La Vuachère est une rivière emblématique de la Ville de Lausanne (fig. 1), et constitue le seul couloir forestier reliant le lac Léman au haut de la ville. Son tracé morphologique, plus libre sur la partie amont, devient fortement aménagé après l’arrivée du Flon, son principal affluent. Malgré la volonté de redonner et de garder un cours d’eau proche de son état naturel sur une grande partie de son linéaire, la Vuachère n’échappe pas à la pollution anthropique urbaine et agricole.
En effet, son bassin versant présente une surface principalement urbanisée, généralement source de nombreux polluants lessivés par la pluie et entrainés dans la rivière. La présence de parcelles agricoles, en amont du Flon, expose aussi potentiellement le milieu aquatique à des substances phytosanitaires via les eaux souterraines et le ruissellement. L’entité «Cours d’eau Et Pollution» (CEP) du Service de l’eau de Lausanne a observé une autre source de pollution particulièrement préoccupante, celle de rejets d’eaux usées brutes dans la rivière. Des traceurs d’eaux usées, comme des médicaments, ont en effet été mesurés dans la rivière et dans les rejets de nombreux exutoires d’eaux claires [1] (fig. 1), alors qu’aucune station d’épuration n’est présente dans le bassin versant. Ces rejets viennent de mauvais raccordements, ou de fuites des conduites.
Dans l’optique d’améliorer l’état de la Vuachère, la recherche et l’élimination des rejets d’eaux usées sont en cours, et des projets de remédiation sont prévus. La présente étude vise donc à évaluer la qualité actuelle de la rivière, l’état «zéro», par une estimation de la quantité d’eaux usées qui s’écoule dans le cours d’eau, et vis-à -vis du risque engendré par la présence des micropolluants. Les méthodes appliquées pourront ensuite être réutilisées dans le futur afin d’apprécier l’impact des corrections effectuées.
Afin d’établir une référence représentative de l’état du cours d’eau et de pouvoir vérifier sa conformité avec l’Ordonnance sur la protection des eaux (OEaux, [2]), cette étude s’est fortement appuyée sur les stratégies actuelles utilisées par la Confédération et celles proposées par le Centre Ecotox Suisse en matière d’évaluation du risque écotoxicologique [3–5].
Trois échantillonneurs automatiques à pompe péristaltique (un ISCO 6700 et deux HACH AS950) ont été déployés le long de la Vuachère: le premier à l’embouchure du bassin versant (au lieu-dit Denantou), le second à l’arrivée du Flon, et le dernier sur la partie amont de la rivière (au lieu-dit Valmont) (fig. 1). Des sous-échantillons de 100 ml ont été pris toutes les heures en continu dans des bouteilles en verre de 2 l de mai à juillet (fig. 1). La prise d’eau a été effectuée à travers un tube en téflon allant de l’appareil jusqu’au milieu de la rivière, et se terminant par une crépine en téflon (fig. 1). Les bouteilles ont été ramenées et remplacées tous les deux jours afin de stocker les sous-échantillons rapidement à 4 °C pour éviter une dégradation des substances.
La constitution d’échantillons composites de 3,5 jours (par mélange des sous-échantillons) a servi de base pour l’analyse du risque sur les 3 mois (tab. 1). Cette résolution, ou moyenne sur 3,5 jours, est conseillée pendant la période d’avril à juillet afin d’observer les pics potentiels des substances appliquées en agriculture tout en minimisant le nombre d’échantillons [5].
Une batterie de tests écotoxicologiques a aussi été accomplie sur deux échantillons composites de 14 jours, et sur un de 7 jours durant un temps sec (tab. 1). Le «temps sec» représente potentiellement une période stable, sans pluie, où la principale pollution vient des rejets d’eaux usées. Les échantillons de 14 jours intègrent quant à eux deux longues périodes successives avec une quantité de pluie tombée très différente (23 et 60 mm resp.).
