L’eutrophisation des eaux de surface, c’est-à -dire la prolifération des algues dont la décomposition conduit à la désoxygénation des fonds, est un enjeu environnemental de longue date et universel [1]. Les apports excessifs en phosphore du bassin versant des lacs, via les eaux usées ou l’agriculture, ont été identifiés, dès les années 1970, comme principal coupable de l’eutrophisation des eaux de surface [2]. Lutter contre le problème de l’eutrophisation engage donc à limiter, contrôler ou réduire des apports en phosphore dans les lacs, via des mesures de régulations en amont (interdiction des phosphates dans les lessives en 1985) ou l’installation d’infrastructures de traitement des eaux usées (97% de la population suisse est actuellement raccordée à une station d’épuration, contre 14% en 1965). De telles mesures et investissements ont fait preuve d’efficacité en Suisse et la grande majorité des lacs retrouvent des concentrations en phosphore qui se rapprochent de leur niveau naturel. Restent néanmoins que 60% des lacs suisses souffrent encore de symptômes de l’eutrophisation. Les raisons de ces écarts sont synthétisées dans des articles de Isabel Kiefer et al. publiés dans Aqua & Gas 7+8/2020 (p. 62–70) et Aqua & Gas 4/2021 (p. 22–29) (voir également [3–6]). Pour certains lacs, notamment du plateau suisse qui sont entourés d’élevage intensif, la réduction des apports en phosphore ne serait encore pas suffisante illustrant que certaines sources de phosphore échappent aux mesures de contrôle actuellement en place.
Le phosphore dans les eaux de surface provient à la fois de sources externes (issues du bassin versant) ou internes (issues des processus de recyclage entre la colonne d’eau et les sédiments) (fig. 1). Les apports externes se divisent en apports ponctuels (rejets de STEP par exemple) mais surtout diffus (issus essentiellement du ruissellement sur les terres agricoles et sols urbains). Si les sources ponctuelles sont assez bien quantifiables, les apports diffus sont difficilement mesurables directement et sont souvent modélisés par des lois débit-concentration, dont la validité pour des événements extrêmes reste discutable. Les apports internes, issus du relargage de phosphore des sédiments lorsque le lac approche des conditions anoxiques, constituent un second défi. Cette source, héritage des apports passés, est complexe à quantifier simplement et ne peut être estimée directement par des mesures de surveillance.
L’approche par modélisation s’avère particulièrement utile pour transformer les données de suivi en outil de gestion, permettant de comprendre précisément sur quels aspects agir. Cependant, le choix entre les différents modèles de complexité variable reste une difficulté. Cet article s’appuie donc sur l’état de l’art scientifique en matière de dynamique du phosphore pour aider à définir le type de modèle à utiliser en fonction du système étudié. Pour les cas standards, nous proposons des outils en accès libre, permettant aux scientifiques, bureaux d’études ou décideurs d’utiliser des modèles simples comme outils de gestion permettant de tester divers scénarios de management.
Différents modèles existent pour étudier la dynamique du phosphore dans les lacs et bassins versants (fig. 2). La performance des modèles peut être classée en fonction de deux critères: leur complexité ainsi que le nombre de données nécessaires à leur calibration et à leur fonctionnement. Une classification est proposée à titre d’exemple pour les lacs et les bassins versants dans la figure 2.
