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Article technique
22. novembre 2018

Interview

«La présence de nitrates dans l’eau potable reste un problème!»

Les médias se focalisent actuellement sur la pollution des eaux et de l’environnement par les substances actives des produits phytosanitaires et leurs métabolites. Mais les nitrates restent un sujet tout aussi important dans de nombreuses régions en ce qui concerne les ressources en eau potable. André Olschewski, responsable du secteur Eau à la SSIGE, répond à nos questions sur la situation actuelle en Suisse.

On parle en ce moment beaucoup de la présence de produits phytosanitaires dans les eaux. Est-ce que la présence de nitrates dans les eaux souterraines est un problème nouveau en Suisse?

Non, la pollution en nitrates des eaux souterraines est malheureusement un problème connu de longue date des distributeurs d’eau et il concerne également une grande partie du pays. Depuis des années, on trouve dans les eaux souterraines non seulement des produits phytosanitaires et leurs métabolites, mais aussi des nitrates à des concentrations élevées. En 2013, sur près de 45% des points de mesure de l’Observatoire national des eaux souterraines de la Confédération dans les zones cultivées, la concentration en nitrates des eaux souterraines était largement supérieure à la valeur limite de 25 milligrammes/litre. Cette exigence a été définie dans l’ordonnance sur la protection des eaux à titre préventif.

Sur 13% des points de mesure, il a même été possible de mettre en évidence des concentrations supérieures à 40 mg/l dans les eaux souterraines. Grâce à des actions menées dans le domaine de l’agriculture, les mesures réalisées à certains points affichent ces dernières années une tendance à la baisse, mais il reste beaucoup à faire.

Existe-t-il des différences régionales? Et l’agriculture est-elle toujours la coupable?

Oui, il existe des différences entre les régions de Suisse. On constate les valeurs les plus élevées dans les zones où l’activité agricole est la plus forte, principalement dans la région du Plateau, où se trouvent également les principaux aquifères qui revêtent une importance primordiale pour l’approvisionnement en eau potable. Il s’agit d’un conflit d’intérêts classique.

L’agriculture joue un rôle prépondérant dans la pollution en produits azotés du sous-sol, avec des apports importants d’engrais.

Connaissez-vous des exemples qui ont également été relatés dans les médias? 

Il existe quelques exemples: les «Kreuzlinger Nachrichten» s’est par exemple récemment interrogé pour savoir «Combien de fumier y a-t-il dans notre eau?». Les «Freiburger Nachrichten» a rapporté un projet de protection contre les nitrates à Cormondes, l’«Aargauer Zeitung» s’attaque au thème de la «Concentration en nitrates trop élevée à Wohlen» ou encore la chaîne de télévision SRF a présenté un projet de protection contre les nitrates à Birrfeld dans le canton d’Argovie et s’est posé de manière générale la question de savoir s’il y avait «Trop d’engrais dans notre eau potable?». 

Dans quelle mesure la présence de nitrates dans les eaux souterraines est-elle problématique pour la qualité et l’approvisionnement en eau potable?

L’eau potable est une denrée alimentaire qui doit, en tant que telle, répondre aux exigences de l’Ordonnance du Département fédéral de l’intérieur (DFI) sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD). Définie sur la base de critères de toxicologie humaine, la valeur limite pour les nitrates est de 40 mg/l pour l’eau potable. Cela signifie que si celle-ci est dépassée, l’eau ne doit plus être fournie au client comme eau potable. Mais les processus physico-chimiques étant très lents dans les sols, une pollution des eaux souterraines évolue progressivement.

Une fois que les eaux souterraines de l’aire d’alimentation d’un captage d’eau sont polluées avec des taux de nitrates importants, la pollution perdurera des années, voire des décennies et aura un impact durable sur l’approvisionnement en eau. Si la gestion de l’aire d’alimentation change et s’intensifie, les concentrations peuvent même continuer à augmenter.

Les distributeurs d’eau n’ayant pas d’alternative devraient donc interrompre leur activité?

Exactement! Pour les distributeurs n’ayant pas de source alternative, ceci impliquerait une interruption de leurs prestations. Pour les responsables communaux, la mise en application de cette mesure serait également un scénario catastrophe au niveau politique!

Qu’en est-il des possibilités de (re)traitement des eaux?

D’un point de vue technique, un traitement est possible, mais il est complexe et onéreux. Selon des études menées en Allemagne, un traitement ultérieur aurait une répercussion pouvant aller jusqu’à 60% de surcoût sur les prix de l’eau. Les mesures «end of pipe» telles qu’un traitement de l’eau sont des mesures d’urgence auxquelles il ne faut avoir recours que dans des situations exceptionnelles. Dans un esprit de développement durable et d’interdiction de polluer, il faut donc impérativement renforcer la prévention.

S’il n’est pas envisageable de traiter l’eau, il existe d’autres options et variantes.

Lesquelles? Et dans quels cas?

Il est possible de mélanger des eaux issues de différentes sources, d’utiliser de l’eau de distributeurs voisins ou de créer un nouveau captage à un endroit approprié, mais les sites adaptés se font de plus en plus rares. En outre, ces options sont relativement onéreuses.

