Afin d’obtenir une vision détaillée de la qualité des cours d’eau lausannois, la Ville de Lausanne effectue depuis 2019 un monitoring pluridisciplinaire en 3 pôles: 1) biologie-macroinvertébrés 2) écomorphologie et 3) chimie de l’eau-nutriments issus de la méthode fédérale standardisée, le Système Modulaire Gradué (SMG; [1-3]). 22 stations de monitoring chimiques et 10 stations biologiques quadrillent la commune (fig. 1).
D’importants problèmes de qualité ont été décelés sur 3 des 6 bassins versants analysées: Vuachère, Louve et Chamberonne. Le bassin versant de la Chandelar montre également une contamination d’un de ses affluents: le Flon-Morand (tab. 1).
Ces cours d’eau, dont l’aire d’alimentation recouvre des zones urbanisées, présentent des concentrations en nutriments supérieures aux normes, ainsi que des taux élevés en cuivre et zinc. Une dégradation progressive de la qualité est également visible entre la tête du bassin versant et l’embouchure. Il s’agit d’une pollution typiquement «urbaine» induite par des dysfonctionnements sur le réseau d’évacuation des eaux usées, ainsi que du lessivage des routes et des toitures par les eaux de ruissèlement.
Les bassins versant du Talent et des sources de la Bressonne, situés en zone forestière, présentent une bonne qualité générale. Les concentrations élevées en carbone étant dues à des facteurs naturels et non à une contamination anthropique (décomposition de la matière organique).
En 2019, en complément au suivi du système modulaire gradué, l’analyse de 200 micropolluants organiques dans des prélèvements ponctuels a été effectuée. Ces micropolluants sont issus de l’activité domestique, industrielle ou agricole. Certaines de ces substances peuvent être considérées comme des traceurs d’eaux usées et la présence de composés habituellement très bien éliminés par une STEP permet même de différencier des pollutions aux eaux usées non traitées (tab. 2) [4, 5].
Un indicateur a été développé pour classer les cours d’eau lausannois en trois catégories selon l’importance des concentrations des traceurs d’eaux usées mesurés en 2019 (tab. 3).
Conformément aux résultats du SMG, les eaux usées non traitées se déversent plus régulièrement dans les cours d’eau situés en milieu urbain, soit où le réseau d’évacuation est dense: les bassins versants de la Vuachère, la Louve et de la Chamberonne, ainsi que le cours d’eau Flon-Morand. Dans le bassin versant de la Chamberonne, les concentrations des traceurs d’eau usés lié à un traitement de STEP sont plus élevées que les traceurs non traités. Ce résultat peut s’expliquer par la présence de deux rejets de STEP qui ne disposent pas de traitement complémentaire (quaternaire) pour le rabattement des micropolluants organiques [5].
Les eaux usées parviennent dans les cours d’eau lausannois par deux voies principales: les collecteurs enterrés dans le lit des cours d’eau et les exutoires d’eaux claires. Les inversions de raccordements et toutes autres connexions entre les eaux claires et les eaux usées dans le système d’évacuation peuvent impliquer des déversements d’eaux usées dans le milieu naturel via les exutoires d’eaux claires. Parmi ces pollutions, les plus graves, pour le milieu aquatique, semblent être les pollutions qui se produisent en continu et qui ne sont pas diluées par les eaux de pluie. L’impact est particulièrement important à l’étiage et sur les petits cours d’eau. La méthode présentée dans le chapitre suivant cible ce type de pollution dans les exutoires d’eaux claires.
Il a été relevé sur le territoire lausannois 765 exutoires d’eaux claires présentant un risque potentiel de contamination par des eaux usées. La Vuachère comprend le plus grand nombre d’exutoires recensés par kilomètre linéaire (16) suivi de la Chamberonne (11) (fig. 2).
La recherche des pollutions sur le réseau d’eaux claires étant chronophage et coûteuse (passage caméra, fouilles, tests avec des colorants, etc.), une méthode rapide et standardisée de détection des pollutions a été mise en place directement aux exutoires d’eaux claires dans les cours d’eau. Elle permet de cibler les exutoires pollués et de concentrer l’inspection des canalisations sur les conduites des bassins versants problématiques. Ainsi, les exutoires fonctionnels sont rapidement écartés, sans frais d’analyses chimiques. Ce procédé demande peu de matériel, ce qui en fait une méthode facilement
reproductible à grande échelle et à moindre coûts.
