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Article technique
07. avril 2025

Résultats de 150 ans de recherche

Diversité remarquable de corégones en suisse

Les lacs Suisses présentent une diversité exceptionnelle de corégones qui joue un rôle majeur dans l’écosystème. Les résultats de recherche scientifique présentés ici montrent qu’il est indispensable de considérer les mécanismes et le contexte environnemental qui ont conduit à l’émergence d’une telle profusion d’espèces pour préserver cette biodiversité et assurer à long terme une pêche durable. La protection de cette diversité dans les différents lacs permettra de préserver la capacité naturelle de rendement de ces écosystèmes et les ressources alimentaires qui en découlent.
Ole Seehausen, Pascal Vonlanthen,  Oliver M. Selz, 

Les lacs suisses abritent une diversitĂ© de corĂ©gones unique en Europe. Ils en comptaient autrefois au moins 34 espĂšces, gĂ©nĂ©tiquement, morphologiquement et Ă©cologiquement distinctes, et en totalisent encore 24 aujourd’hui (fig. 1). Toutes ces espĂšces ne sont prĂ©sentes que dans des lacs situĂ©s en Suisse ou Ă  la frontiĂšre des pays voisins et n’existent nulle part ailleurs au monde. Il incombe ainsi Ă  la Suisse une Ă©norme responsabilitĂ© pour la prĂ©servation de cette prĂ©cieuse biodiversitĂ© [1]. Mais l’importance des corĂ©gones ne se limite pas aux aspects de conservation des espĂšces. Ils constituent aussi depuis des siĂšcles une ressource majeure pour la pĂȘche professionnelle et de loisir. Ces vingt derniĂšres annĂ©es, ils reprĂ©sentaient ainsi respectivement en moyenne 60 et 25 % des captures de ces deux types de pĂȘche en Suisse (www.fischereistatistik.ch). Enfin, ils occupent une place centrale dans les Ă©cosystĂšmes lacustres dont ils reprĂ©sentent la plus forte contribution Ă  la biomasse en zone pĂ©lagique (eau libre) et en zone profonde [2].

Le nombre d’espĂšces de corĂ©gones historiquement prĂ©sentes dans un lac varie fortement d’un lac Ă  l’autre. Ceux du Plateau n’en comportaient le plus souvent qu’une seule et probablement jamais plus de trois. Les lacs pĂ©rialpins de basse altitude comme celui de Thoune abritent encore aujourd’hui jusqu’à six espĂšces connues de corĂ©gones [3].

Bien qu’il existe de maniĂšre gĂ©nĂ©rale une grande disparitĂ© morphologique entre les espĂšces, certaines prĂ©sentent une telle similitude qu’il est trĂšs difficile de les distinguer Ă  l’Ɠil nu. Plusieurs naturalistes ont successivement travaillĂ© au cours des deux derniers siĂšcles Ă  la description scientifique des diffĂ©rentes espĂšces et Ă  leur classification et ils ont bien souvent abouti Ă  des conclusions diffĂ©rentes. Leurs divergences s’expliquent notamment par le fait qu’ils ne disposaient pas des outils d’analyse gĂ©nĂ©tique et molĂ©culaire actuels, qui n’existent que depuis 25 ans. La complexitĂ© taxonomique des corĂ©gones rend une gestion cohĂ©rente et une protection efficace de leur diversitĂ© trĂšs difficile. C’est d’ailleurs un problĂšme commun Ă  tous les groupes riches en espĂšces et qui concerne Ă©galement d’autres familles de poissons.

En corollaire de cette situation, la lĂ©gislation suisse ne considĂšre aujourd’hui les corĂ©gones que de façon globale, sans tenir compte de leur diversitĂ©. À l’annexe 1 de l’Ordonnance relative Ă  la loi fĂ©dĂ©rale sur la pĂȘche (OLFP), les corĂ©gones sont ainsi listĂ©s comme un groupe d’espĂšces (Coregonus spp.). Elle ne prĂ©cise ainsi pas de statut de conservation ou de menace pour les espĂšces individuelles. Bien que ce problĂšme soit typique des groupes taxonomiques riches en espĂšces, il n’en reste pas moins un vĂ©ritable obstacle pour les efforts de protection de la biodiversitĂ©.

Depuis plusieurs dizaines d’annĂ©es, la Suisse a de nouveau intensifiĂ© ses recherches sur la biodiversitĂ© des corĂ©gones en misant sur des mĂ©thodes de gĂ©nĂ©tique en complĂ©ment des caractĂ©risations morphologiques. Cette nouvelle approche a permis de mieux comprendre la structuration des espĂšces et leurs rapports de parentĂ© au sein des lacs ainsi que de dĂ©crypter les processus Ă©cologiques et Ă©volutifs qui ont conduit Ă  l’émergence et au maintien des espĂšces et qui leur sont encore nĂ©cessaires aujourd’hui. Ces travaux ont Ă©galement fait en sorte que la biodiversitĂ© des corĂ©gones suisses dĂ©jĂ  dĂ©crite dans la littĂ©rature scientifique internationale (cf. chap. La taxonomie des corĂ©gones – hier et aujourd’hui) a enfin trouvĂ© sa place dans la nouvelle Ă©dition de l’Atlas des poissons de Suisse parue en 2018 [4] ainsi que dans la Liste rouge des poissons et cyclostomes menacĂ©s de Suisse parue en 2022 [5], oĂč elle est dĂ©crite en annexe. Dans sa nouvelle Liste rouge des poissons d’eau douce d’Europe, l’UICN fait maintenant apparaĂźtre les diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones de la Suisse aussi bien en annexe que dans le texte (www.iucn.org). La plupart des espĂšces y sont considĂ©rĂ©es comme menacĂ©es, voire fortement menacĂ©es.