Pour une sélection de modèle, une description générale et des utilisations potentielles sont présentées dans le tableau 1. La première classe (tab. 1, couleur bleue) regroupe les modèles basés sur un bilan de masse et sur des régressions statistiques. Les modèles de bilan de masse, ou modèles de boîtes, reposent sur des équations simples qui décrivent les entrées et les sorties de phosphore dans un système aquatique. Ce type de modèle estime les concentrations moyennes de phosphore dans des compartiments (boîtes) du système, au sein de la colonne d’eau ou des sédiments. Il reproduit les tendances générales sur plusieurs années sans nécessiter d’évaluation détaillée des processus physiques sous-jacents. L’exemple typique est le modèle 1 boîte de Vollenweider [7], largement utilisé pour estimer l’évolution des concentrations en phosphore annuelles dans les lacs suisses [8-10]. Ce modèle calcule les changements de concentration en phosphore à partir du flux de phosphore entrant par les affluents, du flux sortant et du flux de sédimentation nette (fig. 1, flèches bleues). Des compartiments supplémentaires peuvent être ajoutés pour augmenter la complexité du modèle. Deux boîtes représentent la couche de surface (épilimnion) et la couche profonde (hypolimnion) des lacs stratifiés [3], d’autres boîtes représentent les couches de sédiments [11–13]. Une application d’un modèle 2 boîtes, dont les codes sont accessibles publiquement, est présentée dans cet article. Dans le cas des bassins versants, le modèle statistique Modiffus [14] fournit une estimation globale des apports totaux et diffus de nutriments, tels que l’azote et le phosphore, dans les cours d’eau suisses. Les apports de nutriments sont modélisés avec une résolution d'un hectare et au pas de temps annuel pour toute la Suisse, offrant une vue détaillée des zones à risque. Des modèles hydrologiques simples, tels que RS (Routing System), permettent le routage des débits dans les cours d’eau tout en intégrant explicitement les ouvrages hydrauliques. Ces modèles peuvent être utilisés pour estimer de manière globale le transport des polluants dans les rivières, comme cela a été fait pour le diclofénac dans la Glâne [15].
La complexité, ainsi que les données nécessaires et les résultats attendus, augmentent avec la deuxième classe de modèles (tab. 1, couleur verte). Cette classe comprend les modèles qui sont basés sur les équations physiques du transport diffusif-advectif ainsi que sur la dynamique de la qualité des eaux. Enfin, des modèles plus complexes combinant des modèles hydrodynamiques de transport et des modèles de qualité des eaux peuvent fournir une vue d’ensemble intégrée du transport et de la transformation de composés chimiques dans les systèmes aquatiques (tab. 1, couleur rouge). Ils permettent une évaluation détaillée de l’impact des changements hydrologiques et des scénarios de gestion sur la qualité de l’eau. La contrepartie est que ces modèles sont exigeants à la fois en termes d’investissement temporel et financier, et de quantité de données nécessaires. Ainsi, les modèles de cette classe doivent être choisis pour réaliser une analyse globale et détaillée de l’évolution de la concentration de phosphore dans un système aquatique.
Le choix du type de modèle à utiliser et sa complexité dépend de la problématique. La première étape consiste à déterminer si la modélisation doit se focaliser sur le lac ou sur le bassin versant. C’est-à -dire de savoir si les apports de phosphore sont majoritairement internes ou externes au lac considéré. L’arbre de décision de la figure 3 permet de répondre à cette question d’une manière simple.
Il convient ici d'estimer le temps de résidence hydraulique; les lacs avec un temps de résidence très court sont en général dominés par des apports externes. Si des données sont disponibles, il peut toutefois être utile de calculer les apports externes et internes explicitement en suivant les autres branches de l’arbre pour vérifier cette hypothèse. La concentration en oxygène dissous au fond du lac (O2,fond) est obtenue à partir de profils multi-paramètres mensuels. Une oxygénation continue des eaux profondes empêche toute remobilisation du phosphore sédimentaires: dans de telles conditions la source principale du phosphore sera supposée externe au lac. Ce critère peut être appliqué pour la majorité des lacs stratifiés, mais il n’est plus valide dans le cas de lacs aérés artificiellement, des lacs peu profonds se mélangeant plusieurs fois par an et les lacs avec des concentrations élevées de sulfure ou un fort pH [25]. Si des conditions anoxiques sont observées, il est nécessaire de comparer les apports externes (Pin) aux apports internes (Precy) de phosphore durant la période stratifiée. L’estimation de Pin se fait par mesures du débit (Qin) et des concentrations en phosphore total (TPin) dans les affluents du lac lors de conditions hydrologiques variables qui incluent des évènements avec des fortes précipitations. Comme les débits sont en général mesurés à plus haute fréquence que TPin, la meilleure méthode consiste à d’abord déterminer la relation entre Qin et TPin à partir de données collectées sur plusieurs années [26].