L’évaluation des exutoires d’eaux claires doit ĂŞtre effectuĂ©e par temps sec (au minimum 72 h sans intempĂ©rie) afin que les eaux de pluie aient Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©es du rĂ©seau. Les exutoires inaccessibles Ă pied ou immergĂ©s dans les cours d’eau ne peuvent ĂŞtre Ă©valuĂ©s par cette mĂ©thode. Sur place, les exutoires rejetant de grandes quantitĂ©s d’eaux usĂ©es en continu peuvent ĂŞtre Ă©valuĂ©s comme polluĂ©s par une simple obserÂvation organoleptique (fig. 3).
La méthode comporte trois grandes étapes (fig. 4):
En détail, la première étape consiste à déceler ou non la présence d’un écoulement d’eau à l’exutoire par temps sec. Le réseau d’évacuation des eaux claires sert à évacuer les eaux de ruissèlement, il est normalement uniquement actif pendant et jusqu’à 3 jours après un épisode pluvieux.
Certains exutoires peuvent avoir un Ă©couleÂment continu, y compris par temps sec (raccordement Ă une nappe phrĂ©atique, arrosage de jardins ou un rĂ©seau profond de drainage). Pour ces exutoires, il est prĂ©fĂ©rable d’attendre un maximum de jours sans intempĂ©rie avant d’effectuer un prĂ©lèvement. Les rĂ©sultats d’analyse permettront potentiellement d’écarter la prĂ©sence d’eaux usĂ©es Ă l’exutoire (fig. 5).
Les exutoires observĂ©s sans Ă©coulement d’eau par temps sec sont Ă©quipĂ©s de deux dispositifs. Ces dispositifs dĂ©tectent facileÂment et sans surveillance humaine en continu tous Ă©coulements d’eau Ă l’exutoire durant la pĂ©riode d’observation. Les dispositifs doivent rester sur place 4 jours minimum et de prĂ©fĂ©rence sur un weekend (utilisation plus rĂ©gulière des appareils sanitaires privĂ©s).
Le premier dispositif se compose d’une éponge compressée, coupée en carrée de 2 cm2. Elle est retenue dans la conduite par un fil de nylon. La taille des éponges se décuple en cas de contact avec un liquide et celles-ci conservent définitivement leur nouvelle forme même en cas d’assèchement postérieur à l’écoulement. Cet outil peut être placé dans les exutoires secs mais ne peut pas être utilisé en cas d’humidité résiduelle dans la conduite, car l’éponge absorberait instantanément l’eau lors de la pose. Le résultat obtenu serait alors un faux positif, n’indiquant pas de réel écoulement d’eau. Dans ce cas, un deuxième dispositif a été imaginé, constitué d’une demi-sphère en polystyrène de 5 cm diamètre attachée par un fil de nylon non tendu. Lorsqu’il y a un écoulement d’eau, le polystyrène est emporté en dehors de la conduite et est retenu par le fil de nylon. Son déplacement indique dès lors qu’il y a eu un potentiel écoulement d’eaux usées pendant la période sèche de monitoring. Il peut être placé dans les conduites humides ou en pente faible (fig. 6 et 7). L’emploi des deux dispositifs simultanés a aussi souvent été utilisé pour plus de confiance dans l’évaluation.
Des évènements extérieures pouvant interférer le résultat des tests, leur interprétation nécessite une attention particulière. Ainsi, les dispositifs peuvent être endommagés ou déplacés hors de l’exutoire par des rongeurs. Un appel d’air dans la conduite peut également pousser les tests à l’extérieur. En cas de doute, il est préférable de réitérer ceux-ci.