Les substances analysées par le laboratoire du service de l’eau de la commune de Lausanne couvrent la plupart des substances pertinentes et habituellement recherchées dans le programme d’observation nationale NAWA [5]. Cela constitue l’analyse par LC-MSMS de 161 micropolluants appartenant à différentes catégories d’utilisation. On retrouve entre autres les pesticides, les médicaments, les sucres de synthèse, le benzotriazole, les PFAS et le bisphénol A. La plupart de ces substances sont issues du milieu urbain et se retrouvent dans les eaux claires ou les eaux usées. Parmi les pesticides, une vingtaine de substances (biocides) peuvent venir également d’une utilisation en milieu urbain. A noter que la présence de certaines substances non recherchées, comme les pyréthrinoïdes ou les œstrogènes (substances pouvant avoir un effet dans l’écosystème à de très faibles concentrations et donc particulièrement pertinentes), reste d’une certaine manière appréciée par les bioessais.
En effet, les bioessais employés (tab. 1), comprennent le test «algues combiné» du Centre Ecotox ainsi que différentes tests CALUX® (par le laboratoire Biodetection Systems, BDS). Ce sont des tests in-vitro sur des lignées de cellules humaines mesurant l’expression d’un gène par la liaison des substances sur un récepteur spécifique. Chaque test CALUX® correspond ainsi à la mesure d’un effet ou d’un mode d’action induit par les substances dans l’échantillon, comme l’activation de récepteurs hormonaux ou de récepteurs de détoxification. Ces tests permettent de mesurer un potentiel effet venant d’un groupe de substances spécifiques, comme les perturbateurs endocriniens, les inhibiteurs de la photosynthèse, etc. Ils complètent ainsi l’analyse du risque écotoxicologique basée sur la seule analyse chimique des substances individuelles, en détectant par exemple: des effets venant de substances non recherchées, survenant à des concentrations en dessous des limites de quantification, ou résultant d’un mélange. Des bioessais ont aussi été effectués sur des niveaux trophiques supérieurs, avec des invertébrés Ceriodaphnia dubia (par SOLUVAL SANTIAGO) et des embryons de poisson (test FET par aQuaTox-Solutions) (tab. 1).
Le risque écotoxicologique des micropolluants est estimé à partir des concentrations mesurées dans les échantillons composites, selon différents indicateurs et méthodologies:
Les RQA et RQC sont en priorité calculés avec les CQA et CQC du Centre Ecotox, proposé pour la Suisse, qui s’aligne sur la méthode utilisé par l’Union Européenne selon la Directive-cadre sur l’eau (appelé NQE par l’UE - norme de qualité environnementale). Si ces valeurs n’ont pas encore été déterminées, le risque est alors calculé sur la plus petite valeur de NQE ou de PNEC trouvée dans d’autres bases de données nationales ou internationales, comme celles du réseau européen NORMAN, du gouvernement néerlandais RIVM, du Portail des substances chimiques de l’INERIS pour la France, ou éventuellement dans des articles scientifiques. Aucune valeur de protection n’a été trouvée pour le métabolite Acethylsulfamethoxazole (métabolite de l’antibiotique sulfaméthoxazole), et 5 métabolites du fongicide chlorothalonil. Celle de la substance mère a donc été utilisée comme première approche worst-case, car les métabolites sont généralement moins toxiques.
Pour l’analyse par SSD, les paramètres de calage nécessaire (µ, σ) de la courbe log-normale (aiguë ou chronique) de chaque substance sont donnés par une étude pour plus de 12 000 composés [10].
A noter que le calcul du risque du mélange (RQCmix p,i,v et msPAF) représente un worst-case (surestimation probable) en utilisant le concept de concentration addition appliqué à toutes les substances indépendamment de leur mode d’action [12]. Il n’existe pas de législation sur ces valeurs de risque. De plus, le risque chronique est estimé à partir du mélange des concentrations moyennes sur 14 jours. Toutefois, les substances ne se sont pas forcément mélangées au même moment pendant cette durée. L’hypothèse doit ainsi être émise que l’effet additif de substances arrivant de manières successives sur une période donnée est similaire au mélange de la moyenne de ces substances.
