Monsieur Van Beurden, FluxSwiss fait partie du groupe Fluxys. Quelles sont les activités de ce groupe?
Fluxys est un groupe d’infrastructures énergétiques totalement indépendant dont le Siège social se situe en Belgique et qui compte mille trois cents employés actifs dans le transport et le stockage de gaz ainsi que dans le terminalling de gaz naturel liquéfié. Nous opérons en Europe et développons des activités en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Là où le marché est prêt à franchir le pas, en tant qu’entreprise d’infrastructures gazières, nous nous tenons également prêts pour réaliser la transition vers un avenir énergétique hybride dans lequel des molécules neutres en carbone comme l’hydrogène et de l’électricité renouvelable jouent un rôle complémentaire dans le système énergétique.
... et quelles sont les tâches de FluxSwiss?
FluxSwiss est un gestionnaire de réseau de transport dans le gazoduc Transitgas, commercialisant environ quatre-vingt-dix pour cent de la capacité technique du système Transitgas pour les flux de gaz de frontière à frontière. Nous combinons notre expertise avec une interaction étroite avec nos clients pour leurs approvisionnements en Italie ou en Europe du Nord-Ouest. En tant qu’entreprise du groupe Fluxys, nous voulons contribuer à un avenir énergétique durable.
«Comprendre le marché est devenu encore plus complexe: […] il n’y a plus de corrélation claire entre un événement unique et les modèles de flux d’énergie à travers l’Europe.»
Depuis 2018, le système Transitgas constitue une connexion bidirectionnelle avec des flux de gaz du nord au sud ainsi que du sud au nord. Depuis l’introduction du flux inverse par les gazoducs de Transitgas: quelle est la direction habituelle des flux de gaz et combien de fois y a-t-il eu des situations de flux inverse?
Dans le passé la direction habituelle était du nord au sud. La direction du flux est principalement déterminée par les différences de prix entre le marché allemand et le marché italien. Dans le passé, et surtout depuis fin 2021, nous avons occasionnellement constaté des périodes pendant lesquelles le flux s’est inversé. Ce que nous réserve l’avenir est pour l’instant très difficile à prévoir, car cela dépendra de l’évolution du marché du gaz en Europe dans les mois et les années à venir.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, peut-on observer des changements significatifs dans les flux de gaz dans le système Transitgas?
Le marché du gaz a été bouleversé. En général une grande partie des flux se sont inversés en Europe. Dans le passé on observait surtout des flux est–ouest, tandis que maintenant il y a surtout des flux ouest–est. En ce qui concerne la Suisse et le système Transitgas nous avons observé un grand intérêt pour pouvoir importer du gaz venant de la France (car relié à des terminaux GNL), tandis que historiquement la source primaire d’importation était l’Allemagne. La comparaison des flux de cette année avec ceux de l’année dernière ne peut toutefois fournir aucune indication utile pour le futur car nous étions encore dans une année Covid en 2021. Nous pouvons seulement dire que le marché dans son ensemble se porte bien car les flux d’énergie réagissent de manière appropriée aux signaux du marché, comme en juillet 2022, lorsqu’il y avait des flux d’énergie élevés de l’Allemagne vers l’Italie.
Comprendre le marché est devenu encore plus complexe: Le mélange de paramètres qui ont changé par rapport aux années précédentes est varié, il n’y a donc pas de corrélation claire entre un événement unique et les modèles de flux d’énergie à travers l’Europe. Les éléments décisifs sont la disponibilité du GNL et du gaz russe, le fait que davantage de gaz provenait d’Afrique du Nord et un profil de température différent pour n’en nommer que quelques-uns.
Outre la crise énergétique due à la guerre en Ukraine, la transformation du système énergétique est également à l’ordre du jour, et l’hydrogène y jouera un rôle décisif, comme en a fait preuve le «European Green Deal» de l’UE. Quelles sont les activités en cours dans l’UE pour créer les conditions-cadres nécessaires à la mise en place d’une économie de l’hydrogène?