Seules la prise en compte et la protection de cette biodiversitĂ© permettront une exploitation halieutique durable des diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones. Ces poissons illustrent parfaitement comment, localement, la biodiversitĂ© assure des fonctions essentielles dans les Ă©cosystĂšmes tout en livrant une ressource alimentaire de grande valeur pour la population humaine. Toute perte au niveau de cette biodiversitĂ© peut avoir des consĂ©quences considĂ©rables sur d’importants services Ă©cosystĂ©miques et affecter, par exemple, la productivitĂ© halieutique naturelle des lacs [6]. GrĂące au soutien financier de l’OFEV, l’Eawag a rĂ©alisĂ© une synthĂšse des connaissances actuelles en matiĂšre de taxonomie et d’écologie des corĂ©gones. Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans un rapport intitulĂ© «L’exceptionnelle diversitĂ© des corĂ©gones suisses – rĂ©sultats de 150 ans de recherche» qui en prĂ©sente une analyse dĂ©taillĂ©e lac par lac dans des chapitres spĂ©cifiques [7]. Ces diffĂ©rents chapitres Ă©mettent Ă©galement des recommandations en vue de la protection des espĂšces de corĂ©gones. Celles-ci doivent maintenant ĂȘtre examinĂ©es de plus prĂšs par les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales et cantonales et appliquĂ©es dans tous les cas possibles.

Sans ĂȘtre exhaustif, cet article prĂ©sente un certain nombre de rĂ©sultats du rapport ainsi que des recommandations gĂ©nĂ©rales de gestion issues des chapitres dĂ©diĂ©s aux diffĂ©rents lacs.

Comment la diversité des espÚces de corégones est-elle apparue?

Distribution des corégones

Le genre Coregonus, qui rassemble notamment les espĂšces de corĂ©gones de Suisse, est potentiellement prĂ©sent dans tout l’hĂ©misphĂšre nord au-delĂ  du 40e parallĂšle. En Europe, la partie septentrionale de l’arc alpin correspond Ă  la limite sud de son aire de rĂ©partition naturelle. Elle est cependant isolĂ©e de son aire de rĂ©partition principale situĂ©e plus au nord. Les corĂ©gones colonisent aussi bien les eaux stagnantes que les eaux courantes. Certaines espĂšces, comme le corĂ©gone oxynrhynque, passent une grande partie de leur vie dans les eaux salĂ©es de la mer des Wadden et, comme la saumon, remontent les riviĂšres pour se reproduire [8]. En Suisse, les corĂ©gones sont naturellement prĂ©sents dans tous les grands lacs du versant nord des Alpes (fig. 2). Il y a quelques dĂ©cennies de cela, ils Ă©taient encore assez frĂ©quents dans les grands cours d’eau et les Ă©missaires des lacs, mais ils s’y sont maintenant rarĂ©fiĂ©s.

EÉmergence de nouvelles espĂšces par spĂ©ciation Ă©cologique

C’est aprĂšs les derniĂšres glaciations, il y a 15 000 Ă  20 000 ans, que la Suisse a Ă©tĂ© recolonisĂ©e par des poissons tels que les corĂ©gones. Auparavant, son territoire avait Ă©tĂ© presqu’entiĂšrement recouvert de glaces pendant plusieurs milliers d’annĂ©es [9, 10]. Les lacs que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas sous leur forme actuelle avant la fin du dernier Ăąge glaciaire oĂč ils sont apparus aprĂšs le recul des glaciers. Les Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques indiquent que la diversitĂ© actuelle des corĂ©gones ne s’est dĂ©veloppĂ©e en Suisse qu’aprĂšs la recolonisation des lacs post-glaciaires. Les mĂ©canismes qui ont conduit Ă  une diffĂ©renciation aussi rapide d’espĂšces distinctes sont particuliĂšrement complexes. Ce processus peut ĂȘtre dĂ©crit par les concepts de «spĂ©ciation Ă©cologique» et de «radiation adaptative».

Dans la spĂ©ciation Ă©cologique, les transferts gĂ©nĂ©tiques entre deux populations sont fortement restreints ou totalement interrompus en raison de l’adaptation des populations Ă  des conditions environnementales trĂšs diffĂ©rentes. Sous l’effet de la diffĂ©renciation Ă©cologique et de la rĂ©duction des flux gĂ©niques, les deux populations d’éloignent jusqu’à former deux espĂšces diffĂ©rentes [11-13]. Pour qu’une spĂ©ciation Ă©cologique puisse avoir lieu, certaines conditions doivent ĂȘtre remplies [13]:

  • L’espĂšce d’origine doit prĂ©senter une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique suffisante.
  • Des adaptations Ă  des niches Ă©cologiques diffĂ©rentes doivent se produire du fait d’une sĂ©lection naturelle divergente. C’est ce qui advient lorsque deux populations d’une mĂȘme espĂšce originelle s’adaptent Ă  deux sources de nourriture diffĂ©rentes, par exemple.
  • Avec le temps, une forme d’isolement reproducteur doit se mettre en place entre les deux populations (zones de reproduction diffĂ©rentes, diffĂ©rents choix du partenaire, etc.).
  • Il faut qu’il existe un mĂ©canisme hĂ©rĂ©ditaire qui associe les diffĂ©rentes adaptations Ă©cologiques Ă  une forme d’isolement reproducteur.


Les lacs recolonisĂ©s par les corĂ©gones aprĂšs les glaciations prĂ©sentaient une grande variĂ©tĂ© de niches Ă©cologiques. Certaines ont Ă©tĂ© colonisĂ©es par des poissons d’autres espĂšces que les corĂ©gones qui, comme eux, ont rĂ©investi le territoire aprĂšs le recul des glaciers. Les niches situĂ©es en grande profondeur ou en eau libre, toutefois, ont Ă©tĂ© dĂ©laissĂ©es par ces poissons et sont majoritairement restĂ©es inoccupĂ©es. Les corĂ©gones se sont avĂ©rĂ©s capables d’exploiter ces niches vacantes et de s’y adapter. Ils ont ainsi pu coloniser une bonne partie des grands lacs profonds de la Suisse, lançant le processus d’adaptation Ă  des niches Ă©cologiques diffĂ©rentes qui a abouti Ă  la spĂ©ciation multiple.

