Les sédiments constituent un compartiment écologiquement important des eaux de surface et sont en tant que tels pris en compte dans l’Ordonnance suisse sur la protection des eaux [1]. Bien qu’il n’existe pas de programme national de surveillance de la qualité des sédiments, des campagnes d’évaluation de cette qualité sont réalisées plus ou moins régulièrement par plusieurs cantons [2]. En 2021, le Centre Ecotox, en collaboration avec l’OFEV et le VSA a publié une stratégie d’évaluation de la qualité des sédiments pour la Suisse [3]. La méthode d’évaluation proposée comprend deux niveaux. Le niveau 1 consiste en l’analyse chimique des substances d’intérêt et leur comparaison avec les critères de qualité des sédiments (CQS) correspondants. Ces CQS représentent des concentrations seuils au-delà desquelles un risque d’effets néfastes pour les organismes benthiques ne peut être exclu. Son utilisation est recommandée en tant qu’outil de dépistage, déclenchant des investigations supplémentaires afin d’affiner l’évaluation des risques ou de vérifier la possibilité d’observer des effets biologiques négatifs. Le niveau 2 combine l’évaluation du risque basée sur les CQS avec d’autres outils visant à évaluer la biodisponibilité des contaminants, tels que le recours à une batterie de bioessais écotoxicologiques et/ou des études des communautés benthiques in situ. Ces types d’outils ont déjà été utilisés, par exemple, dans des études de cas évaluant la qualité des sédiments du Léman et de ses affluents [4–6], de petits cours d’eau dans des zones sous pression agricole [7] ou de canaux dans le Chablais valaisan [8].
Avant une mise en place de ces outils en routine, une évaluation plus étendue de leurs sensibilité et applicabilité s’avère nécessaire. Dans ce contexte, l’objectif de ce projet était d’évaluer la pertinence des bioessais utilisés et de recommander une batterie de tests prometteurs à utiliser dans de futurs projets. Les différents types et sources de contamination ainsi que la sensibilité de chaque bioessai ont été pris en compte dans la caractérisation des dangers écotoxicologiques des sédiments échantillonnés. Une batterie de 3 bioessais in vivo avec des organismes représentatifs du compartiment sédimentaire a été utilisée afin de tester la qualité des sédiments sur 13 sites, comprenant 10 sites du réseau national d’observation de la qualité des eaux de surface (NAWA) et trois sites additionnels. Afin d’exploiter les synergies entre l’utilisation d’une batterie de bioessais pour les échantillons d’eau de surface et de celle pour les échantillons de sédiments dans l’interprétation globale des données de qualité des eaux, le projet a été mis en œuvre parallèlement à deux projets financés par l’OFEV, à savoir «Évaluation de la qualité des eaux de surface avec une batterie de bioessais» (Projet Biotestbatterie) et «Outil biomarqueurs pour la surveillance de la qualité de l’eau avec la truite de rivière» (Projet Biomarqueurs) (voir article «Surveillance de la qualité de l’eau avec un outil de biomarqueurs»; [9, 10]).
Le choix des sites d’études ainsi que l’échantillonnage ont été effectués en coordination avec deux autres projets du Centre Ecotox cités précédemment. La description des sites et des méthodes de prélèvement sont disponibles dans un article commun dans ce même numéro (voir article «Ökotoxikologische Biotests und -marker»; [11]).
Dans ce projet pilote, les réponses de trois organismes ont été suivies: (i) l’ostracode crustacé Heterocypris incongruens, consommateur primaire épibenthique exposé aux polluants via l’eau interstitielle et les particules de sédiments, (ii) le ver nématode Caenorhabditis elegans, espèce bactérivore endobenthique largement répandue et représentative de la méiofaune, et (iii) l’insecte diptère Chironomus riparius, dont les larves benthiques se nourrissent de matières détritiques à la surface des sédiments et tolèrent un large éventail de conditions environnementales. Ces bioessais évaluent des effets écotoxicologiques chroniques et sub-chroniques sur plusieurs paramètres biologiques pertinents pour le fonctionnement de l’écosystème aquatique à des stades de vie critiques ou sur l’ensemble du cycle de vie. Les tests ont été réalisés selon les protocoles expérimentaux des normes internationales ISO et françaises (AFNOR) (tab. 1; [12–14]) par le Centre Ecotox (test ostracode et chironome) et par le bureau d’étude Ecossa (test nématode).