Cinq méthodes d’estimation des apports internes (Precy) sont proposées selon les données disponibles. La méthode 1 peut être appliquée lorsque la charge en phosphore de l’hypolimnion augmente durant la période stratifiée. Les méthodes 2 [32] et 4 [33] sont basées sur des formules empiriques. La méthode 3 [29] requiert, en plus de Pin, le flux sortant (Pout) et la sédimentation nette (PSN). La méthode 5 [34] est une mesure directe de Precy en laboratoire par incubation d’une carotte sédimentaire. En combinant ces méthodes, il est possible d’estimer l’incertitude de Precy . Le rapport Precy /Pin détermine si les apports sont principalement internes ou externes dans le cas de conditions anoxiques. Le modèle lac et/ou bassin versant peut ensuite être sélectionné.
Si les apports internes de phosphore sont majoritaires, il est nécessaire de modéliser les processus de sédimentation et de recyclage du phosphore dans le lac. Cela permet ensuite de pouvoir tester l’évolutions des concentrations selon différents scénarios climatiques et/ou selon différents choix de gestion des apports. Le choix du modèle dépend toutefois de la résolution temporelle (annuelle, mensuelle ou sub-saisonnière) et spatiale (dimensions verticale et horizontale) souhaitée. Le tableau 2 permet de choisir entre les différentes classes de modèle.
Utilisation | Classe 1 | Classe 2 | Classe 3 | |
Modèle 1 boîte (type Vollenweider) | Modèle 2 boîtes epilimnion - hypolimnion | Modèle +D (type SIMSTRAT-AED) | Modèles 2D-3D (type CE-QUAL-W2, MIKE Eco Lab) | |
Evolution des concentrations annuelles, scénarios climatiques | Si τ > 1 an | Si τ > 1 an |  |  |
Saisonnalité des concentrations (pas de temps mensuel) |  | Si la stratification peut être simplifiée par deux couches mélangées | Si la variabilité verticale doit être reproduite à plus de deux profondeurs |  |
Événement extrême à une échelle sub-saisonnière |  |  | oui |  |
Variabilité horizontale, lacs de morphologie complexe |  |  |  | oui |
L’état d’un plan d’eau dépend de la santé de son bassin versant [1]. Dans le cas où les apports externes dominent le cycle du phosphore, il est nécessaire de modéliser en priorité le bassin versant. Le type de modèle choisi pour estimer les apports par le bassin versant doit évidemment rester cohérent avec le modèle utilisé pour suivre l’évolution du lac.
La complexité du modèle de bassin versant est déterminée par la modélisation des sources diffuses, le couplage du cycle du phosphore et du transport du phosphore dans l’eau, ainsi que par la prise en compte d’éléments tels que la profondeur des rivières (hypothèse d’homogénéité). L’arbre de décision de la figure 4 permet de choisir quel type de modèle utiliser en fonction des données à disposition. La première étape est de savoir si la source principale du phosphore est diffuse. A noter que le phosphore provenant de sources diffuses est généralement plus difficile à quantifier que le phosphore provenant de sources ponctuelles. Pour déterminer ces sources, les données hydrométéorologiques, des STEP, de la qualité des eaux des rivières, et les résultats du modèle Modiffus sont nécessaires. La comparaison entre la concentration de phosphore à la sortie des STEP et les données dans les rivières permet de déterminer laquelle des deux sources a le plus grand impact. En l’absence de données suffisantes, il est possible de comparer les données Modiffus avec les concentrations de phosphore à la sortie des STEP pour définir la source dominante. Si les sources diffuses sont prépondérantes, il faut alors vérifier la disponibilité de données agro-pédologiques et le cas échéant utiliser des modèles de transport du phosphore diffus du sol vers l’eau (Adapt [35], Epic [36] ou autres). Les résultats du modèle Modiffus peuvent à ce stade fournir une base de référence. Ensuite, le choix final du modèle dépend de la nécessité de considérer ou non le cycle du phosphore dans l’eau, ainsi que l’importance de la profondeur des rivières (fig. 4).