Exemple des corégones du lac de Walenstadt

Le HĂ€gling et le Grunder se distinguent fortement aussi bien sur le plan morphologique [13] que gĂ©nĂ©tique [14-17]. Cette diffĂ©rence s’observe le plus simplement au niveau de la croissance et du nombre de branchiospines (excroissances Ă©pineuses Ă  l’intĂ©rieur de l’arc branchial). Les deux espĂšces n’ont pas la mĂȘme rapiditĂ© de croissance: le Grunder mesure de 30 Ă  40 cm Ă  cinq ans tandis que le HĂ€gling n’atteint que 15-20 cm (fig. 4, Ă  droite). Aucun poisson de cinq ans ne prĂ©sente de taille intermĂ©diaire. Le nombre de branchiospines est de 21-30 chez le Grunder et de 33-39 chez le HĂ€gling (fig. 4, Ă  gauche). Ces deux caractĂšres permettent ainsi de clairement distinguer les deux espĂšces.

Comment ces diffĂ©rences ont-elles pu se dĂ©velopper? On trouve une explication en examinant de plus prĂšs la fonction des branchiospines dans la prise de nourriture. Cet aspect a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© chez le Balchen (C. alpinus) et le Brienzlig (C. albellus) du lac de Thoune qui ressemblent respectivement au Grunder et au HĂ€gling du lac de Walenstadt aussi bien sur le plan morphologique qu’écologique. Des essais de nourrissage ont montrĂ© que les Brienzligs, dotĂ©s de branchiospines longues et nombreuses, consommaient plus efficacement le petit zooplancton que les Balchens avec leurs branchiospines courtes et peu nombreuses [18] (fig. 5). Il est Ă©galement apparu que les Balchens Ă©taient plus efficaces que les Brienzligs pour la prise de nourriture benthique (des vers, en l’occurrence) [19].

Comme le Balchen et le Brienzlig, le HĂ€gling et le Grunder sont donc adaptĂ©s Ă  deux niches alimentaires diffĂ©rentes. Comme eux, ils prĂ©sentent une nette diffĂ©rence au niveau du nombre et de la longueur des branchiospines et l’analyse de leur contenu stomacal a confirmĂ© leurs diffĂ©rences de rĂ©gime alimentaire (M. Kugler, com. pers.). Mais les deux espĂšces adoptent Ă©galement des comportements diffĂ©rents pour la reproduction. Le HĂ€gling fraie en eau profonde (en gĂ©nĂ©ral Ă  plus de 20 m de profondeur) sur une longue pĂ©riode. Les premiers corĂ©gones peuvent ainsi se reproduire dĂšs la fin de l’étĂ© tandis que les derniers fraient encore pendant l’hiver. Le Grunder, quant Ă  lui, ne fraie qu’à faible profondeur (entre 50 cm et 10 m, rarement plus) et attend fin dĂ©cembre, quand la tempĂ©rature de l’eau descend en dessous de 10 °C. Les deux espĂšces ne se croisent (ou ne s’hybrident) donc que trĂšs rarement dans la nature [9, 13]. Elles se distinguent aussi trĂšs fortement sur le plan gĂ©nĂ©tique [14, 17]. En raison de toutes ces diffĂ©rences, le Grunder et le HĂ€gling doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des espĂšces Ă  part entiĂšre. Elles sont le rĂ©sultat d’un processus de spĂ©ciation Ă©cologique qui s’est probablement dĂ©roulĂ© dans le complexe lac de Zurich/lac de Walenstadt juste aprĂšs sa formation.

Une grande diversitĂ© d’espĂšces dans le lac de Thoune

Le complexe formĂ© par les lacs de Brienz et de Thoune dans l’Oberland bernois prĂ©sente un trĂšs grand nombre d’espĂšces de corĂ©gones. Aucun autre lac ou complexe lacustre suisse n’en compte davantage. Le lac de Thoune en a, Ă  ce jour, rĂ©vĂ©lĂ© six et le complexe avec le lac de Brienz en totalise sept. Cette diversitĂ© tĂ©moigne d’une bonne prĂ©servation de la biodiversitĂ© d’origine chez les corĂ©gones, ce qui n’a pas d’équivalent sur Terre. En effet, il n’existe nulle part ailleurs dans le monde d’endroit prĂ©sentant une telle concentration d’espĂšces dans aussi peu d’espace. En Russie, le lac Ladoga totalise certes au moins sept espĂšces sympatriques connues de corĂ©gones [24] et celui d’Onega en compte mĂȘme probablement neuf [25], mais, avec leurs superficies respectives de 9900 et de 17 700 km2, ces lacs sont deux cents fois plus grands que le lac de Thoune qui n’occupe que 48 km2.

Les espÚces des lacs de Thoune et de Brienz se distinguent les unes des autres par de nombreux caractÚres comme la taille, le nombre et la longueur des branchiospines, la profondeur et la période de reproduction, etc. et se différencient sur le plan génétique [3, 26]. On observe alors une corrélation entre la distance génétique entre deux espÚces et leur différence au niveau du nombre de branchiospines et de la profondeur à laquelle elles fraient [26]. Le lieu et la profondeur de capture hors de la période de frai jouent en revanche un rÎle mineur pour la différenciation entre les espÚces [26].

Évolution parallùle d’espùces similaires

La spĂ©ciation Ă©cologique a fait Ă©merger dans chaque grand lac ou complexe lacustre de Suisse plusieurs espĂšces de corĂ©gones adaptĂ©es Ă  diffĂ©rentes niches Ă©cologiques. Des espĂšces d’aspect similaire sont alors apparues dans diffĂ©rents lacs oĂč elles ont colonisĂ© le mĂȘme type de niches. Ainsi, le Balchen des lacs de Walenstadt et de Zurich (C. duplex) ressemble beaucoup Ă  la PalĂ©e des lacs de NeuchĂątel et de Bienne (C. palaea) et au Balchen des lacs de Thoune et de Brienz (C. alpinus). L’Albeli du lac des Quatre-Cantons (C. muelleri) ressemble quant Ă  lui Ă  l’HĂ€gling du lac de Walenstadt (C. heglingus) et au Brienzlig du lac de Brienz (C. albellus).