Lors des relevés, si aucune réaction des deux dispositifs n’est constatée, l’exutoire est considéré comme n’étant pas pollué. En cas de résultat positif des tests, il est nécessaire de prévoir un moyen permettant de récupérer à tout moment un échantillon des écoulements constatés. En effet, le prélèvement permet de définir la nature de l’écoulement, mais il n’est pas possible de prévoir quand celui-ci aura lieu. Cet échantillonnage doit également être effectué par temps sec (contigu ou non aux dispositifs de détection). Pour ce faire, une bouteille en verre d’un litre est placée à l’exutoire et laissée au minimum 4 jours, de préférence un weekend, afin de récolter de l’eau. Selon la configuration de chaque conduite, des rampes en plexiglas ont été placée «en entonnoir» afin de faciliter la collecte d’eau (fig. 8).
L’analyse des micropolluants sur les Ă©chantillons prĂ©levĂ©s s’appuie principaleÂment sur des substances identifiĂ©es comme traceurs d’eaux usĂ©es: pesticides/biocides, produits pharmaceutiques, anticorrosifs, additifs industriels, Ă©dulcorants de synthèse et cafĂ©ine. Une concentration Ă©levĂ©e d’une ou plusieurs de ces substances attestent de la prĂ©sence d’eaux usĂ©es dans les eaux claires. En cas de trop faible charge en micropolluants, la pollution par les eaux usĂ©es ne peut ĂŞtre affirmĂ©e et un nouveau prĂ©lèvement doit alors ĂŞtre rĂ©alisĂ©.
Entre 2020 et 2021, la méthode décrite au chapitre précédent a été appliquée sur 3 cours d’eau lausannois: la Vuachère et le Flon (bassin versant de la Vuachère) ainsi que la Mèbre (bassin versant de la Chamberonne). Ces cours d’eau ont été sélectionnés en priorité car ils sont fortement pollués par des eaux usées et présentent les plus importantes densités d’exutoires par kilomètre/linéaire facilement parcourables à pied. Ces caractéristiques permettaient de tester la méthode sur un grand nombre d’exutoires. Sur les 242 exutoires d’eaux claires rejetant potentiellement des eaux usées sur la Vuachère, 154 ont été investigués. Selon les observations ou les analyses, 64 d’entre eux déversent des eaux usées dans le cours d’eau et sont donc considérés comme pollués (fig. 9). À l’inverse, 75 ont été déterminé comme non pollué, soit par les dispositifs (41), soit par l’absence de traceurs d’eaux usées dans les analyses (34). Certains exutoires (15) n’ont pas pu être évalués par cette méthode car ils étaient inaccessibles ou immergés dans les cours d’eau.
En ce qui concerne les deux autres rivières investigués, la proportion d’exutoires pollués par les eaux usées semble moins importante que sur la Vuachère. Sur le Flon, seulement 6 exutoires sur les 32 investigués ont montré une pollution et la Mèbre n’en a enregistrés que 6 sur 41 prospectés. Ces résultats peuvent s’expliquer par une plus faible densité urbaine autour de ces rivières.
Un total de 149 molécules ont été recherchées dans les échantillons prélevés dans des exutoires d’eaux claires: 101 pesticides/biocides, 38 substances pharmaceutiques, 8 autres substances à usages domestiques (additifs industriels, édulcorants de synthèse, caféine) et 1 anticorrosif avec son métabolite. Parmi celles-ci, les traceurs d’eaux usées regroupent 45 substances: médicaments, sucres de synthèse, bisphenol A et S, caféine et DEET (répulsif contre les insectes).
Les traceurs d’eaux usées présents dans les prélèvements des exutoires considérés comme «pollué» étaient proches de 1000 ng/l en moyenne. Dans les échantillons d’eau prélevés aux exutoires classés comme «non pollué», les traceurs d’eaux usées sont régulièrement détectés à des concentrations bien plus faibles, de l’ordre de 30 ng/l en moyenne (fig. 10). Ainsi, les produits pharmaceutiques et autres produits à usage domestique montrent de grande différence en concentration entre les eaux pollués et non pollués, à l’inverse des pesticides sont présents dans les mêmes gammes de concentrations.