Le lac de Baldegg est un lac du plateau suisse, situé dans le canton de Lucerne (surface 5,2 km2, profondeur moy. de 33 m, max. 66 m) dont les concentrations en phosphore à plusieurs profondeurs sont mesurées au moins tous les mois depuis 1985. Les concentrations des affluents sont aussi monitorées, ce qui en fait un site idéal pour illustrer l’approche présentée dans la partie précédente. Le lac était très eutrophe dans les années 1970 (phosphore total ≈ 500 mg m-3), mais la réduction des apports externes a permis de fortement réduire les concentrations en phosphore depuis les années 1980 (< 20 mg m–3, [9]). L’oxygénation artificielle qui a lieu depuis 1982 n’est pas responsable de la baisse initiale des concentrations en phosphore, à cause du maintien de conditions anoxiques dans les sédiments [29]. Nous appliquons l’approche présentée précédemment sur la période 1985–2000 durant laquelle les variations saisonnières de de phosphore sont prononcées (fig. 5a).
Nous suivons d’abord l’arbre de décision de la figure 3. Les données d’oxygène collectées durant la période 1985-2000 montrent la présence de conditions anoxiques au fond du lac, malgré l’aération artificielle [37]: il est donc nécessaire de calculer Precy /Pin. Les apports externes calculés avec une courbe concentration-débit sont d’environ Pin ≈ 6,7 ± 7,6 t-P/an (moyenne et écart type mensuels; fig. 5b). Les apports internes Precy calculés avec les méthodes 1, 2 et 4 de la figure 3 varient de 10 à 35 t-P/an durant la période stratifiée, selon la méthode utilisée (fig. 5b). Ces valeurs élevées, héritages des apports externes des années précédentes, sont donc supérieures aux apports externes entre 1985 et 2000 (Precy/Pin > 1; (fig. 5c), ce qui indique qu’une modélisation des processus internes au lac est nécessaire durant cette période (fig. 3). Les données obtenues depuis les années 2010, non modélisées ici, suggèrent que les apports externes sont maintenant plus importants que les apports internes [9].
L’objectif étant de reproduire les variations saisonnières des concentrations de phosphore. La stratification pouvant être divisée en deux couches, nous choisissons d’utiliser un modèle 2 boîtes épilimnion-hypolimnion d’après le tableau 2 (fig. 6). Ce modèle s’inspire de [13] et est disponible en ligne avec une documentation détaillée (https://github.com/tdoda/phosphorus_model.git). La profondeur de la thermocline qui divise les deux couches du modèle est calculée à partir de séries temporelles de température à plusieurs profondeurs produites par le modèle Simstrat. Le flux de phosphore entrant (Pin ) est obtenu à partir d’une courbe débit-concentration et le débit de sortie (Qout ) est supposé égal au débit d’entrée (Qin ) (niveau du lac constant). Le modèle estime la sédimentation brute (PSB ) à partir de Precy (moyenne des méthodes 2 et 4 de la fig. 3, appliquée durant la période de stratification seulement) et de PSN (fonction de TP selon [9]). Le modèle 2 boîtes développé calcule la concentration en phosphore dans l’épilimnion et l’hypolimnion en résolvant un bilan de masse pour chaque couche de manière itérative avec un pas de temps mensuel (fig. 6). Le modèle reproduit de manière satisfaisante les variations saisonnières de phosphore et la diminution générale durant la période 1985-2000 (fig. 5d). Une analyse de sensibilité (non détaillée ici) démontre que Pin est le paramètre ayant le plus d’effet sur les concentrations, d’où la nécessité de déterminer une courbe robuste débit-concentration dans les affluents.