Ces ressemblances expliquent aussi les confusions des anciennes Ă©tudes qui traitaient souvent les espĂšces d’aspect similaire de lacs diffĂ©rents comme une seule et mĂȘme espĂšce [27]. Les Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques montrent aujourd’hui trĂšs nettement que ces espĂšces de mĂȘme aspect ont Ă©mergĂ© indĂ©pendamment les unes des autres du fait de processus de spĂ©ciation qui se sont dĂ©roulĂ©s en parallĂšle dans les diffĂ©rents systĂšmes lacustres [15].

Une extinction massive aprùs des modifications de l’environnement

Une part considĂ©rable des espĂšces de corĂ©gones autrefois prĂ©sentes en Suisse ont disparu au cours des 150 derniĂšres annĂ©es [28]. Un tiers de cette diversitĂ© originelle (fig. 1) a Ă©tĂ© perdue [28]. Le degrĂ© d’extinction par lac est corrĂ©lĂ© Ă  l’intensitĂ© de l’eutrophisation subie par le milieu. Ces apports excessifs de nutriments, qui ont particuliĂšrement marquĂ© la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle, ont en effet causĂ© une dĂ©perdition d’oxygĂšne au fond des lacs et Ă  la surface des sĂ©diments. Ce manque d’oxygĂšne Ă©tait, et le reste dans certains lacs, particuliĂšrement prononcĂ© en Ă©tĂ© et Ă  l’automne. Il a ainsi induit dans plusieurs lacs la disparition d’espĂšces se reproduisant prĂšs du fond Ă  cette pĂ©riode. On dĂ©plore ainsi notamment l’extinction du Kilch (C. gutturosus) du lac de Constance et de l’Albock du lac de Zoug (C. obliterus), qui frayaient en profondeur de la fin de l’étĂ© Ă  l’automne, ainsi que de l’Albeli du lac de Zoug (C. zugensis), qui frayait en eau profonde de l’automne au dĂ©but de l’hiver [9, 27, 29]. On pensait que l’Edelfisch (C. nobilis) du lac des Quatre-Cantons, qui frayait en Ă©tĂ©, avait subi le mĂȘme sort: or, aprĂšs avoir Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme Ă©teinte pendant plusieurs dĂ©cennies, l’espĂšce a Ă©tĂ© redĂ©couverte au dĂ©but des annĂ©es 2000 [30]. Les lacs ayant toujours subi des apports de nutriments trĂšs limitĂ©s, comme ceux des Quatre-Cantons, de Brienz et de Thoune, ont ainsi conservĂ© toutes les espĂšces de corĂ©gones qui y ont Ă©tĂ© dĂ©crites par le passĂ© [3, 31].

Dans certains lacs, toutefois, d’autres facteurs ont contribuĂ© Ă  une extinction des espĂšces. Ainsi, la Gravenche (C. hiemalis) et la FĂ©ra (C. fera) qui vivaient autrefois dans le LĂ©man, en ont disparu avant que le phĂ©nomĂšne d’eutrophisation n’atteigne son maximum. Les causes exactes n’ont pas encore pu ĂȘtre dĂ©terminĂ©es. Les corĂ©gones qui peuplent aujourd’hui le LĂ©man proviennent d’alevinages de PalĂ©e (C. palaea) Ă  partir du lac de NeuchĂątel [15, 32]. Dans le lac de Walenstadt, le Bratfisch (C. zuerichensis), a disparu alors que le lac n’a jamais Ă©tĂ© eutrophe. LĂ  encore, les causes demeurent obscures. Selon l’une des hypothĂšses, la correction de la Linth, qui a influencĂ© la limnologie du lac et donc sa faune piscicole, pourrait avoir jouĂ© un rĂŽle [9]. En effet, depuis qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e, la Linth ne traverse plus la plaine de la Linth pour se jeter dans le lac de Zurich mais dĂ©verse directement ses eaux troubles chargĂ©es en farine glaciaire dans le lac de Walenstadt. Les eaux de ce dernier ont ainsi perdu de leur transparence, ce qui peut avoir modifiĂ© la production de plancton et donc impactĂ© les poissons.

Dans d’autres lacs, encore, les espĂšces d’origine, ou du moins une partie d’entre elles, se sont maintenues malgrĂ© des conditions environnementales dĂ©favorables. LĂ , les alevinages ont permis de compenser les dĂ©ficiences de la reproduction naturelle, parfois inefficace jusque dans les zones littorales. C’est en bĂ©nĂ©ficiant de telles mesures qu’au lac de Zoug, le Zuger Balchen (C. supersum), qui fraie en eau peu profonde, est la seule des trois espĂšces d’origine Ă  avoir survĂ©cu.

Il est important de comprendre le mĂ©canisme qui a conduit Ă  l’extinction des espĂšces. Selon le plus connu, l’extinction d’une espĂšce se produit lorsque le nombre d’individus baisse progressivement ou subitement et que les populations disparaissent les unes aprĂšs les autres jusqu’à l’extinction totale. Or les corĂ©gones sont touchĂ©s par un autre mĂ©canisme, trĂšs peu connu jusqu’à rĂ©cemment, qui peut intervenir lorsque plusieurs espĂšces d’un mĂȘme genre sont prĂ©sentes au mĂȘme endroit: il s’agit d’une spĂ©ciation inversĂ©e [33]. L’extinction d’une espĂšce ne se produit alors pas uniquement en raison de la rarĂ©faction de ses membres mais aussi parce qu’un changement du contexte environnemental a provoquĂ© une modification des forces Ă©volutives Ă  l’origine de l’émergence de l’espĂšce. Si les forces Ă©volutives qui ont conduit Ă  la spĂ©ciation Ă©cologique s’affaiblissent voire s’inversent, les Ă©changes gĂ©niques entre les espĂšces peuvent s’intensifier, ce qui conduit Ă  une perte de diffĂ©renciation interspĂ©cifique. Si par exemple la sĂ©lection naturelle a induit une spĂ©ciation Ă©cologique Ă  travers des adaptations aux diffĂ©rentes niches du fond (basses tempĂ©ratures toute l’annĂ©e, faible luminositĂ©, nourriture benthique) et de la surface (tempĂ©ratures Ă©levĂ©es l’étĂ©, bonne visibilitĂ©, nourriture planctonique abondante), et que l’eutrophisation prive le fond d’oxygĂšne et de nourriture, les individus de l’espĂšce de fond qui remontent Ă  la surface et se croisent avec des individus de l’espĂšce de surface bĂ©nĂ©ficient d’un avantage naturel. C’est par ce phĂ©nomĂšne que des variants gĂ©niques d’espĂšces disparues peuvent ĂȘtre dĂ©tectĂ©s chez les espĂšces survivantes, comme c’est le cas au lac de Constance [34, 35]. Ainsi, le Kilch (C. gutturosus) a bel et bien disparu du lac mais une partie de ses gĂšnes sont encore dĂ©tectables dans le gĂ©nome des espĂšces de corĂ©gones encore prĂ©sentes.