Pour classer les échantillons de sédiments comme non toxiques (sans effet significatif) ou toxiques, le pourcentage d’effet obtenu pour chaque paramètre biologique mesuré a été comparé à un seuil de toxicité dérivé statistiquement pour chacun d’eux (tab. 1). Ces seuils tiennent compte de la variabilité naturelle des paramètres mesurés. Ils ont été déterminés à partir d’essais de multiples sédiments présentant une large gamme de propriétés physico-chimiques et de faibles niveaux de contamination [15–17]. L’effet mesuré (%) est converti en un «quotient d’effet» (QE) en le divisant par le seuil de toxicité correspondant (%) pour normaliser la réponse biologique et permettre la comparaison des tests entre eux.
Les résultats pour chaque paramètre biologique sont classés selon la sévérité des effets mesurés (tab. 1): sans effet significatif, avec un effet modéré ou avec un effet sévère. Finalement, afin d’intégrer les résultats de l’approche écotoxicologique, les sédiments des sites sont classés de qualité bonne à mauvaise selon le tableau 2.
La caractérisation physico-chimique des sédiments comprend des paramètres descriptifs (granulométrie, teneur en matière organique et en éléments majeurs), les concentrations en métaux, y compris le mercure total, et les concentrations en micropolluants organiques (16 hydrocarbures aromatiques polycycliques [HAP], 6 polychlorobiphényles [PCB], 91 pesticides ou métabolites, 10 retardateurs de flamme organophosphorés, 9 filtres UV et 12 muscs et parfums). Toutes les concentrations sont exprimées en poids sec (p. s.).
Le risque écotoxicologique des substances cibles mesurées a été estimé en comparant les concentrations environnementales dans les échantillons de sédiment avec les critères de qualité sédiment (CQS) correspondants. Les CQS sont déterminés à partir de données écotoxicologiques et représentent des valeurs limites de concentration au-delà desquelles un risque d’effets délétères pour les organismes benthiques ne peut être exclu. Les CQS pour les HAP, PCB, les métaux Cu, Pb, Zn et Hg, les insecticides cyperméthrine et chlorpyrifos, le fongicide tébuconazole, l’herbicide diuron et le biocide triclosan sont ceux publiés dans la stratégie d’évaluation de la qualité des sédiments pour la Suisse [3]. Pour les autres substances ciblées, des CQS ad hoc ont été élaborés selon la méthodologie de la Directive-Cadre européenne sur l’Eau [18] lorsque suffisamment de données étaient disponibles. Les retardateurs de flamme organophosphorés, les filtres UV, les muscs et parfums synthétiques ont été exclus de l’évaluation des risques chimiques par manque de données écotoxicologiques.
En divisant les concentrations mesurées par le CQS correspondant, un «quotient de risque» (QR) est calculé. Lorsque le CQS est dépassé (QR ≥ 1), il ne peut être exclu que la contamination menace les biocénoses aquatiques. Le risque est jugé tolérable si QR < 1.
Le carbone organique total (COT) est considéré comme un facteur déterminant de la biodisponibilité, qui contrôle la toxicité, pour les composés organiques et le cuivre. Ainsi les CQS sont en général dérivés pour des sédiments à 1% de COT. Les concentrations des composés organiques et le cuivre mesurées dans les sédiments avec une teneur en COT > 1% ont donc été normalisées à 1% COT avant leur comparaison avec les CQS.
Les sites sont classés de qualité très bonne à mauvaise selon le tableau 3. Selon la stratégie d’évaluation de la qualité des sédiments [3], le système d’évaluation en cinq classes est utilisé lorsque les CQS sont définitifs (robustes). En revanche, ce système de classification ne devrait pas être utilisé lorsque les CQS n’ont encore qu’une valeur préliminaire (forte incertitude) ou ad hoc. Cependant, nous l’avons utilisé pour toutes les substances pour lesquelles des CQS sont disponibles, définitifs ou non, afin de fournir une évaluation préliminaire de la qualité écologique des concentrations mesurées. Pour différencier les évaluations définitives et préliminaires, le code couleur de ces dernières est grisé (tab. 3).