En mai 2022, la Commission a proposé de réduire rapidement la dépendance vis-à -vis des combustibles fossiles russes et d’accélérer la décarbonation: grâce aux économies d’énergie, à la diversification de l’approvisionnement et au soutien aux partenaires internationaux, à la promotion des importations de GNL, à un mécanisme d’approvisionnement conjoint et à une stratégie énergétique extérieure de l’UE. Ensuite, il y a la stratégie solaire de l’UE, l’homologation simplifiée des pompes à chaleur, etc. Le point central est que les objectifs de production d’hydrogène ont également été massivement augmentés: dix millions de tonnes – trois virgule quatre millions de tonnes de plus – pour la production nationale d’hydrogène renouvelable ainsi que dix millions de tonnes pour l’importation d’hydrogène vert et trente-cinq giga mètres cubes par an de production nationale de biométhane.
Que s’est-il passé au niveau juridique?
En résumé: le cadre juridique de l’hydrogène renouvelable a été finalisé, et devrait s’appliquer à la fois à l’hydrogène domestique et importé. En outre, il a été décidé que d’ici 2030, le RFNBO – c’est-à -dire les carburants renouvelables d’origine non biologique, qui est principalement de l’hydrogène renouvelable – devra représenter soixante-quinze pour cent de la consommation mondiale d’hydrogène dans l’industrie; au lieu de cinquante pour cent comme prévu dans le cadre du package «Fit for 55». D’ici 2030, les RFNBO devraient également représenter cinq pour cent des carburants de transport, au lieu de deux virgule six pour cent dans le «Fit for 55».
Ce nouveau volume de gaz nécessite-t-il également une nouvelle infrastructure?
Trois corridors hydrogène prioritaires depuis les pays tiers, dont la Méditerranée, ont été identifiés. La Commission estime les besoins d’investissement dans les infrastructures hydrogène à soixante-quinze milliards d’euros pour les électrolyseurs d’ici 2030, vingt-huit à trente-huit milliards d’euros pour les gazoducs intra-UE et six à onze milliards d’euros pour le stockage. Les coûts des terminaux d’importation et des pipelines externes ne sont pas quantifiés.
«L’UE ne sera pas en mesure de produire une part très importante de l’hydrogène vert dont elle aura besoin à moyen et à long terme au niveau national.»
Où seront produites de grandes quantités d’hydrogène vert à l’avenir?
Il existe un consensus croissant sur le fait que l’UE ne sera pas en mesure de produire une part très importante de l’hydrogène vert dont elle aura besoin à moyen et à long terme au niveau national – tant en termes de capacité physique que de coût. La croissance de l’offre à court terme, jusque 2026 environ, sera cependant principalement produite dans l’UE. On comprend donc de plus en plus que l’UE devra importer la plupart de ses besoins en hydrogène vert à moyen et à long terme. La source la plus logique et la plus compétitive d’hydrogène vert pour l’Europe est via des pipelines depuis l’Afrique du Nord.
Quels sont les itinéraires envisageables pour le transport de l’hydrogène vers les consommateurs? Quels sont les avantages et les inconvénients de ces itinéraires?
Il existe deux voies d’importation possibles de l’Afrique du Nord vers l’Europe du Nord-Ouest, la première via l'Espagne et la seconde via l'Italie. Cependant, entre l’Espagne et la France, il existe actuellement des restrictions de capacité de transport. De l’Italie à l’Europe centrale et occidentale – principal centre de demande de l’UE – la route suisse est la plus courte et la plus logique. Alors la conclusion inévitable est que des quantités très importantes d’hydrogène renouvelable devront aussi transiter par la Suisse. Il existe d’importantes incertitudes concernant les quantités exactes et le moment de ce transit, mais la tendance est très claire.
FluxSwiss est membre de l’initiative «European Hydrogen Backbone», qui développe des visions pour un futur système de transport d’hydrogène européen. Quelle est la structure actuellement proposée pour le backbone? Comment et quand la Suisse sera-t-elle intégrée dans le contexte de cette infrastructure?
Dans le plan actuel de «Backbone», la Suisse apparait seulement en 2040. Nous pensons que ce serait plutôt vers 2035 qu’il y aura un besoin d’avoir une connexion vers les pays adjacents. Il est à noter qu’une connexion vers l’Autriche aussi est déjà prévu en 2030.