Taxonomie des corĂ©gones – hier et aujourd’hui

La grande diversitĂ© des espĂšces de corĂ©gones et la difficultĂ©, pour certaines, de les reconnaĂźtre et de les dĂ©crire avec certitude, ont fait en sorte que leur systĂ©matique (c’est-Ă -dire leur classification) a Ă©tĂ© maintes fois remaniĂ©e au cours du temps.

Les premiers travaux sur la taxonomie des corĂ©gones Ă  ĂȘtre parvenus jusqu’à nous sont ceux de Belonius [36] qui, en 1554, n’en dĂ©crivait qu’une seule espĂšce en Suisse, Ă  savoir le Lavaretus. En 1563, Konrad Gessner distinguait, quant Ă  lui, six espĂšces de corĂ©gones [37]. MalgrĂ© les dĂ©bats sur la reconnaissance des diffĂ©rentes espĂšces, il existait dĂ©jĂ  Ă  cette Ă©poque des dĂ©nominations locales spĂ©cifiques pour les corĂ©gones d’aspects diffĂ©rents. Les travaux de Fatio (1855 ; 1890) puis de Steinmann (1950) livrent un bon aperçu de l’évolution de la systĂ©matique des corĂ©gones [9, 27, 29]. Fatio (1890) a, le premier, procĂ©dĂ© Ă  son remaniement complet. Steinmann (1950) s’est ensuite basĂ© sur la classification de Fatio (1890) mais l’a utilisĂ©e d’une maniĂšre peu conforme aux connaissances taxonomiques actuelles (ni, d’ailleurs, Ă  celles de son temps). Il ne reconnaissait ainsi qu’une seule espĂšce (C. lavaretus) et rĂ©partissait la diversitĂ© des corĂ©gones en Ă©cotypes identifiĂ©s au sein de catĂ©gories dĂ©finies sur des bases gĂ©ographiques. La plupart des Ă©cotypes dĂ©crits par Steinmann s’observent dans plusieurs lacs mais le naturaliste prĂ©cise que, s’ils se ressemblent physiquement, ils se sont dĂ©veloppĂ©s indĂ©pendamment les uns des autres. Dans la premiĂšre rĂ©vision moderne de la taxonomie des corĂ©gones publiĂ©e par Kottelat en 1997 [38], la majeure partie de ces Ă©cotypes sont reconnus en tant qu’espĂšces. Cette rĂ©vision se base sur le concept biologique de l’espĂšce mais ne repose pas sur des examens morphologiques poussĂ©s. La rĂ©vision la plus rĂ©cente de la taxonomie des corĂ©gones de Suisse a Ă©tĂ© livrĂ©e par Selz et al. (2020) et Selz et Seehausen (2023), qui ont Ă©tudiĂ© les corĂ©gones des lacs de Thoune, de Brienz, des Quatre-Cantons, d’Alpnach, de Sarnen, de Zoug et de Sempach et ont Ă©galement dĂ©crit de nouvelles espĂšces qui n’avaient jamais Ă©tĂ© identifiĂ©es auparavant. Les derniĂšres analyses gĂ©nĂ©tiques [39] montrent que la classification de Kottelat (1997) Ă©tait globalement juste. Il lui manquait toutefois plusieurs espĂšces que l’échantillonnage systĂ©matique des lacs et les Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques et morphologiques ont permis d’identifier dans les populations actuelles ou, pour les espĂšces disparues, dans les collections [3, 31]. Tous ces nouveaux Ă©lĂ©ments sont exposĂ©s dans les chapitres du rapport sur les corĂ©gones suisses consacrĂ©s aux diffĂ©rents lacs [7]. MĂȘme si toutes les questions relatives Ă  la systĂ©matique des corĂ©gones ne sont pas encore rĂ©solues, les bases scientifiques nĂ©cessaires Ă  l’identification des espĂšces ont Ă©tĂ© considĂ©rablement amĂ©liorĂ©es. À partir des connaissances actuelles, il est possible d’émettre des recommandations gĂ©nĂ©rales et de proposer des mesures concrĂštes pour la protection des espĂšces et la gestion halieutique durable des corĂ©gones.

Conservation des espĂšces et gestion halieutique

Les diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones jouent un rĂŽle important dans tous les lacs suisses aussi bien pour la pĂȘche professionnelle que pour la pĂȘche de loisir. La conservation et la gestion halieutique des espĂšces de poissons et d’écrevisses sont rĂ©glementĂ©es par la Loi fĂ©dĂ©rale sur la pĂȘche (LFP; RS 923.0) et son ordonnance (OLFP; RS 923.01). La LFP vise Ă  prĂ©server ou Ă  accroĂźtre la diversitĂ© naturelle et l’abondance des espĂšces indigĂšnes de poissons, Ă  protĂ©ger, Ă  amĂ©liorer ou, si possible, Ă  reconstituer leurs biotopes, Ă  protĂ©ger les espĂšces et les races menacĂ©es et Ă  assurer l’exploitation Ă  long terme des peuplements de poissons (art. 1 LFP). Une gestion halieutique durable suppose de rĂ©pondre du mieux possible aux exigences d’aujourd’hui sans hypothĂ©quer sur la capacitĂ© des gĂ©nĂ©rations futures Ă  rĂ©pondre Ă  leurs propres besoins. Il importe donc de prendre en compte de maniĂšre Ă©quitable les aspects socio-Ă©conomiques et Ă©cologiques et de peser les intĂ©rĂȘts avec un soin particulier [40]. Cela signifie concrĂštement qu’il est possible d’exploiter les diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones d’un lac pour la pĂȘche tant que leurs populations restent stables Ă  long terme et tant que la protection des espĂšces et populations locales menacĂ©es est assurĂ©e.

