Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
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04. juin 2024

Interview avec Jacques Brera

«Couplage des secteurs par les personnes travaillant sur les infrastructures»

Avec plus de 18'000 habitants, Morges, située au bord du Léman, fait partie des 10 plus grandes communes du canton de Vaud. Les Services industriels s’occupent de l’approvisionnement de la population en eau potable et en gaz. Les défis auxquels ils sont confrontés sont similaires à ceux d’autres entreprises d’approvisionnement suisses: Il s’agit entre autres de défossiliser la fourniture de chaleur pour les bâtiments et de trouver également des solutions aux problèmes quantitatifs et qualitatifs dans le domaine de l’eau potable. Jacques Brera, Chef de service Infrastructures, explique dans l’interview comment ces défis sont abordés à Morges et comment les dispositions sont prises pour un approvisionnement futur sûr et durable.
Margarete Bucheli 

Que fournissent actuellement les Services industriels de la Ville de Morges à leurs clients? Comment se présentent les infrastructures utilisées à cet effet?

Historiquement, les Services industriels de Morges distribuent de l’eau potable et du gaz naturel. Ils éclairent également les rues et les espaces publics de la ville. Par conséquent, ils entretiennent l’ensemble des réseaux de gaz naturel, d’éclairage public et d’eau potable, y compris le réseau d’adduction acheminant l’eau depuis la nappe phréatique du Morand située à Montricher.

Depuis la fin des années 1980, les Services de la Ville ont également développé un réseau d’eau non-potable pour arroser les surfaces vertes et les terrains de sports de la Ville. Ceci permet de soulager nos excellentes sources tout en permettant de soutenir la stratégie d’arborisation de la Ville, même lorsque les conditions climatiques nous poussent à imposer des restrictions d’utilisation de l’eau potable pour l’arrosage. Ce réseau est alimenté en eau du lac depuis la station de pompage du réseau de chauffage à distance Morges-Lac.

Dans le prologue d’une édition de ce magazine ayant pour thème principal «Approvisionnement en chaleur», vous avez déclaré un jour: «La diversification est à l’ordre du jour!» Comment les Services industriels de Morges abordent-ils cette diversification nécessaire?

«Les Services de la Ville ont egalement développé un réseau d’eau non-potable pour arroser les surfaces vertes et les terrains de sports de la Ville.»

Depuis 2015, les Services industriels s’engagent pour la transition énergétique en construisant, en collaboration avec un partenaire privé, des réseaux de chaleur à distance, basés sur des énergies renouvelables. Cette diversification de l’offre permet d’une part de répondre aux attentes de nos citoyens, mais surtout de proposer une solution face aux exigences légales. Cette diversification est essentielle puisqu’elle permet de réorienter le service vers son avenir.

La commune de Morges a développé une stratégie énergétique 2035 et, pour ce faire, une planification énergétique territoriale 2035 afin d’aborder les objectifs de la stratégie énergétique. Quels sont les principes de cette planification énergétique territoriale?

Avec sa stratégie énergétique, la Municipalité a pris un engagement fort et s’est montrée ambitieuse! Cinq principes conduisent la planification énergétique territoriale qui en découlent:

  1. La rénovation du parc bâti;
  2. La transition du gaz naturel vers le gaz renouvelable avec une augmentation de +0,7% de gaz renouvelable dans le réseau par année;
  3. Le développement des énergies renouvelables et la diminution du recours au mazout et au chauffage électrique;
  4. Le développement de la production électrique locale par l’installation de 3000 m2 de panneaux photovoltaïques par an;
  5. Et finalement, comme expliqué à la question précédente, le développement des réseaux thermiques.

Il est important de préciser que tous les services de la Ville sont engagés et motivés pour atteindre ces objectifs chiffrés et que ces derniers sont monitorés par l’Office de la durabilité de la commune de Morges.

Quelle est la situation actuelle dans la commune de Morges en matière de chauffage/froid à distance?

Trois réseaux sont en fonction sur le territoire:

  • Le rĂ©seau CAD-STEP, qui exploite la chaleur des eaux Ă©purĂ©es en sortie de la STEP pour alimenter des pompes Ă  chaleur dĂ©centralisĂ©es par bâtiment. Ce rĂ©seau fournit de la chaleur uniquement;
  • Le rĂ©seau Morges-Lac, qui exploite l’eau du lac pour approvisionner le quartier de la gare de Morges grâce Ă  des pompes Ă  chaleur dĂ©centralisĂ©es Ă©galement. Quant Ă  lui, ce rĂ©seau fournit de la chaleur et du froid;
  • Le rĂ©seau Enerlac, utilisant la mĂŞme technologie que Morges-Lac et approvisionnant entre autres l’entreprise Medtronics situĂ©e Ă  Tolochenaz, Ă  la frontière ouest de Morges.

Finalement, un réseau dénommé «Morges Nord» est en projet sur la partie Nord de la commune. Ce réseau fournira de la chaleur à 80 °C et sera alimenté par une centrale de cogénération à plaquette de bois (production simultanée de chaleur et d’électricité). À terme, ce nouveau réseau fournira un total d’environ 35 GWh/an et s’étendra sur plus de 10 km. Sa construction débutera dans le courant de l’année 2024.

Qu’est-ce qui est prévu pour l’avenir?