À l’exception du site à bassin versant exploité de manière extensive (EXT) Möhlinbach (MB) dont les sédiments sont classés de qualité bonne, les sédiments de tous les sites se sont avérés toxiques pour au moins un paramètre biologique des espèces testées (tab. 4). Pour chaque type d’exploitation du bassin versant, les sédiments de deux sites ont induit un effet létal sur l’ostracode H. incongruens. Les sites à bassin versant agricole (AGR) Chrümlisbach (CHS) et Le Bainoz (BAI) ont induit un effet sévère alors que pour les sites à bassin versant agricole et urbain (AGR+URB), Furtbach (FB) a induit un effet sévère et Urtenen (URT) un effet modéré. Les sites EXT Glariseggerbach (GB) et Hemishoferbach (HB) ont aussi induit un effet modéré. Seuls les sites AGR+URB Boiron de Morges (BOI) et AGR Ruisseau de Gi (RG) ont cumulé des effets sublétaux sur la croissance de l’ostracode et l’émergence de C. riparius. La qualité des sédiments de ces sites et de ceux ayant induit une mortalité sévère chez l’ostracode est alors qualifiée de médiocre (cinq sites au total). Enfin, pour les sept sites restants, la qualité des sédiments est classée comme moyenne en raison de l’effet modéré sur la mortalité et/ou l’inhibition significative de la croissance de l’ostracode H. incongruens.
Faire appel à une batterie de bioessais sur les mêmes échantillons de sédiment permet une comparaison directe de la sensibilité de chaque bioessai et de leur performance dans l’évaluation du potentiel de toxicité des sédiments pour une source de pollution donnée.
En utilisant les seuils de toxicité (tab. 1), le bioessai avec les ostracodes s’est avéré le plus sensible parmi les bioessais mis en œuvre dans cette étude (fig. 1). Ces résultats confirment ceux obtenus précédemment. Par exemple, jusqu’à 60% des 33 sédiments prélevés mensuellement dans cinq sites sous pression agricole étudiés en 2017 présentaient une mortalité au-dessus du seuil de toxicité chez l’ostracode H. incongruens [7]. Un pourcentage similaire de sédiments (7 sur 10) de canaux artificiels en Valais sous pression urbaine, industrielle et agricole étaient classés comme toxiques pour l’ostracode H. incongruens sur la base du paramètre de croissance [8]. Dans cette même étude, en revanche, aucune mortalité n’avait excédé le seuil de 20%.
La toxicité pour les chironomes est couverte par les résultats de l’inhibition de la croissance des ostracodes car les deux sites où l’inhibition de l’émergence dépasse le seuil de toxicité, Le Boiron de Morges et Ruisseau de Gi (fig. 1C), sont également classés comme toxiques par le bioessai avec les ostracodes (tab. 4). Cependant, les sédiments du Boiron de Morges et du Ruisseau de Gi ne produisent pas les niveaux les plus élevés de toxicité chez les ostracodes et ne causent pas de mortalité significative (fig. 1A et B). Les sédiments du Chrümlisbach, du Furtbach et du Bainoz, parmi les plus toxiques pour les ostracodes car produisant des effets létaux significatifs (fig. 1A), ne provoquent pas une toxicité proportionnelle sur l’émergence des chironomes (fig. 1C). Concernant la sensibilité de ce test pour différents types de contamination, contrairement à ce qui a été observé pour les ostracodes, les larves de chironomes n’ont pas montré d’effets toxiques sur les sites à bassin versant exploité de manière extensive. Les résultats ne montrent cependant pas de différences significatives entre les différentes catégories de sites.