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De nombreux micropolluants ont été quantifiés dans la Vuachère plus ou moins fréquemment, correspondant à 62% des substances recherchées (56% des pesticides, 65% des médicaments, tous les sucres de synthèse sauf aspartame). Les plus hautes concentrations à l’embouchure sont observées pour des substances issues de la ville, montrant le caractère urbain de la pollution de la Vuachère.
En plus d’une concentration élevée, l’acésulfame K (sucre de synthèse), la metformine (antidiabétique), le DEET (répulsif à insectes) ont une fréquence de quantification proche de 100% à toutes les stations (fig. 3). Avec la mesure régulière d’autres médicaments comme l’irbésartan, l’hydrochlorothiazide et le diclofénac (fig. 3), ces substances indiquent une pollution manifeste par des déversements d’eaux usées brutes dans la rivière. En effet, celles-ci transitent principalement par les eaux usées en étant consommées et excrétées par la population. Le DEET peut également être transporté par les eaux usées, venant de la douche ou la lessive, car utilisé sur la peau ou les habits [13].
Le benzotriazole, quantifié fréquemment (fig. 3 et 4), est utilisé comme anticorrosif dans de nombreuses applications industrielles et commerciales. Il peut notamment se retrouver dans les poussières de routes par la corrosion des véhicules et polluer les eaux de rivières par lessivage [14]. On observe d’ailleurs une corrélation significative entre la concentration et la quantité de pluie tombée. Le diuron montre également une corrélation très marquée avec la pluie (coeff. Pearson de 0,6; 0,75; 0,85 aux différents sites), connu pour être lessivé des façades d’habitation, car utilisée comme protection dans les peintures [15]. La méthénamine, observé dans 100% des échantillons, ne présente pas de corrélation particulière avec la météo. Cela vient peut-être de ces multiples sources possibles. En effet, elle sert de médicament antiseptique pour les infections urinaires, de conservateur dans les cosmétiques ou les peintures, d’agent anti-corrosion dans les métaux, et est surtout utilisée en additif dans la production de matières plastiques et dans l’industrie du caoutchouc (pneus de voiture) [16].
Des substances biocides sont retrouvées fréquemment dans la Vuachère, comme le mécoprop, le glyphosate et son métabolite l’AMPA, le métabolite du Fludioxonil, l’imidaclopride ou le propiconazole (fig. 3 et 4). Il est possible que celles-ci viennent d’écoulements plus complexes par les eaux souterraines, car elles ne montrent pas de corrélation avec la pluie. Leur source est souvent urbaine (jardins, parcs, toitures pour le mécoprop ou traitement du bois pour le propiconazole), en tout cas pour le glyphosate et le mécoprop [15]. Cependant, la présence en tous lieux de certains pesticides utilisés principalement en grandes cultures comme la terbuthylazine, la simazine (interdite en Suisse depuis 2012) ou le métolachlore (potentiellement étant du S-métolachlore) (fig. 4), indique une source également agricole venant des eaux souterraines en amont du Flon et de la Vuachère.
Malgré la proximité du Flon et de la Vuachère amont, certaines substances sont plus spécifiques à l’une ou l’autre provenance (fig. 4). Le diatrizoate, un produit de contraste consommé avant des radiographies, est souvent quantifié à Valmont. La présence d’une seule clinique d’urgences médico-chirurgicales en amont de Valmont, crée des soupçons quant à un rejet probable d’eaux usées des conduites liées à ce bâtiment. Le paracétamol, le sotalol et le métoprolol sont observés principalement dans le Flon, indiquant également le rejet éventuel d’un établissement particulier. Concernant les pesticides, les métabolites du chlorothalonil R471811, R417888 et SYN546872 sont fréquemment quantifiés en provenance du Flon (fig. 4). Un golf en amont a été identifié comme étant la source de ces substances. Bien qu’il ait cessé toute utilisation du chlorothalonil depuis 2016, la persistance de ces métabolites est élevée. Le propamocarbe, uniquement mesuré à Valmont (fig. 4), peut venir d’une utilisation sur du gazon, des terrains de sport ou des cultures maraîchères, bien qu’il soit habituellement utilisé dans la pomme de terre (culture non recensée de ce côté du bassin versant). Enfin, les perfluorés (PFOS et PFOA) sont aussi quantifiés uniquement du côté Valmont. A noter que la méthode d’échantillonnage n’était pas adaptée à l’évaluation des PFAS, avec des risques d’absorption (bocaux en verre) ou de contamination (tuyau en téflon).