Pour l’élaboration du rapport sur les corĂ©gones de Suisse [7], les connaissances actuelles sur la rĂ©partition et l’écologie de toutes les espĂšces de corĂ©gones du pays ont Ă©tĂ© compilĂ©es et les Ă©ventuelles lacunes identifiĂ©es. D’autre part, des recommandations concernant des mesures et Ă©tudes souhaitables pour une gestion halieutique durable des diverses espĂšces de corĂ©gones ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es sous le prisme de la conservation des espĂšces et exposĂ©es dans les chapitres spĂ©cifiques Ă  chaque lac.

Les pages qui suivent prĂ©sentent les points les plus importants sous la forme de recommandations gĂ©nĂ©rales. À noter que certaines de ces recommandations peuvent ĂȘtre en dĂ©saccord avec certains intĂ©rĂȘts Ă  court terme de la pĂȘche. Nous tenons donc Ă  prĂ©ciser que les mesures proposĂ©es ont pour prĂ©occupation premiĂšre la prĂ©servation de la diversitĂ© des corĂ©gones ainsi que des mĂ©canismes Ă©cologiques et Ă©volutifs nĂ©cessaires Ă  cette diversitĂ©. Il appartient maintenant aux autoritĂ©s cantonales et fĂ©dĂ©rales d’évaluer la compatibilitĂ© de l’exploitation halieutique et de la protection des espĂšces pour chaque espĂšce et pour chaque lac. Mais nous tenons Ă  rappeler que l’application de nos recommandations permet d’assurer la durabilitĂ© de la pĂȘche Ă  long terme.

 

Monitoring

Dans une partie des lacs suisses, les populations de corĂ©gones exploitĂ©es pour la pĂȘche font dĂ©jĂ  l’objet de suivis rĂ©guliers. C’est sur les rĂ©sultats de cette surveillance que s’appuie la rĂ©glementation des captures. Par exemple, la croissance et l’ñge des corĂ©gones sont suivis pour estimer si la taille minimale de capture ou la dimension des mailles des filets conviennent ou doivent Ă©ventuellement ĂȘtre modifiĂ©es. Pour prĂ©server la biodiversitĂ© des corĂ©gones et pouvoir exploiter longtemps cette ressource halieutique, en assurant donc une plus grande stabilitĂ© des rendements, il faut que les diffĂ©rentes espĂšces soient Ă©tudiĂ©es sĂ©parĂ©ment afin que la rĂ©glementation soit adaptĂ©e Ă  leur diversitĂ©. Jusqu’à prĂ©sent, la surveillance de la biodiversitĂ© n’était pas le but de ces monitorings, comme en atteste le fait qu’ils n’enregistrent en gĂ©nĂ©ral que les captures rĂ©guliĂšres de la pĂȘche professionnelle ou ne portent que sur les espĂšces de corĂ©gones exploitĂ©es pour la pĂȘche et ce, de façon globale sans les distinguer les unes des autres. Au vu des nouveaux rĂ©sultats sur la biodiversitĂ© des corĂ©gones, il apparaĂźt donc que les monitorings doivent ĂȘtre amĂ©liorĂ©s dans de nombreux lacs. Le dĂ©tail de ces amĂ©liorations doit cependant ĂȘtre dĂ©fini au cas par cas pour chaque lac.

Alevinages

Les lacs suisses sont, Ă  de rares exceptions prĂšs, le lieu de mesures de rempoissonnement avec au moins une espĂšce de corĂ©gone. Des corĂ©gones matures sont alors capturĂ©s pendant la fraie pour prĂ©lever des Ɠufs et de la laitance qui sont ensuite mĂ©langĂ©s artificiellement afin d’obtenir des Ɠufs fĂ©condĂ©s qui seront incubĂ©s en Ă©closerie. Les larves sont ensuite dĂ©versĂ©es dans le lac.

La pertinence des alevinages doit ĂȘtre Ă©valuĂ©e en fonction des objectifs de conservation des espĂšces. Dans les lacs suffisamment bien alimentĂ©s en oxygĂšne au niveau des frayĂšres, la reproduction naturelle est en gĂ©nĂ©ral satisfaisante pour toutes les espĂšces de corĂ©gones [41] (fig. 7). Il convient, dans ces lacs, de s’interroger sur le bien-fondĂ© d’une reproduction artificielle suivie d’alevinage du point de vue de la conservation des espĂšces et de se demander si l’alevinage doit absolument ĂȘtre rĂ©alisĂ© Ă©tant donnĂ© ses effets nĂ©gatifs potentiels sur la biodiversitĂ© [3, 42, 43]. L’un des problĂšmes liĂ©s Ă  cette pratique est dĂ» Ă  la difficultĂ©, lors de la pĂȘche des gĂ©niteurs, de distinguer les individus d’espĂšces diffĂ©rentes, ce qui entraĂźne des croisements involontaires lors de la fĂ©condation en Ă©closerie. Qui plus est, la fĂ©condation artificielle contourne le choix du partenaire et peut donc entraĂźner une sĂ©lection artificielle et un effet de domestication dans la pisciculture (c’est-Ă -dire une modification des caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques et comportementales due aux pratiques d’élevage). Tous ces phĂ©nomĂšnes affaiblissent les populations naturelles des diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones et peuvent donc menacer la biodiversitĂ© [43-45].

Sur le plan halieutique, il convient d’autre part de noter qu’un rempoissonnement en trop grande densitĂ© peut s’avĂ©rer nĂ©faste pour l’exploitation, en particulier dans les lacs dont les corĂ©gones proviennent en premier lieu d’alevinages. Plusieurs Ă©tudes menĂ©es sur les corĂ©gones [43, 46, 47] montent qu’une trop forte intensitĂ© de rempoissonnement affecte la croissance en exacerbant la compĂ©tition intraspĂ©cifique pour les ressources alimentaires et peut donc compromettre une exploitation durable des ressources halieutiques. Dans ces lacs, la quantitĂ© de poissons dĂ©versĂ©s doit donc ĂȘtre dĂ©terminĂ©e en fonction de la capacitĂ© de rendement du lac.