Une diminution statistiquement significative de la croissance et/ou de la reproduction des nématodes par rapport aux contrôles a été observée dans tous les sédiments à l’exception de Hemishoferbach et Le Bainoz pour la croissance et dans six sites pour la reproduction: Lochgraben (LOG), Glariseggerbach, Möhlinbach, Urtenen, Chrümlisbach et Ruisseau de Gi (résultats de l’analyse statistique non montrés). Cependant, le seuil de toxicité [17] n’a classé aucun sédiment comme toxique (tab. 4, fig. 1D–E). Dans l’étude précédemment citée menée sur cinq sites sous pression agricole, trois échantillons sur 33 montraient des effets sur les nématodes [7], dont seulement un montrait une toxicité également chez les ostracodes ou les chironomes. Ce bioessai s’est également révélé sensible aux métaux et aux PCB, avec une réduction significative de la croissance et la reproduction dans les sédiments en aval de déversements d’eaux mixtes [19]. Ceci montre que ce bioessai peut s’avérer sensible dans certains cas, dont il reste encore à préciser les particularités.
Les sédiments testés dans cette étude ont montré des propriétés physico-chimiques très différentes, avec une proportion de particules fines (limon et argile, < 63 µm) comprise entre 23% et 78% et une teneur en carbone organique totale (COT) entre < 1 et 4,3%. Lochgraben (EXT) et Furtbach (AGR+URB) avaient la teneur en COT la plus élevée, Landgrabe (AGR+URB, LAG) et Chrümlisbach (AGR) une teneur en COT supérieure au reste des sites (environ 1% COT ou moins). Il n’y a pas de différence significative entre les différents types de sites.
L’évaluation des risques à partir des données de l’analyse chimique des métaux (tab. 5) a montré que deux sites AGR+URB et un site AGR dépassaient les CQS pour le zinc (Zn) et le cuivre (Cu), et au moins pour un métal sur le reste des sites AGR+URB et sur le site EXT Möhlinbach. Le mercure (Hg) et le plomb (Pb) n’ont jamais dépassé leur CQS. Globalement, le risque de pollution métallique est moindre sur les sites à bassin versant exploité de manière extensive (EXT) et à impact agricole (AGR) et plus élevé dans les sites à impact mixte (AGR+URB).
De même, le risque de pollution lié aux HAP (somme des QR pour les cinq HAP avec des CQS définitifs) et PCB (dépassement des CQS préliminaires pour les congénères individuels) est moindre sur les sites EXT et AGR et plus élevé sur les sites AGR+URB (tab. 5). Un site AGR, le Ruisseau de Gi, et les quatre sites AGR+URB dépassaient le CQS d’au moins un HAP et présentaient un risque pour la somme des cinq HAP individuels avec CQS définitifs (tab. 5). Le risque le plus élevé est identifié à Urtenen, où six HAP présentaient des concentrations au-dessus de leur CQS correspondant.
Les sédiments de l’Urtenen présentaient également le risque le plus élevé de pollution pour les PCB, avec tous les congénères cibles présentant des concentrations d’un ordre de grandeur au-dessus de leur CQS (tab. 5). Deux sites AGR+URB supplémentaires, Landgrabe et Furtbach, montraient également le dépassement de respectivement trois et quatre CQS pour les PCB, contre un seul dépassement pour le site AGR Ruisseau de Collonges (NC). Finalement, et de manière surprenante, les sédiments du site EXT Glariseggerbach indiquent une présence notable de PCB (tous les CQS individuels dépassés). Dans l’ensemble, aucune concentration des substances traditionnellement surveillées dans les sédiments (c’est-à -dire les métaux, les HAP et les PCB) ne dépassent les CQS sur quatre sites soit le site EXT Lochgraben et les sites AGR Bainoz, Chrümlisbach et Eschelisbach (EB) (tab. 5).
Concernant les pesticides, 54 pesticides ont été détectés au total dans les sédiments étudiés. Deux sites, Chrümlisbach (AGR) et Furtbach (AGR+URB), ont des concentrations totales de pesticides considérablement élevées, à savoir 160 et 196 µg/kg. Le reste des sites AGR et AGR+URB présentent des concentrations intermédiaires qui varient entre 27 et 66 µg/kg. Les sites EXT montrent des concentrations totales de pesticides moindres (16–28 µg/kg) à Hemishoferbach et Lochgraben et faibles (~ 2 µg/kg) à Glariseggerbach et Möhlinbach. Après normalisation des concentrations des micropolluants organiques par la teneur en COT, Chrümlisbach (AGR), Le Bainoz (AGR) et Furtbach (AGR+URB) montrent le potentiel de biodisponibilité le plus élevé par rapport au reste des sites, puisque les concentrations normalisées restent les plus élevées.