Six pesticides dépassent l’exigence de 0,1 µg/l fixée dans l’OEaux (tab. 2), les plus fréquents étant le glyphosate, le mécoprop et le DEET. Ces substances ne montrent cependant pas de risque écotoxicologique, évalué au chapitre suivant. En effet, cette valeur limite de 0,1 µg/l n’est basée sur aucun critère écotoxicologique et ne concerne que les pesticides qui n’ont pas de concentrations limites CQA ou CQC exigée dans l’OEaux. Elle constitue néanmoins une limite de précaution au vue des nombreuses incertitudes de l’évaluation de l’effet toxique d’un micropolluant dans l’environnement (effet de mélange, effets sublétaux non identifiés, toxicité inconnue pour beaucoup d’espèces, etc.). La recherche et l’élimination des rejets d’eaux usées pourraient avoir un impact positif sur les dépassements du DEET, mais moins sur le glyphosate et le mécoprop, provenant plutôt des surfaces urbaines lessivées par les pluies. Ce trio de substances est observé fréquemment dans de nombreux cours d’eau en Suisse [17], avec des concentrations élevées. Il est difficile en terme de management d’identifier des actions visant à diminuer leur concentration, tant leur source est diffuse dans tout le bassin versant, si ce n’est une restriction de leur utilisation à l’échelle nationale. Les substances dépassant leur CQA ou CQC dans l’OEaux (tab. 2) seront abordées dans l’analyse de risque, les mêmes seuils étant utilisés.
La quantité d’eaux usées rejetées dans la Vuachère est calculée en équivalent habitant (EH), en comparant les charges de certaines substances dans la rivière avec leur charge respective arrivant en entrée de stations d’épuration (STEP). Pour ce faire, il faut que la charge de la substance en entrée de STEP soit environ proportionnelle au nombre d’EH relié à la STEP. L’acésulfame K est un marqueur idéal pour la détection des eaux usées dans les rivières, de par sa consommation régulière, son rejet par l’ensemble de la population, sa corrélation avec la taille de la population et sa persistance dans l’environnement [18]. La charge par habitant en entrée des STEP en Suisse est évaluée à 10 mg/personne/jour selon Buerge et al. (2009; [18]). Trois autres médicaments ont servi à cette évaluation, le diclofénac, l’irbésartan et la metformin, avec une charge par EH déterminée par rapport à la STEP de Lausanne à différentes dates (fig. 5B):
La charge dans la rivière de ces substances est calculée à partir de trois échantillons composites par temps sec du mois de mai (fig. 5A). En effet, par temps sec, les traceurs d’eaux usées viennent principalement du rejet des conduites et la mesure du débit de la rivière est plus fiable. Le nombre d’EH rejetant dans la rivière est calculé en divisant la charge en rivière avec la charge par EH en entrée de STEP pour chaque substance (fig. 5B). On s’attend à ce que le nombre d’EH soit environ similaire peu importe à partir de quelles substances il est calculé, ce qui est bien le cas à chaque station de la Vuachère (fig. 5B). Cette cohérence renforce l’idée que la charge de ces substances correspond relativement bien à un rejet d’eaux usées lié à ce nombre d’EH. Le débit d’eaux usées rejetés par jour dans la Vuachère peut ensuite être estimé à partir d’un débit théorique de 170 l/jour/EH [19].A l’embouchure, le rejet d’eaux usées est d’environ 227 ± 72 EH en moyenne, représentant 38,6 m3/jour (fig. 5C). Les rejets viennent principalement du Flon, et augmentent de 58% jusqu’à l’embouchure, en traversant la ville. Ces indicateurs pourront être à nouveaux calculés dans quelques années afin de déterminer l’efficacité des corrections de rejets d’eaux usées dans la Vuachère.