Si les pratiques de rempoissonnement sont maintenues, il est primordial de veiller à ce que leurs impacts soient aussi faibles que possible et à contrÎler leur efficacité.

Écologie des diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones

Les connaissances sur les exigences Ă©cologiques des diffĂ©rentes espĂšces sont encore en partie lacunaires. Ce problĂšme concerne tout particuliĂšrement les corĂ©gones des lacs riches en espĂšces et sur lesquels les Ă©tudes disponibles sont dĂ©jĂ  anciennes. Ces Ă©tudes ne peuvent souvent ĂȘtre reprises en l’état dans la mesure oĂč elles se fondent sur une identification erronĂ©e ou incertaine des espĂšces. Pour pouvoir, Ă  l’avenir, prĂ©server la biodiversitĂ© exceptionnelle des corĂ©gones et l’exploiter de façon durable pour la pĂȘche, il est indispensable de pouvoir se baser sur des connaissances scientifiques solides. Il est donc important d’étudier de façon ciblĂ©e les caractĂ©ristiques Ă©cologiques des diffĂ©rentes espĂšces (habitat et pĂ©riode de reproduction, alimentation, croissance, etc.) et leurs modifications (report de la pĂ©riode de frai, altĂ©rations de la croissance, etc.) sous l’effet de facteurs tels que le dĂ©rĂšglement climatique, l’augmentation de la turbiditĂ© de l’eau, la gestion halieutique ou les espĂšces invasives comme la moule quagga.

État limnologique des lacs

L’eutrophisation des lacs dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle a, par effet de ricochet, entraĂźnĂ© une disparition totale ou partielle d’espĂšces endĂ©miques dans beaucoup de lacs [28]. Aujourd’hui, grĂące aux mesures prises pour amĂ©liorer la qualitĂ© des eaux, la plupart des grands lacs riches en espĂšces ont retrouvĂ© un Ă©tat naturellement pauvre en nutriments qui permet la survie de toutes les espĂšces de corĂ©gones qu’ils abritent. Toutefois, malgrĂ© une baisse notable de leurs concentrations en nutriments par rapport aux annĂ©es d’eutrophisation maximale, certains lacs du Plateau prĂ©sentent encore des valeurs trop Ă©levĂ©es, responsables de la persistance d’un manque d’oxygĂšne en profondeur et au niveau des frayĂšres [48]. Dans ces lacs, les efforts doivent ĂȘtre poursuivis pour amĂ©liorer la qualitĂ© de l’eau afin de restaurer des conditions permettant la reproduction naturelle des corĂ©gones.

Il apparaĂźt, d’autre part, que beaucoup de lacs suisses ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une baisse beaucoup plus importante des rejets de phosphore que des rejets d’azote. Un rapport trĂšs rĂ©cent qui compile les connaissances actuelles sur le sujet rĂ©vĂšle que la modification du rapport azote/phosphore qui rĂ©sulte directement de l’évolution diffĂ©rente des rejets pourrait avoir un impact sur la structure du rĂ©seau trophique dans les lacs suisses [49]. Toutefois, les consĂ©quences exactes sur les diffĂ©rents niveaux du rĂ©seau n’ont pas encore Ă©tĂ© totalement Ă©tudiĂ©es.

Qui plus est, le dĂ©rĂšglement climatique et d’autres types de rejets comme ceux de micropolluants peuvent Ă©galement contribuer Ă  modifier la limnologie des lacs d’une maniĂšre susceptible de menacer certaines espĂšces de corĂ©gones. Ces nouveaux risques doivent ĂȘtre Ă©tudiĂ©s plus en dĂ©tail.

Influence des processus évolutifs sur la croissance des corégones

Ces derniĂšres annĂ©es, une baisse de croissance a Ă©tĂ© constatĂ©e chez certaines espĂšces de corĂ©gones dans diffĂ©rents lacs [47, 50, 51]. Alors qu’une relation a pu ĂȘtre Ă©tablie entre la rĂ©oligotrophisation d’un lac – et donc la modification de la disponibilitĂ© en ressources alimentaires –, la taille des populations des diffĂ©rentes espĂšces et la croissance [52], le fait que les processus Ă©volutifs pouvaient, eux aussi, avoir contribuĂ© Ă  une baisse de croissance a Ă©tĂ© peu pris en compte jusqu’à prĂ©sent. Étant donnĂ© que la croissance est influencĂ©e aussi bien par les conditions environnementales que par des facteurs gĂ©nĂ©tiques, le prĂ©lĂšvement systĂ©matique des poissons Ă  forte croissance par la pĂȘche peut induire, Ă  moyen et Ă  long terme, une baisse de la croissance dans la population concernĂ©e.

Cette Ă©volution induite par la pĂȘche, bien connue en milieu marin, a encore Ă©tĂ© peu Ă©tudiĂ©e chez les corĂ©gones [53]. En Suisse, les Ă©tudes de corrĂ©lation menĂ©es jusqu’à prĂ©sent dans le lac de Constance [54] et le lac de Joux [55] indiquent que ces effets Ă©volutifs induits par la pĂȘche pourraient jouer un rĂŽle non nĂ©gligeable. Ce risque concerne tous les lacs et espĂšces de corĂ©gones connaissant une forte pression de pĂȘche. Pour mieux comprendre ce facteur, des Ă©tudes doivent ĂȘtre menĂ©es Ă  titre d’exemple dans les lacs pour lesquels de nombreuses donnĂ©es sont disponibles.