L’insecticide chlorpyrifos est de loin le pesticide qui contribue le plus au risque global, dépassant le CQS dans tous les sites sauf pour trois d’entre eux. Les autres insecticides qui ont dépassé le CQS sont les pyréthrinoïdes (perméthrine, phénothrine, cyperméthrine, bifenthrine et fenvalérate), l’insecticide organochloré méthoxychlore et le néonicotinoïde thiaclopride (tab. 6). En moyenne, les sites AGR+URB sont tout autant impactés par la pollution aux pesticides, notamment aux insecticides, que les sites AGR. Les dépassements liés aux herbicides sont limités aux sites AGR Bainoz (terbuthylazine et péthoxamide) et Ruisseau de Collonges (diuron) et au site AGR+URB Furtbach (pendiméthaline). Seuls deux sites ont montré des dépassements pour les fongicides, Chrümlisbach (AGR) pour l’époxiconazole et le fenpropimorphe et Urtenen (AGR+URB) pour ce dernier uniquement.
Le tableau 7 résume les résultats des deux approches.
En général, les sédiments des sites à bassin versant exploité de manière extensive sont moins toxiques que ceux provenant de bassins versants agricoles ou à bassin versant agricole et urbain et les analyses chimiques montrent également moins de contamination chimique. Cependant, trois sites, Hemishoferbach, Lochgraben et Glariseggerbach, provoquent des effets sublétaux chez les ostracodes (tab. 4) et les analyses chimiques montrent aussi la présence de substances naturelles et anthropiques avec des concentrations au-dessus du CQS correspondant. Hemishoferbach, Möhlinbach et dans une plus large mesure Glariseggerbach montrent un dépassement du seuil de risque QR > 1 pour la somme des pesticides (non montré), principalement à cause de la présence des insecticides chlorpyrifos et phénothrine (tab. 6). La présence de PCB à Hemishoferbach et surtout à Glariseggerbach peut également avoir contribué aux effets modérés sur la mortalité des ostracodes.
À Lochgraben, où un effet modéré sur la croissance des ostracodes est observé, aucune des substances analysées ne dépasse le CQS correspondant. Möhlinbach a un risque cumulé de contamination métallique plus élevé que Lochgraben et est le seul site de bonne qualité écotoxicologique selon les bioessais. Des différences dans les propriétés physico-chimiques des sédiments (Lochgraben a des teneurs en COT et en phosphore considérablement plus élevées que Möhlinbach), la présence de substances non ciblées dans les analyses chimiques à Lochgraben ou des effets de mélange de type synergie/antagonisme non pris en compte dans l’évaluation du risque chimique peuvent être à l’origine de ces divergences apparentes entre les évaluations écotoxicologiques et chimiques.
Sur les sites de pollution agricole, des effets létaux sur l’ostracode ont été constatés avec les sédiments du Bainoz et de Chrümlisbach (tab. 4), les deux sites qui présentent le risque le plus élevé dû à la présence de pesticides, à la fois en nombre de substances dépassant le CQS correspondant et en risque cumulé (perméthrine exclue) (tab. 6). De plus, la croissance a été significativement réduite dans les autres trois sites AGR: Eschelisbach, Ruisseau de Collonges et Ruisseau de Gi. Ce dernier site a également provoqué une inhibition de l’émergence des chironomes, conformément au risque cumulé le plus élevé par rapport aux deux autres sites restants. Parmi les substances détectées dans le Ruisseau de Gi, seule la concentration maximale de l’insecticide méthoxychlore pourrait être la cause de l’inhibition de l’émergence de cet organisme, bien que la concentration létale efficace pour 50% des chironomes dans les tests de laboratoire à 10 jours (toxicité aiguë) soit d’un ordre de grandeur supérieure à la concentration mesurée [20]. La présence d’autres insecticides pourrait contribuer à la toxicité. Par exemple, des concentrations élevées de fipronil et de lambda-cyhalothrine ont été détectées dans les eaux de surface de ces sites les jours précédant la collecte des échantillons de sédiments [9]. Ces deux insecticides ont tendance à s’accumuler dans les sédiments et sont hautement toxiques pour les chironomes [21, 22] mais n’ont pas été ciblés dans les analyses chimiques des sédiments.