Quels sont les efforts nécessaires de la part de la Suisse pour ne pas rester à l’écart de l’hydrogène et pour être intégrée dans un futur système européen d’hydrogène?
La Suisse doit développer dès que possible sa propre stratégie suisse de l’hydrogène et plus précisément en pleine consultation et collaboration avec les parties prenantes, y compris les acteurs régionaux suisses. Il s’agit des aspects internes et transitoires d’un réseau d’hydrogène. Dans cette «Swiss Hydrogen Strategy», la Suisse pourrait s’engager à faire partie du vaste marché européen de l’hydrogène. Elle pourrait notamment s’engager à faciliter le déploiement du réseau hydrogène propre via des accords intergouvernementaux afin de sécuriser le transit à travers la Suisse.
«La Suisse doit développer dès que possible sa propre stratégie suisse de l’hydrogène et plus précisément en pleine consultation et collaboration avec les parties prenantes.»
Qu’en est-il du point de vue technique? Le système Transitgas est-il prêt pour l’hydrogène?
Le système Transitgas peut être converti pour le transport d’hydrogène. En ce qui concerne les tuyaux, ils sont compatibles pour le transport d’hydrogène. Une étude est en cours pour déterminer les conditions techniques, c’est-à -dire le niveau de pression, les capacités, etc. Il y aura quand-même certains investissements à faire au niveau des compresseurs à Ruswil et des vannes. Le grand avantage est que le système actuel pourra être utilisé, moyennant certaines adaptations, pour le transport futur d’hydrogène ce qui réduira considérablement les coûts d’investissement pour faire partie du marché européen d’hydrogène.
Quels efforts techniques sont nécessaires dans l’ensemble pour ne pas manquer l’intégration de la Suisse dans le «European Hydrogen Backbone» visé et dans une infrastructure
européenne de l’hydrogène?
Il faudra d’abord finaliser l’étude sur les scenarios de transition afin de pouvoir présenter un plan concret de transition. Il sera alors important de trouver des solutions pour le financement des investissements étant donné que le marché doit encore se développer ce qui implique que pendant une phase initiale ce sera difficile de récupérer les coûts d’investissement avec des tarifs compétitifs.
Et qu’en est-il du gaz CO2? Faut-il envisager un système de CO2 en plus de la construction ou de la transformation d’une infrastructure d’hydrogène?
Actuellement, on ne sait pas encore comment l’UE va s’organiser, étant donné que le développement d’un marché de l’hydrogène est prioritaire pour le moment. Il reste donc à voir quelle partie de l’infrastructure gazière sera convertie pour le transport de l’hydrogène et quelle partie sera disponible pour le transport de CO2 en sachant qu’à long terme il y aura aussi un besoin de transporter le CO2 à travers l’Europe vers des sites de stockage ou de traitement de CO2 (pour être ré-utilisé).
Quels sont vos demandes à la politique en Suisse et dans l’UE afin de faire avancer la transformation nécessaire du secteur gazier et de garantir la sécurité de l’approvisionnement?
Il est peu probable que la Suisse ait besoin, pour ses propres usages industriels ou énergétiques, d’énormes quantités d’hydrogène renouvelable ou décarboné à court ou moyen terme. Un couplage tardif au marché de l’hydrogène de l’UE peut avoir des effets négatifs sur la position concurrentielle de l’industrie suisse, par rapport à la production de produits neutres en CO2. Compte tenu des utilisations prévues dans l’UE, le transit de l’hydrogène entre le nord et le sud de l’Europe constituera le principal défi et la principale opportunité pour la Suisse. Concernant la voie de transit privilégiée: Il est important pour la Suisse «d’occuper le territoire» et d’avoir le bon timing en ligne avec les développements dans l’UE. C’est pourquoi il est si important que la Suisse se dote rapidement d’une stratégie pour l’hydrogène et crée le cadre nécessaire pour faciliter les investissements nécessaires.
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Après avoir travaillé de nombreuses années chez Fluxys, un gestionnaire du service de transport de gaz belge, Rudy Van Beurden est Senior Vice President Public Affairs chez FluxSwiss depuis février 2020. Il s’engage également auprès de l’International Gas Union (IGU), où il est actuellement vice-président du comité Transport.
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