Conclusions

La biodiversitĂ© des corĂ©gones des grands lacs suisses, qui s’est dĂ©veloppĂ©e au cours des quelque 15 000 derniĂšres annĂ©es, est unique en son genre. Les corĂ©gones constituent la plus forte biomasse de poissons dans tous les habitats des grands lacs, Ă  l’exception des zones littorales peu profondes, et leur biodiversitĂ© joue donc un rĂŽle central dans ces Ă©cosystĂšmes. Cette biomasse abondante et diversifiĂ©e a, de toujours, constituĂ© une ressource alimentaire locale et durable pour la population humaine. Les Ă©tudes menĂ©es ces vingt derniĂšres annĂ©es sur la biodiversitĂ© des corĂ©gones nous ont permis de mieux comprendre comment une telle diversitĂ© a pu voir le jour, comment elle se structure sur le plan Ă©cologique et gĂ©nĂ©tique et pourquoi de nombreuses espĂšces ont disparu au cours des 80 derniĂšres annĂ©es. Leurs rĂ©sultats montrent qu’il est essentiel de prendre en compte les mĂ©canismes et conditions qui ont conduit Ă  l’émergence de cette biodiversitĂ© pour pouvoir prĂ©server les espĂšces encore prĂ©sentes et garantir Ă  long terme une exploitation durable de cette ressource halieutique. La protection de la biodiversitĂ© et donc de la diversitĂ© Ă©cologique des corĂ©gones au sein des lacs contribue Ă  prĂ©server la capacitĂ© naturelle de rendement de ces Ă©cosystĂšmes, et donc les ressources alimentaires qu’elle assure aux sociĂ©tĂ©s humaines [6].

Les Ă©tudes ont Ă©galement montrĂ© qu’il Ă©tait nĂ©cessaire de revenir sur certains des principes de gestion halieutique appliquĂ©s aujourd’hui et de dĂ©velopper de nouvelles approches. Par ailleurs, des lacunes ont Ă©tĂ© mises en Ă©vidence, notamment sur l’écologie de beaucoup d’espĂšces de corĂ©gones, et il est essentiel de les combler pour pouvoir Ă  l’avenir agir sur des bases scientifiques solides face Ă  des Ă©cosystĂšmes lacustres modifiĂ©s (par le changement climatique, les espĂšces invasives, etc.). C’est Ă  cette condition que la biodiversitĂ© pourra ĂȘtre prĂ©servĂ©e durablement et restera exploitable Ă  long terme.

(Traduction: Laurence Frauenlob)

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Qu’est-ce qu’une espùce ?

La spĂ©ciation s’effectue en gĂ©nĂ©ral graduellement. Les nouvelles espĂšces Ă©mergent peu Ă  peu Ă  mesure que les populations se diffĂ©rencient de l’espĂšce ancestrale. Ce processus s’accompagne d’une rarĂ©faction des accouplements entre individus de deux populations diffĂ©rentes, qui s’intensifie jusqu’à donner naissance Ă  deux espĂšces gĂ©nĂ©tiquement distinctes et isolĂ©es sur le plan reproducteur (fig. 6). Ces deux critĂšres correspondent Ă  la dĂ©finition biologique de l’espĂšce.

Le concept biologique de l’espùce

L’espĂšce est, en biologie, l’unitĂ© de base de la systĂ©matique. Chaque espĂšce biologique est le rĂ©sultat d’un phĂ©nomĂšne de spĂ©ciation. En raison du caractĂšre graduel de ce processus, il est impossible de donner une dĂ©finition universelle de la notion d’espĂšce qui convienne Ă  toutes les situations et rĂ©ponde de la mĂȘme maniĂšre Ă  tous les critĂšres thĂ©oriques et pratiques des diffĂ©rentes disciplines de la biologie [20]. En pratique, les scientifiques se rĂ©fĂšrent donc selon leur discipline Ă  des dĂ©finitions lĂ©gĂšrement diffĂ©rentes de l’espĂšce, qui peuvent parfois conduire Ă  des classifications diffĂ©rentes. La plupart des scientifiques appliquent le concept biologique de l’espĂšce [21] dans lequel une espĂšce est ainsi dĂ©finie [22]: «Une espĂšce est un groupe d‘individus et de populations naturelles entretenant librement des Ă©changes de gĂšnes, ou susceptibles d’en entretenir s’ils ou elles se trouvaient sur un mĂȘme territoire. Des individus ou populations appartiennent Ă  des espĂšces diffĂ©rentes si, dans la nature, ils n’échangent habituellement pas librement de matĂ©riel gĂ©nĂ©tique bien qu’ils vivent sur un mĂȘme territoire et qu’aucune barriĂšre gĂ©ographique n’empĂȘche donc le flux gĂ©nique (il existe donc un isolement reproducteur indĂ©pendant de la gĂ©ographie).»

Les mĂ©canismes conduisant Ă  cet isolement reproducteur partiel ou total sont multiples. Ils entraĂźnent cependant tous une interruption partielle ou totale du flux gĂ©nique entre les populations, prĂ©alable indispensable Ă  l’émergence de diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques entre les espĂšces. Cela permet aux diffĂ©rentes espĂšces de s’adapter Ă  diffĂ©rentes conditions environnementales. Mais des diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques peuvent Ă©galement apparaĂźtre au sein mĂȘme d’une espĂšce, lorsque deux populations se trouvent isolĂ©es gĂ©ographiquement. Avec le temps, ces populations gĂ©ographiques peuvent donner naissance Ă  des espĂšces indĂ©pendantes.

Dans le cas des corĂ©gones, la situation est souvent sans Ă©quivoque puisque plusieurs espĂšces sont prĂ©sentes dans un mĂȘme lac. Si plusieurs populations vivent dans un mĂȘme lac mais prĂ©sentent des diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques sur de nombreux sites de leur gĂ©nome, autrement dit, si elles sont largement isolĂ©es sur le plan reproducteur, il s’agit d’espĂšces biologiques diffĂ©rentes. Les diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques entre espĂšces s’accompagnent souvent de diffĂ©rences morphologiques. Mais il peut Ă©galement arriver que des espĂšces se distinguent sur le plan gĂ©nĂ©tique sans qu’elles puissent ĂȘtre distinguĂ©es Ă  l’Ɠil nu sur le plan morphologique (il s’agit alors d’espĂšces dites cryptiques). Les analyses gĂ©nĂ©tiques permettent ainsi d’y voir plus clair. Si des examens plus poussĂ©s sont ensuite menĂ©s, il n’est pas rare qu’ils rĂ©vĂšlent des diffĂ©rentes morphologiques ou Ă©cologiques passĂ©es inaperçues jusqu’alors.

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