Les sédiments des sites à bassin versant agricole et urbain présentent un risque élevé lié à la contamination chimique, tant par des composés traditionnellement mesurés tels que les métaux, les HAP et les PCB, que par la présence de pesticides. Dans le test avec les ostracodes, les valeurs seuils d’effets pour l’inhibition de la croissance et/ou pour la mortalité ont été dépassées dans tous les sites. Des effets létaux sont constatés avec les sédiments du Furtbach et de l’Urtenen. Les sédiments du Furtbach présentent le risque cumulé le plus élevé lié à la contamination en pesticides, et provoquent également une mortalité sévère chez les ostracodes. Les sédiments de l’Urtenen provoquent une mortalité moyenne chez les ostracodes, conformément à l’évaluation des risques basée sur l’analyse chimique, car ils présentent le plus grand nombre de substances au-dessus du CQS et le risque cumulé le plus élevé lié aux PCB et aux HAP. En revanche, le risque cumulé lié à la contamination par les pesticides (non montré) est plus faible que dans le cas de Furtbach et Chrümlisbach, dont les sédiments provoquent des effets sévères. Cela semble indiquer une plus grande sensibilité de ce bioessai à la présence de pesticides par rapport aux PCB et aux HAP.
Dans le projet sur les eaux de surface, le Landgrabe s’est avéré être parmi les sites les plus pollués causant également des effets dans plusieurs bioessais [9]. Les sédiments de ce site présentent aussi l’un des niveaux les plus élevés de risque cumulé pour les pesticides dans cette étude, avec une contribution importante du chlorpyrifos et de la perméthrine, et du fenvalérate dans une moindre mesure. Dans ce cas, cela se traduit par des effets sublétaux chez l’ostracode, qui ne sont pas létaux comme dans le cas des sédiments de l’Urtenen et du Furtbach. Le Boiron de Morges est le seul site AGR+URB dont les sédiments montrent des effets sur les chironomes (tab. 4). Les sédiments de ce site se distinguent par une contamination métallique moyenne, avec un dépassement des CQS pour le Cu et le Zn, et la présence des insecticides thiaclopride et perméthrine qui dépassent les CQS. D’autres sites présentent cependant des concentrations plus élevées sans effet chez les chironomes. Au Ruisseau de Gi, l’autre site où ce bioessai montre une toxicité, l’insecticide fipronil a également été détecté dans les eaux de surface [9]. La présence d’autres insecticides auxquels les chironomes pourraient être très sensibles reste à vérifier, car aucune des substances analysées ne peut être identifiée comme la seule responsable des effets observés chez les larves de chironomes.
Bien que dans ce projet pilote le bioessai avec le nématode n’ait classé aucun des sédiments étudiés comme toxique, des études précédentes menées en Suisse et ailleurs montrent des effets toxiques dans des sites sous différents types de contamination et sa complémentarité avec les deux autres bioessais proposés [7, 19, 23, 24]. Ayant enregistré des différences significatives dans les paramètres biologiques pour cet organisme modèle dans les sédiments de cette étude par rapport aux témoins négatifs, une étude ultérieure de la variabilité naturelle des traits de vie est recommandée pour affiner les seuils de toxicité et minimiser les faux négatifs [25].
Le test avec les stades larvaires de chironomes a identifié des effets sur un site à pression agricole et un à pression agricole et urbaine. Les chironomes sont des organismes modèles largement utilisés dans les évaluations réglementaires des produits phytosanitaires et des sédiments contaminés [26–28]. Cependant, il est encore difficile d’identifier la ou le groupe de substance(s) responsable(s) d’un effet écotoxique dans le cas d’échantillons environnementaux. Les résultats de ce projet indiquent la complémentarité du bioessai avec l’ostracode et le chironome, et confirme la recommandation actuelle d’utiliser une batterie de tests portant sur différents organismes, différentes voies d’exposition et différents types d’effets dans le cas d’une évaluation plus poussée [28]. Un large éventail d’effets biologiques et de sensibilités chez les organismes benthiques serait ainsi couvert, ajoutant du poids dans la prise de décision le cas échéant.