Les indicateurs de risque font ressortir plusieurs substances potentiellement problématiques sur la période d’échantillonnage (fig. 6). On retrouve des insecticides interdits comme le diazinon observé dans le Flon, le chlorpyriphos à Valmont, et d’autres autorisés seulement en tant que biocide, comme le fipronil et l’imidaclopride (écoulement des stocks en agriculture permis jusqu’en juin 2022). Mis à part l’imidaclopride, ils ont été quantifiés que dans un ou deux échantillons composites de 3,5 jours, avec des concentrations dépassant leur CQA (chiffrée dans l’OEaux pour le diazinon et le chlorpyriphos). La concentration moyenne sur toute la période d’échantillonnage du fipronil et du chlorpyriphos crée toujours un risque chronique (fig. 6A). Celui du diazinon s’étend sur un maximum de 10 jours. Le pourcentage d’espèces potentiellement affectées par la concentration moyenne de 14 jours est proche de 5% pour le chlorpyriphos et le diazinon (fig. 6B). Malgré un RQC élevé du fipronil, la pression sur les espèces semble plus faible selon la courbe SSD avec un PAF autour de 1% (fig. 6B). Un autre insecticide interdit, le fenpropathrine (acaricide), montre un PAF élevé de 30% sur 14 jours (fig. 6B), alors que le RQC vaut tout juste 1 selon une PNEC de 0,006 ng/l de la banque de données Norman (estimée par un modèle de prédiction de la toxicité). Celle-ci sous-estime fortement la toxicité comparée à la courbe SSD de la substance (établie avec un score optimal de qualité [10]). Il est difficile de trouver une explication à la brève apparition de ces substances interdites en Suisse, si ce n’est l’utilisation ponctuelle d’un reste de stock ou d’un produit importé d’un pays hors UE. Il serait pertinent d’évaluer si elles ne montreraient pas des concentrations plus fréquentes en dessous des limites de quantification, venant d’une pollution du sol ou des sédiments, par exemple avec des capteurs passifs. La CQC du chlorpyriphos se situe d’ailleurs en dessous de la limite de quantification (5 ng/l en LC-MSMS). A noter que l’imidaclopride et le fipronil sont utilisés dans les colliers antiparasitaires pour chiens (se baignant souvent en amont des preleveurs).
Le diuron est le seul herbicide qui montre un risque chronique à Valmont sur 14 jours. A l’exutoire, le risque chronique s’étend sur une période de 7 jours maximum (fig. 6A). Il reste toutefois pertinent de le considérer, car les tests écotoxicologiques sur les plantes durent en moyenne 7 jours, voire 3-4 jours pour les algues [3].
Pour les médicaments, la moyenne de l’ibuprofène crée un risque aux trois stations sur une grande partie, voir la totalité de la période d’échantillonnage. A l’embouchure, trois périodes de 14 jours obtiennent un RQC ≥ 1 avec un maximum de 3,5 (fig. 6A), correspondant à 2% d’espèces potentiellement affectés. La toxicité de l’ibuprofène montre des effets sur la vie et le développement de plusieurs espèces aquatiques [20]. Par exemple, les concentrations mesurées peuvent affecter des invertébrés, comme la survie de chironomes qui diminue déjà avec une exposition de 24 ng/l sur 48 h [21]. Le paracétamol, fréquemment observé au Flon, ne montre pas de risque en considérant une CQC de 46 µg/l proposée par le Centre Ecotox. Toutefois, en considérant une PNEC de 500 ng/l trouvée dans la littérature [22], il atteindrait une valeur de risque au Flon (RQC = 1,1). Il obtient également un PAF chronique d’environ 2% au maximum. De légères anomalies ont été observées dans le développement d’embryon de poisson à partir de 1000 ng/l [23], ce qui reste doublement au-dessus des concentrations mesurées. Ainsi, bien qu’il ne pose probablement pas de risque pour la Vuachère, il est peut être préférable de voir ses concentrations diminuer. Le diclofénac ne montre quant à lui pas de risque chronique au-delà de 3,5 jours.