Le lac de Schiffenen est un lac artificiel dans le canton de Fribourg (surface de 4,25 km2, profondeur moy. de 33 m, max. de 36 m). Le niveau altimétrique du lac oscille entre 526,39 et 532,04 m.s.m, en raison de l’exploitation de la centrale hydroélectrique. Le temps de rétention hydraulique (τ) varie de 2,5 à 180 jours selon le débit de sortie. La grande variabilité du temps de rétention hydraulique influence de manière significative divers aspects de l’écosystème lacustre. Par exemple, un temps de rétention plus long peut favoriser l’eutrophisation, une stratification thermique plus stable et une augmentation de la biomasse algale. Ces aspects peuvent conduire à des conditions anoxiques au fond du lac, comme relevé dans la Sarine en aval du lac en 2022 [38]. Selon l’arbre décisionnel (fig. 3), il est nécessaire de mieux caractériser en priorité les processus d’apports externes de phosphore dans le lac de Schiffenen.
Le bassin versant du lac de Schiffenen (fig. 7) comprend la Sarine, qui est la rivière principale, et ses affluents la Glâne, le Gottéron et la Gérine. La Sarine traverse le lac de la Gruyère, dans lequel la Jogne et la Sionge se jettent. Les cours d’eau comme la Sonnaz et la Crausa contribuent également au réseau hydrologique du bassin versant, en se jetant dans le lac de Schiffenen. Des STEP sont réparties le long des cours d’eau, principalement le long de la Sarine (points jaunes sur la fig. 7). Trois stations de mesures sont présentes le long de la Sarine (une en aval et deux en amont de Schiffenen).
L’arbre de décision de la figure 3 indique que le rapport Precy /Pin doit être estimé dans le cas de conditions anoxiques comme dans le lac de Schiffenen. Les apports externes peuvent être calculés à partir de mesures mensuelles effectuées dans les affluents en 2013 et 2019 et sont en moyenne Pin = 56 ± 47 t-P/an [39]. Ces valeurs élevées sont largement supérieures aux apports dans les autres lacs du plateau Suisse, qui sont de l’ordre de 10 t-P/an durant la période d’eutrophisation [9]. Associé à un temps de résidence inférieur à une année, cela suggère que les apports externes sont dominants pour le lac de Schiffenen. Peu de données sont disponibles pour estimer Precy avec les méthodes présentées précédemment. En appliquant la méthode 1 sur des mesures saisonnières de TP dans le lac de 1992 à 1994, Precy ≈ 1 t-P/an et Precy /Pin ≈ 0,02 < 1, confirmant que les apports externes sont dominants. Néanmoins, des données de TP plus fréquentes dans le lac et les affluents ainsi que des carottes sédimentaires sont nécessaires pour confirmer ces estimations. Dès lors, nous proposons d’utiliser une approche lac-bassin versant pour modéliser à la fois les processus externes et internes au lac.
La modélisation du phosphore total dans le système lac-bassin versant de Schiffenen se base sur des modèles relativement simples de classe 1. Le choix de ces modèles est fait de manière itérative, en considérant les arbres de décisions présentés précédemment. Plus précisément, RS est utilisé pour simuler le transport dans le bassin versant. Étant donné le faible temps de rétention hydraulique, il est nécessaire d’utiliser un modèle lac avec un pas de temps mensuel comme le modèle 2 boîtes déjà utilisé pour le lac de Baldegg (tab. 2).
Les données disponibles sont fournies par le canton de Fribourg et comprennent les concentrations en phosphore à la sortie des STEP et dans les stations de mesure, ainsi que les débits d’eau relevés dans ces mêmes stations. Les sources ponctuelles de phosphore se limitent aux stations d’épuration, tandis que les résultats du modèle Modiffus permettent de quantifier l’importance du phosphore diffus.