Le bioessai avec les ostracodes s’est avéré le plus sensible parmi les bioessais mis en œuvre dans cette étude. Les sites avec une mortalité significative présentent également un risque important selon l’évaluation chimique. Le nombre élevé de dépassements du seuil de toxicité pour la croissance reste à considérer avec précaution car la sensibilité de cette espèce aux contaminants de façon spécifique reste à explorer. De plus, les propriétés intrinsèques de la matrice sédimentaire (par exemple, matière organique ou teneur en phosphore) pourraient être des facteurs confondants dans l’interprétation des résultats. La France, l’Italie et la Belgique (Flandre et Wallonie) ont notamment opté pour son utilisation dans des programmes de surveillance des sédiments [28-30]. L’utilisation en routine de ce bioessai dans les programmes de surveillance, accompagnés de mesures physico-chimiques, permettrait de lever quelques verrous et ajuster éventuellement les seuils d’effets.
La stratégie d’évaluation de la qualité des sédiments proposée pour la Suisse comprend deux niveaux. Le niveau 1 consiste en l’analyse chimique des substances d’intérêt et leur comparaison avec les critères de qualité des sédiments (CQS) correspondants. Son utilisation est recommandée en tant qu’outil de dépistage, déclenchant des investigations supplémentaires afin d’affiner l’évaluation des risques ou vérifier la possibilité d’observer des effets biologiques négatifs. Dans ce projet pilote, selon l’approche graduée, au moins une substance dépasse le critère systématiquement dans tous les sites (à l’exception du site EXT Lochgraben), justifiant une investigation plus approfondie des sédiments. L’application de l’évaluation graduée selon cette stratégie repose néanmoins sur des CQS solides et couvrant différents groupes de contaminants. Or, le nombre de critères de qualité définitifs disponibles est très limité car les données d’effets sur des organismes benthiques sont actuellement insuffisantes voire inexistantes. Les résultats sur les sites à bassin versant agricole, où peu de contaminants traditionnellement analysés dans les sédiments dépassent les critères de qualité, montrent une qualité médiocre des sédiments selon les bioessais. De ce fait, la mise en œuvre du bioessai avec les ostracodes comme outil de screening en accompagnement du niveau 1 de la stratégie pourrait aider à prioriser les sites à plus fort potentiel écotoxicologique pour une investigation plus approfondie, que ce soit par l’analyse chimique de groupes de substances non surveillées en routine (par exemple les pesticides) ou des outils biologiques complémentaires (bioessais et/ou bioindication).
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[25] Höss, S. et al. (in prep): Different rivers, common problems – Linking chemical and ecological status in polluted sediments of three different European river basins
[26] OCDE (2004): Lignes directrices de l’OCDE pour les essais de produits chimiques, essai n° 218: Essai de toxicité sur les chironomes dans un système eau-sédiment chargé
[27] ASTM (2020): Standard test method for measuring the toxicity of sediment-associated contaminants with freshwater invertebrates. ASTM E1706-20. Annex A6: Guidance for sediment toxicity tests with the midge Chironomus riparius
[28] Babut, M. et al. (2016): Vers une démarche graduée d’évaluation écotoxicologique des sédiments fluviaux: présentation et premiers tests. La Houille Blanche – Revue internationale de l’eau 4/2016: 82–98
[29] Baudo, R. et al. (2013): Batterie di saggi ecotossicologici per sediment e acque interne. ISPRA, Manuali e Linee Guida 88/2013, ISBN 978-88-448-0607-1
[30] De Cooman, W. et al. (2015): History and sensitivity comparison of two standard whole-sediment toxicity tests with crustaceans: the amphipod Hyalella azteca and the ostracod Heterocypris incongruens microbiotest. Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems 416: 15
En plus des personnes déjà listées dans [11], les auteurs souhaitent remercier les personnes suivantes pour leurs précieuses contributions et/ou commentaires Pascal Mullatieri (Biol’Eau Sà rl), Pablo A. Lara-Martin (Université de Cadiz, Espagne), Silwan Daouk (VSA), Christina Lüthi, Cornelia Kienle et Anne-Sophie Voisin (Centre Ecotox).
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