d’énergie tout en minimisant le risque de contamination par des légionelles [2, 10-13]. L’objectif de la période D était de vérifier si une température de 45 °C accompagnée d’un cycle de surchauffe est suffisante pour limiter la recontamination par le pathogène après la désinfection thermale observée durant la période C (tab. 1).
Durant la période D, le profil de la courbe de température indiquait une température médiane de 41,9 °C ainsi que le cycle de surchauffe (70 °C) le mercredi (fig. 2d). La figure 3 montre que la diminution de la température du chauffe-eau a conduit à une augmentation de la concentration de L. pneumophila dans l’eau, avec une médiane de 504 MPN/l (n = 92, positivité = 90%).
Si l’on compare les concentrations observées au fil des journées d’échantillonnage, on remarque une augmentation graduelle de la concentration, avec une médiane de 11 MPN/l (n = 16) après une semaine, suivi d’une concentration de 58 MPN/l (n = 16), 723 MPN/l (n = 16) et 1093 MPN/l (n = 16) les semaines suivantes (fig. 3 et fig. 4a). L’augmentation de la concentration du pathogène durant cette période montre que l’utilisation d’une température de 60 °C durant la période C n’a pas été suffisante pour contrôler la concentration de L. pneumophila sur le long terme. Aussitôt la température descendue à 45 °C, la concentration de L. pneumophila a augmenté, ce qui concorde avec des études menées précédemment [14, 15]. Deux raisons pourraient expliquer ce constat:
Pour répondre à l’augmentation rapide de la concentration de légionelles durant la période D, le nombre de cycles de surchauffe par semaine a été augmenté à trois, tandis que la température du chauffe-eau était maintenue à 45 °C (tab. 1, période E). Le but était de déterminer si l’utilisation de multiples cycles de surchauffe permet de limiter la prolifération de la bactérie.
Les 3 cycles de surchauffe ont été enregistrés par le capteur de température les lundis, mercredis et vendredis, avec une température moyenne de 59,8 °C durant 6 heures. En dehors des cycles de surchauffe, la température médiane était de 42,8 °C (fig. 2e). De courts pics de température inexpliqués à 70 °C sont mesurés les mardis et samedis, comme durant la période C (voir fig. 2c). De nouveau, nous attribuons ces pics de températures à la stratification thermale dans le chauffe-eau et non à des conditions opératoires planifiées.
Contre toute attente, ces réglages ont conduit à une augmentation de la concentration de L. pneumophila, avec une concentration médiane de 11629 MPN/l (n = 138), ce qui est bien supérieur aux concentrations médianes observées durant la phase initiale (période A) et la phase précédente (période D). Comme durant les périodes B et D, ceci pourrait être attribué à une désinfection thermale insuffisante dans les parties distales du système et une prolifération des bactéries restantes grâce à l’utilisation de la biomasse morte comme substrat [8]. Dans la littérature, il est suggéré que les légionelles sont capables de développer une résistance à la température suite à un choc thermique [18, 19]. Les cycles de surchauffe utilisés durant la période précédente (période D) ont donc pu conduire à une sélection de légionelles thermo-tolérantes, les 3 cycles de surchauffe utilisés durant la période E ayant aggravé la situation. Cette hypothèse concorde avec les résultats d’une étude menée par Rühling et al. [20] qui démontre que les cycles de surchauffe à 70 °C favorisent la prolifération des légionelles, lorsqu’ils sont utilisés quotidiennement. Les normes suisses recommandent l’utilisation d’une température de 70 °C avec rinçage des robinets uniquement comme mesure de secours. Il ne faut pas faire recours à ce procédé quotidiennement car de telles températures peuvent endommager le système de distribution et causer une précipitation du carbonate de calcium [5].
Comme l’utilisation de cycles de surchauffe s’est révélée inefficace pour contrôler les légionelles, la température du chauffe-eau a été augmentée à une température constante de 60 °C durant les jours de la semaine, sans cycle de surchauffe (tab. 1, période F).
Le profil de température d’une semaine représentative de la période F indiquait une température médiane de 60,3 °C durant les jours de la semaine et une température de 40 °C le week-end (fig. 2f).
Suite à l’augmentation de température, la concentration de L. pneumophila a diminué, pour atteindre une valeur médiane de 168 MPN/l (n = 12) après une semaine à 60 °C, et une médiane de 23 MPN/l et une positivité des échantillons de 63% (n = 16) après un mois (fig. 4b). La diminution de concentration a été plus rapide dans les échantillons systémiques que dans les échantillons périphériques (données non incluses). Ceci pourrait s’expliquer par le maintien de températures élevées de façon continue dans le chauffe-eau et la conduite montante principale, alors que les parties distales du système n’étaient exposées que lorsque les robinets étaient utilisés.
Nos données démontrent que le maintien d’une température constante de 60 °C est la façon la plus efficace de contrôler le pathogène dans le système considéré. Ceci est en accord avec des études précédentes utilisant le contrôle thermique pour combattre le pathogène [6, 21–23]. De plus, les normes et régulations récentes invitent à maintenir une température élevée au niveau du chauffe-eau [4, 5, 8]. Il est important d’adapter les stratégies de contrôle des légionelles au système considéré. S’il a été démontré dans le cadre de cette étude qu’une température de chauffe-eau de 60 °C était nécessaire pour prévenir des concentrations de légionelles élevées, d’autres solutions peuvent permettre une optimisation de la température et une minimisation de la consommation d’énergie [10, 13].
Cette étude d’une durée de 15 mois (> 500 échantillons) démontre que des interventions techniques simples ont eu un impact direct sur les concentrations de L. pneumophila dans un bâtiment contaminé. Une température de chauffe-eau de 45 °C accompagnée d’un ou de plusieurs cycles de surchauffe à 70 °C n’a pas été efficace pour réduire la concentration du pathogène et le taux de positivité des échantillons. Cependant, le maintien de températures élevées dans le chauffe-eau représente aussi un coût énergétique non-négligeable, ce qui explique qu’une température constante de 60 °C ne soit pas toujours utilisée et que d’autres alternatives soient envisagées. La suite de cette étude, ainsi qu’un nouveau projet de contrôle des légionelles dans le bâtiment (projet LeCo: www.eawag.ch/leco), portent sur l’évaluation des stratégies pour harmoniser l’économie d’énergie et l’hygiène dans les systèmes de distribution d’eau potable. Il est important de noter que les gestionnaires d’immeubles jouent un rôle clé dans la prévention de la contamination par des légionelles:
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