Le perfluorooctanesulfonate (PFOS) à Valmont ressort également de l’analyse de risque (fig. 6A), avec une concentration moyenne plus élevée que la CQC du Centre Ecotox (2 ng/l). Celle-ci tient compte du risque d’empoisonnement secondaire des oiseaux et mammifères piscivores, ce qui explique sa faible valeur. Il y a ainsi un risque de bioaccumulation du PFOS dans les poissons. Une étude de la concentration dans des populations isolées de poissons pourrait donc être intéressante à cet endroit.
D’une manière générale, les mêmes substances ressortent de l’analyse de risque selon la méthode du quotient de risque ou avec les courbes SSD. Il est rassurant de constater que la plupart des substances avec un RQC entre 1 et 8 correspondent à un PAF en dessous des 2%. Elles ne devraient donc pas engendrer des changements dans l’écosystème en restant en dessous de la limite de 5%. Une différence entre les deux analyses apparait toutefois sur l’isoproturon, la caféine et l’atrazine déséthyl, avec un PAF également autour de 1,5% alors que leur RQC est bien plus petit que 1 (fig. 6). L’isoproturon à une CQC de 0,64 µg/l inscrite dans l’OEaux, qui correspond à un PAF de 11,3% sur sa courbe SSD. Ce CQC ne protège ainsi pas 95% des espèces selon la courbe SSD. La même constatation s’applique pour le diazinon avec une CQC de 12 ng/l qui correspond à un PAF de 6,2%. Cette discordance pourrait être expliquée par une utilisation plus exhaustive de données écotoxicologiques pour calculer la SSD de la substance, ou une qualité d’ajustement médiocre de la courbe statistique SSD sur les espèces les plus sensibles.
Pour finir, la figure 7 résume la qualité de l’eau selon les indicateurs de risque du mélange (RQAmix, RQCmix, msPAF) sur la période d’échantillonnage. Concernant le risque aigu, une qualité est suffisante la plupart du temps, sauf sur une courte période pour les invertébrés, expliqué par le pic ponctuel d’insecticides. Le risque chronique montre des classes de qualité moins bonnes particulièrement sur les plantes aquatiques et les invertébrés. Le pourcentage d’espèces potentiellement affectées par le mélange reste en dessous des 5%, hormis 2 fortes valeurs chroniques sur 14 jours. Il est important de préciser que tous les indicateurs du risque du mélange deviennent satisfaisants si l’on enlève les substances qui montrent déjà un risque, prises individuellement. Les substances à la figure 6 sont donc les principaux «drivers» de la toxicité, identifiées par l’analyse chimique et l’analyse écotoxicologique, selon les connaissances actuelles.
Les bioessais in-vivo réalisés sur une sélection d’échantillons, sur les embryons de poisson Zebrafish (test FET), ainsi que sur la reproduction et la mortalité des Ceriodaphnia dubia, n’ont pas décelé de toxicité. Cela reste cohérent avec l’analyse chimique. En effet, malgré la présence d’insecticides dans les échantillons testés, les concentrations n’atteignaient pas des valeurs dont on aurait pu s’attendre à voir des effets sur ces espèces par un test in-vivo.
Les tests CALUX® (ER-, Anti-AR-, Nrf2-, PXR-, PAH-CALUX) et «algues combiné» se sont montrés par contre plus réactifs aux échantillons. L’effet mesuré par chacun de ces tests est donné en une concentration équivalente d’une substance de référence, par exemple le 17β-estradiol pour l’ER-CALUX® (EEQ, ou plus généralement concentration équivalente bioanalytique, BEQ). La BEQ est définie comme la concentration de la substance de référence qui a le même effet que l’échantillon environnemental. Celle-ci peut ensuite être confrontée à des critères de qualité (seuils de risque) pour l’environnement (voir Kienle et al. 2023; [24] pour plus de détails).
Une inhibition modérée de la photosynthèse est observée dans deux échantillons de 14 jours, l’un à Denantou (embouchure) et l’autre à Valmont (fig. 8). Ce résultat est cohérent avec les RQCmix pour plantes calculés dans les échantillons testés, car ils sont les deux seuls à être ≥1 (1,3 et 1,6 resp.). La concentration équivalente en diuron (DEQ) mesurée par ce bioessai est d’ailleurs toujours proche de la concentration effective en diuron dans chaque échantillon.