Le modèle Modiffus permet d’extraire la charge annuelle totale de phosphore diffus dans le seul bassin versant du lac de Schiffenen (fig. 7, zones à l’intérieur des bordures en gras), estimée à environ 76 tonnes pour l’année 2020. La même année, les STEP, indiquées par des points jaunes dans la figure 7, ont déversé environ 3 tonnes de phosphore dans le bassin versant. Le phosphore diffus est donc prépondérant par rapport aux apports ponctuels. Faute de données agro-pédologiques, l’évolution temporelle du phosphore est estimée à partir des résultats du modèle Modiffus, conformément à l’arbre décisionnel de la figure 4.
Pour obtenir une variation temporelle du phosphore diffus, l’hypothèse que le phosphore diffus entrant dans les rivières se comporte de manière linéaire avec le débit est prise. La raison de cette hypothèse s’appuie sur le fait que 73% du phosphore diffus total provient de diverses formes d’érosion [14]. L’érosion est directement proportionnelle au débit, qui devient donc le paramètre prédominant pour obtenir l’évolution temporelle du phosphore. Par conséquent, la charge annuelle totale de phosphore est distribuée proportionnellement au débit des rivières. La corrélation entre le niveau du débit d’eau et la charge en phosphore dans les rivières est évaluée dans les stations le long de la Sionge et de la Sarine, en amont du lac de la Gruyère. Ces deux stations sont choisies parce que la fréquence de mesure du phosphore y est considérablement plus élevée que dans les autres stations de mesure. À partir des données Modiffus, les charges annuelles totales de phosphore diffus dans les sous-bassins versants de la Sionge et de la Sarine sont calculées.
Ces valeurs sont ensuite utilisées pour estimer l’évolution temporelle du phosphore aux deux stations de mesure. La figure 8 compare les estimations temporelles issues des modèles avec les mesures effectuées dans la Sionge. L’ordre de grandeur entre les estimations temporelles et les mesures est correct, bien que les mesures tendent à montrer des valeurs plus basses. Cependant, la bonne corrélation entre les estimations et les mesures lors des pics de phosphore soutient l’hypothèse d’une proportionnalité directe entre la charge en phosphore et le débit des cours d’eau. Des échantillons plus fréquents par temps de pluie sont nécessaires pour réduire les incertitudes entre les estimations et les mesures de phosphore. Plus généralement, ces mesures de concentrations en phosphore dans les affluents lors de forts débits sont indispensables pour estimer les apports de phosphore dans n’importe quel lac.
Les valeurs temporelles obtenues de phosphore provenant des sources ponctuelles et diffuses sont utilisées dans le modèle RS (tab. 1). Pour estimer la charge de phosphore totale provenant du bassin versant de Schiffenen, seule la modélisation du transport du phosphore le long des cours d'eau est prise en compte. RS permet de combiner les différentes sources de phosphore et de prendre en compte le temps de déplacement d’un point à un autre dans le bassin versant. Il faut préciser que l’analyse effectuée est étroitement liée au transport le long du bassin versant et ne prend pas en compte la dégradation du phosphore dans l’eau.
Une fois la corrélation directe entre le débit d’eau et la quantité de phosphore validée, la méthodologie décrite ci-dessus est appliquée pour estimer l’évolution temporelle du phosphore diffus total dans le bassin versant de Schiffenen. Cette estimation, ainsi que les données de phosphore ponctuelles en sortie des STEP, sont utilisées comme entrée dans RS. La modélisation du transport via RS permet d’évaluer les apports externes de phosphore total dans le lac de Schiffenen (fig. 9, en haut). La comparaison avec les relevés de phosphore disponibles pour 2019 (fig. 9, en bas) montre une surestimation par rapport aux mesures, en analogie avec les résultats de la Sionge (fig. 8). L’ordre de grandeur reste correct et la différence avec les mesures peut être due au fait que les lacs de la Gruyère et de Pérolles sont inclus dans le bassin versant de Schiffenen pour l’estimation des apports en phosphore. À l’avenir, des mesures supplémentaires en aval des deux lacs, notamment en période de crue, permettront de les exclure du bassin versant de Schiffenen et d’atténuer considérablement la dynamique du phosphore. En alternative, des modèles plus complexes pourraient être développés pour inclure également les lacs de la Gruyère et de Pérolles.