Combien de captages d’eau sont effectivement concernés en Suisse par des concentrations en nitrates élevées? Et a-t-il déjà fallu fermer des captages en raison de problèmes de nitrates dans un passé récent?

Il n’existe pour l’heure pas de collecte centralisée des données relatives aux captages sensiblement touchés par les nitrates. Ces données ne sont disponibles qu’au niveau cantonal. Une recherche simple dans les communiqués de presse récents a cependant permis de dresser un constat alarmant: les eaux souterraines sont non seulement considérablement polluées par des nitrates en de nombreux endroits, mais beaucoup de captages ont également dû être fermés au cours des dix dernières années en raison de cette pollution, et ce sera encore le cas à l’avenir.

Dans quelle région de Suisse?

C’est principalement le Plateau qui est concerné, où l’agriculture est très présente. Ce phénomène ne touche pas que les petites communes rurales mais aussi les distributeurs de taille moyenne, comme à Worb dans le canton de Berne, à Wohlen en Argovie ou à Morat dans le canton de Fribourg. Ils sont tous touchés par des concentrations en nitrates trop élevées, de sorte que les captages ont été suspendus ou sont sur le point de l’être.

Est-ce que nous dramatisons, ou la situation est-elle vraiment problématique?

Il s’agit d’une situation réellement problématique. En raison de ces pollutions, il va falloir planifier et créer de nombreux captages d’eau, ce qui implique des investissements se chiffrant à plusieurs millions de francs, ou il faudra trouver et étudier de nouvelles solutions d’associations. Malheureusement, en de nombreux endroits, les sites appropriés ne sont plus disponibles en raison de l’extension des zones urbanisées et des voies de communication. Outre la pollution des eaux souterraines en nitrates, nous sommes également confrontés au problème de ne pas avoir suffisamment planifié la protection des captages d’eau.

Avez-vous des exemples en la matière?

Oui, il existe un cas complexe de pollution massive aux nitrates dans la région occidentale du Gäu soleurois jusqu’à la frontière avec le canton de Berne, où la production maraîchère est intensive. Le captage de Niederbipp a dû être suspendu il a des années en raison de concentrations en nitrates trop élevées. La distribution d’eau est assurée depuis grâce à l’approvisionnement en eau de la station de pompage de Moos à Oensingen.

Et cela a fonctionné?

Très bien jusqu’à présent. Mais les projets de construction à Oensingen obligent maintenant à fermer la station de captage de Moos. Et comme les sites adaptés manquent dans cette localité, la recherche d’une solution de remplacement représente un véritable défi pour la commune d’Oensingen. La pression est encore plus forte pour Niederbipp.

Comment les distributeurs d’eau doivent-ils aborder ces problématiques complexes?

Les distributeurs d’eau, en tant qu’entreprises du secteur alimentaire, devront également réaliser à l’avenir des autocontrôles dans le cadre d’une approche basée sur les risques, conformément à la loi. Il faudra tenir compte de tous les risques, y compris dans la zone de protection et l’aire d’alimentation. Il est donc à prévoir que les distributeurs d’eau soient à l’avenir plus fréquemment confrontés aux risques liés aux pollutions des aires d’alimentation. La question de la sécurité de l’alimentation devra être abordée dans le cadre du Plan général d’alimentation en eau, le PGA. Jusqu’à présent, l’obligation d’élaborer un PGA ou une planification de l’alimentation en eau potable régionale n’est pas ancrée au niveau fédéral, mais uniquement dans certains cantons.Iil sera impératif de combler ces lacunes face à une augmentation des épisodes de sécheresse en été.

Comment envisagez-vous l’avenir des distributeurs d’eau en Suisse?

De manière générale, on peut affirmer que la qualité de l’eau potable est très bonne en Suisse, mais que les ressources en eau potable sont localement polluées par des substances indésirables. Les produits phytosanitaires et les nitrates sont des groupes de substances dont nous connaissons relativement bien la source et pour lesquels nous pouvons prendre des mesures. Ceci concerne avant tout l’agriculture, mais aussi les jardins privés et la gestion des espaces publics et des talus le long des voies de communication. Les processus se déroulant sur une longue période dans les eaux souterraines, nous devons impérativement prendre les mesures nécessaires tout de suite et les mettre en œuvre de manière conséquente.

Les exemples évoqués montrent clairement que ce serait manquer de clairvoyance de ne pas aborder la problématique des substances étrangères telles que les nitrates dans les eaux sur le long terme. Si nous voulons réellement laisser une alimentation en eau durable aux générations futures, permettant d’obtenir de l’eau potable à partir de ressources quasiment naturelles, nous devons mettre en place, avec une efficacité plus grande que jamais, une protection préventive des ressources et une certaine sécurité de la planification, au titre du principe de précaution. Pour davantage d’efficacité, la SSIGE exige donc une protection renforcée des ressources en eau potable et la planification obligatoire de la sécurisation des alimentations en eau potable en Suisse.

Nitrates dans les eaux souterraines

Vous trouverez ici de plus amples informations sur les nitrates dans les eaux souterraines et les stations de mesure dans le cadre de l’Observation nationale des eaux souterraines de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV)!

 

 

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