Une bonne corrélation entre la concentration de DEQ du bioessai et celle calculée sur la base des résultats de l’analyse chimique a également été observée dans des études antérieures [25, 26]. Un risque d’inhibition de la photosynthèse et de la croissance des algues est donc avéré à ces deux stations, principalement dû au diuron. De plus, celui-ci montre une forte corrélation positive avec la quantité de pluie tombée pendant la période d’échantillonnage. Le risque d’inhibition peut ainsi surtout survenir lors des périodes pluvieuses.
Les concentrations équivalentes des substances, pour les différents effets mesurés par les tests CALUX® in-vitro, dépassent les seuils de protection des espèces dans plusieurs échantillons composites (fig. 8). Le stress oxydatif et la métabolisation des xénobiotiques (Nrf2- et PXR-CALUX®) sont particulièrement élevés comparés à d’autres évaluations en Suisse [27]. Il est malheureusement difficile d’identifier des groupes de substances responsables de ces deux effets, car ils peuvent être provoqués par de nombreux composés. Cependant, il est intéressant de constater que la mesure de l’effet œstrogénique (ER-CALUX®) est le seul test CALUX® à être inversement corrélé avec la quantité de pluie tombeé pendant la période de l’échantillonnage composite. En effet, la plupart des autres effets mesurés (stress oxydatif, métabolisation des xénobiotiques, réponse aux hydrocarbures aromatiques polycycliques) montre une corrélation positive avec la pluie. La valeur seuil de protection des organismes de l’effet œstrogénique n’est d’ailleurs dépassée que dans les échantillons composites pris par temps sec (fig. 8). Des substances dans les rejets d’eaux usées (comme le 17β-estradiol ou d’autres substances à activité œstrogénique, non recherchées lors de cette campagne) en sont peut être la cause, en se retrouvant plus concentrées par temps sec. La pluie permettrait de les diluer, mais entrainerait des substances qui amplifieraient les autres effets CALUX®. Le nombre d’échantillons est cependant un peu faible pour tenter de mettre en cause certaines substances par l’analyse statistique à partir des concentrations mesurées dans les échantillons composites.
Même si les tests in-vitro CALUX® sont encore difficilement interprétables en termes de risques et conséquences pour l’écosystème, leur sensibilité permet d’avoir des résultats qui peuvent être réévalués dans le futur et qui sont le reflet d’une certaine qualité de la rivière. Ils devraient montrer une amélioration par exemple avec la correction des rejets d’eaux usées dans la Vuachère.
On a détecté ainsi dans la Vuachère de nombreux micropolluants venant de rejets d’eaux usées ou transportés par le ruissellement de surface. L’estimation du rejet d’eaux usées a montré que celui-ci est plus conséquent dans son affluent, le Flon, mais que les concentrations étaient malgré tout souvent similaires en amont de la confluence (à Valmont), du fait d’un débit plus faible. Ces rejets engendrent un risque avec des substances, comme l’ibuprofène. De plus, ils sont soupçonnés de contenir des perturbateurs endocriniens de par les résultats des tests ER-CALUX®. Un risque est également estimé pour le diuron provenant du ruissellement des surfaces urbaines, et pour d’autres insecticides (diazinon, fipronil, chlorypyriphos, fenpropathrin) ponctuellement observés. Selon l’analyse par RQ et SSD, ces insecticides obtiennent d’ailleurs les risques les plus élevés en terme aigus, et également chroniques en prenant leur concentration moyenne. Cette étude pourra être réitérée dans plusieurs années, sur la même période, afin de vérifier si les indicateurs utilisés montrent une amélioration de la qualité du cours d’eau venant des remédiations et de l’élimination des rejets d’eaux usées. Il conviendra d’effectuer un échantillonnage composite par temps sec et de prendre en compte les quantités de pluie tombée lors des échantillonnages sur 14 jours à des fins de comparaisons.
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