Des données supplémentaires doivent être récoltées pour pouvoir appliquer le modèle 2 boîtes pour le lac de Schiffenen. Des mesures mensuelles de TPin dans chaque affluent sont nécessaires pour estimer Pin et des carottes sédimentaires doivent être collectées pour estimer Precy et vérifier la relation empirique de PSN [9]. De plus, les mesures de TP dans le lac ne sont actuellement pas assez fréquentes pour analyser les variations saisonnières et les comparer aux simulations. Le modèle devra également être adapté pour prendre en compte les variations de niveau d’eau liées à l’exploitation du barrage.
Cet article propose une revue non exhaustive des modèles applicables au transport du phosphore dans les lacs et leurs bassins versants, regroupés en trois classes de complexité croissante. Le choix de modèle dépend des données disponibles et des performances attendues.
Des arbres de décision basés sur les données disponibles ainsi que les caractéristiques spécifiques des lacs et de leurs bassins versants sont proposés afin de déterminer le type de modélisation à mettre en place pour le lac ou pour le bassin versant, en fonction de l’état du lac et des questions à résoudre. Un modèle 2 boîtes verticales pour les lacs est également fourni en accès libre avec cet article (https://github.com/tdoda/phosphorus_model) afin de promouvoir l’utilisation de modèle simple dans la gestion des lacs. Les deux lacs analysés, Schiffenen et Baldegg, illustrent parfaitement comment cette méthodologie peut être appliquée à des systèmes aquatiques très différents. Cette approche permet aux gestionnaires d'évaluer la nécessité de collecter des données supplémentaires et optimise l'utilisation des données existantes à travers des modèles pour la gestion des lacs.
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A0 [m2]: superficie du lac
Atherm [m2]: aire du lac à la profondeur de la thermocline
ΔTPepi [t-P m–3]: différence de concentration en phosphore total dans l’épilimnion entre le début et la fin de la période de stratification
ΔTPhypo [t-P m–3]: différence de concentration en phosphore total dans l’hypolimnion entre le début et la fin de la période de stratification
Δt [an]: durée de la période de stratification
hepi [m]: profondeur de l’épilimnion
hmax [m]: profondeur maximale du lac
hmoy [m]: profondeur moyenne du lac
Kz [m2 s–1]: coefficient de diffusion turbulente
O2,fond [mg l–1]: concentration en dioxygène dissous au fond du lac
Pin [t-P an–1]: flux de phosphore entrant (affluents du lac)
Pout [t-P an–1]: flux de phosphore sortant (déversoir du lac)
Precy [t-P an–1]: flux de phosphore recyclé
PSB [t-P an–1]: flux de sédimentation brute de phosphore
PSN [t-P an–1]: flux de sédimentation nette de phosphore
Pz [t-P an–1]: flux de phosphore entre l’épilimnion et l’hypolimnion
Qin [m3 s–1]: débit d’un affluent du lac
Qout [m3 s–1]: débit du déversoir du lac
TPin [mg-P m–3]: concentration en phosphore total dans un affluent
TPepi [mg-P m–3]: concentration en phosphore total dans l’épilimnion
TPhypo [mg-P m–3]: concentration en phosphore total dans l’hypolimnion
TPout [mg-P m–3]: concentration en phosphore total dans le déversoir du lac
TPsed [mg-P g-sed–1]: concentration en phosphore total dans un affluent
τ [jours]: temps de résidence hydraulique du lac
Vepi [m3]: volume de l’épilimnion
Vhypo [m3]: volume de l’hypolimnion
Vlake [m3]: volume du lac
Cette étude a été financée par le Service de l’environnement du Canton de Fribourg (SEn) dans le cadre de l’analyse du lac de Schiffenen. Nous tenons à remercier Mme Elise Folly et Mme Catherine Folly du SEn pour leur implication active dans le groupe de travail.
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