Sur les 45 traceurs d’eaux usées, 21 sont quantifiés régulièrement dans les échantillons pollués et représentent la grande majorité des substances détectées (fig. 11). Ainsi, l’acésulfame K, la saccharine, le cyclamate, la metformine, la caféine, le DEET, le sucralose, le paracétamol, le diclofénac et l’hydrochlorothiazide sont quantifiés dans plus de 50% de ces échantillons et dans des concentrations minimales de 250 ng/l en moyenne (fig. 11A). Les échantillons que l’on peut considérer comme «non pollué» montrent une fréquence de quantification en traceurs d’eaux usées nettement inférieure (fig. 11B). En effet, le premier traceur d’eaux usées le plus fréquemment quantifié est l’acesulfame K avec une présence dans 67% des échantillons (respectivement dans 98% des échantillons «pollué») et avec des concentrations nettement inférieures (fig. 11B). Les pesticides apparaissent désormais comme la classe la plus présente dans les échantillons «non pollué».
La problématique du déversement d’eaux usées directement dans les eaux claires représente une part importante de la pollution se retrouvant dans les rivières traversant la Ville de Lausanne. Celle-ci est d’autant plus inquiétante qu’elle représente un déversement d’eaux usées directement dans les rivières sans passer par une station d’épuration. Ces rejets mettent potentiellement en danger la faune et la flore de ces petits cours d’eau.
L’étude menĂ©e par le Service de l’eau a permis de mettre au point une mĂ©thodologie afin d’identifier et de caractĂ©Âriser les exutoires d’eaux claires situĂ©s le long des rivières. En effet, il n’est pas Ă©vident de prime abord de savoir si un exutoire rejette des eaux usĂ©es par intermittence dans le cours d’eau. Les dispositifs simples et peu couteux imaginĂ©s permettent ainsi d’indiquer la prĂ©sence ou non de dĂ©versements aux exutoires lors de pĂ©riodes sèches. Ensuite, l’analyse des traceurs d’eaux usĂ©es dans un Ă©chantillon pris sur ces dĂ©versements permet, quant Ă elle, de s’assurer de la prĂ©sence d’eaux usĂ©es dans les rejets et de classer un exutoire comme dĂ©finitivement polluĂ©.
Toutefois, la méthode peut présenter certaines limites. Il est nécessaire qu’une période de 7 jours consécutifs minimum sans pluie se présente pour appliquer la méthode avec les dispositifs de détection. De plus, la dilution des eaux usées par des eaux claires ponctuels (arrosage, sources, drains) peut rendre difficile le classement de l’exutoire lorsque l’échantillon montre un grand nombre de traceurs d’eaux usées à faible concentration. Il est alors nécessaire de répéter l’échantillonnage jusqu’à obtenir un résultat déterminant.
Les résultats ont permis d’identifier de nombreux exutoires rejetant des eaux usées et d’identifier des zones à prioriser pour des futures actions d’assainissement afin d’améliorer la qualité des rivières de Lausanne. En effet, pour stopper ces rejets d’eaux usées il sera encore nécessaire d’en connaître la source afin de corriger un mauvais branchement ou de réparer la fuite d’une canalisation en mauvais état
[1] OFEV (éd.). (2019): Méthodes d’analyse et d’appréciation des cours d’eau (IBCH_2019). Macrozoobenthos – niveau R. 1ère édition actualisée 2019; 1ère édition 2010. Office fédéral de l’environnement, Berne. L’environnement pratique no 1026: 58 p.
[2] Zeh Weissmann, H.; Könitzer, C.; Bertiller, A. (2009): Ecomorphologie des cours d’eau suisses. Etat du lit, des berges et des rives. Résultats des relevés écomorphologiques. Office fédéral de l’environnement, Berne. État de l’environnement no 0926: p. 100
[3] Liechti, P. (2010): Méthodes d’analyse et d’appréciation des cours d’eau. Analyses physico-chimiques, nutriments. Office fédéral de l’environnement, Berne. L’environnement pratique n°1005: 44 p.
[4] Götz, C. W.; Kase, R.; Hollender, J. (2011): Micropolluants – Système d’évaluation de la qualité des eaux au vu des composés traces organiques issus de l’assainissement communal. Étude réalisée sur mandat de l’OFEV, Eawag, Dübendorf
[5] DGE & DIREV (2018): Bilan 2018 de l’épuration vaudoise. Etat de Vaud, 70 p. https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/environnement/eau/fichiers_pdf/DIREV_PRE/Bilans_2018_de_l_%C3%A9puration_vaudoise.pdf
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