De nombreux enjeux sont à prendre en compte, notamment par rapport à l’avenir de notre réseau de gaz naturel. L’objectif principal étant une diminution de l’utilisation des énergies fossiles combinée à la maîtrise des consommations, un travail conséquent reste à accomplir en collaboration avec notre Office de la Durabilité. Dans ce sens, les Services industriels développent l’approvisionnement en chaleur à distance et adaptent la stratégie d’évolution du réseau de gaz de manière cohérente. La maîtrise des consommations est également un objectif appliqué aux réseaux d’eau potable et d’électricité communales. Il sera notamment atteint grâce à des mesures de sensibilisation de la population.

Quelles sont les étapes de projet pour la réalisation du réseau de chauffage à distance prévu?

La première étape est la planification générale du réseau et l’identification de l’emplacement de la(des) centrale(s) de chauffe. Pour Morges Nord, cette étape est terminée.

La deuxième étape est l’obtention des autorisations dans le cadre d’un processus de mise à l’enquête de la centrale et du réseau. Pour ce faire, des conventions de servitude de passage doivent être acceptées par l’ensemble des propriétaires privés dont la parcelle est impactée par le passage du réseau primaire. Suite à cela pourra débuter la construction de la centrale de chauffe et du réseau. Ces deux ouvrages seront construits en parallèle. Le rythme de déploiement visé du réseau est de 1,5 km de conduites par année. Le déploiement du réseau est scindé en étapes annuelles.

«Les Services industriels développent l’approvisionnement en chaleur à distance et adaptent la stratégie d’évolution du réseau de gaz de manière cohérente.»

Quels sont les défis qu’il a fallu et qu’il faut encore relever dans le cadre de ce projet d’envergure?

Ce projet est particulièrement ambitieux. Le premier défi a été de constituer une société anonyme en collaboration avec un partenaire privé afin de réunir les compétences et les capacités financières nécessaires à un tel projet. Cette société a vu le jour en août 2023 et se nomme Morges Énergies SA. Un second défi touche à la coordination, sachant que ces travaux seront coordonnés à ceux des autres services dans la mesure du possible (routes, eau potable, gaz, assainissement, arborisation, électricité, etc.). Il demande donc un important travail de coordination dès les phases amont.

Pour citer quelques défis plus appliqués au terrain, le passage en forage dirigé sous la rivière La Morges pour relier les zones Est et Ouest promet d’être une étape complexe. Par ailleurs, l’implantation de la centrale de chauffe dans un bâtiment existant, sans modifier son aspect extérieur soulève quelques difficultés techniques qui feront certainement de cette réalisation un exemple d’intégration pour d’autres projets. Il faut tenir compte du fait qu’aujourd’hui, la population attend non seulement des projets efficients mais aussi exemplaires au niveau de l’intégration urbaine et architecturale.

Quelles approches ont été adoptées pour résoudre les problèmes et quels sont les «lessons learned» de ce processus?

La leçon la plus importante à tirer de cette expérience est que de nombreux problèmes peuvent être évités grâce à une bonne coordination en amont du projet. Il est donc primordial d’identifier correctement et suffisamment tôt toutes les parties prenantes, les points de contact et les processus de communication. Relevons également que les procédures à suivre peuvent fortement varier d’une commune à l’autre. Il est donc essentiel de les connaître bien afin d’éviter les surprises. Finalement, l’acceptation du projet passe par l’implication de tous les acteurs concernés, propriétaires privés inclus. Des séances d’information publiques ont donc été organisées avant le démarrage du projet afin de préparer son acceptation et ainsi augmenter ses chances de réussir.

Quelles sources de chaleur doivent être utilisées pour le chauffage à distance?

De multiples sources de chaleur sont exploitables: bois, eau du lac, chaleur des eaux épurées (STEP), rejets de chaleur industriels, géothermie ou incinération de déchets, éventuellement même solaire thermique. Le premier critère est la disponibilité de la ressource: mis à part le bois qui est transportable, les autres ressources sont situationnelles et doivent être disponibles localement. Viennent ensuite de nombreux autres critères:

  • Aspects techniques: la ressource peut-elle ĂŞtre techniquement valorisĂ©e?  Quelles sont les contraintes?
  • Aspects financiers: la ressource peut-elle ĂŞtre exploitĂ©e de manière Ă©conomiquement supportable? Dans quelles conditions?

La ressource choisie définit ensuite les principes techniques de valorisation et d’utilisation de la chaleur, notamment le type de réseau de distribution, qui peut lui aussi être sujet à des contraintes techniques, comme la place disponible en souterrain par exemple. En résumé, le choix de la source d’énergie est très fortement dépendant du contexte local.

Où en est le projet aujourd’hui? Quel est le calendrier ultérieur pour le développement du chauffage à distance?

Nous sommes actuellement dans la phase d’obtention des autorisations. La première pierre sera posée dans le courant du 2e semestre 2024. L’achèvement de la centrale est prévu pour 2026, date à laquelle la chaleur sera disponible. Le déploiement du réseau devrait se poursuivre au minimum jusqu’à 2030.

Quels sont les projets de développement de l’approvisionnement en gaz et du réseau de gaz à Morges?

Les Services industriels réalisent en ce moment même un plan directeur du gaz afin de définir ces points. Plusieurs pistes seront explorées en marge de la suppression du gaz dans certains secteurs au profit du chauffage à distance. Parmi celles-ci, nous pouvons citer l’utilisation du réseau pour l’acheminement d’hydrogène et le développement de la filière biogaz. Mais ces pistes restent à l’état embryonnaire pour l’instant. Toutefois le réseau de gaz reste nécessaire pour nos nombreux clients et contribue au développement du CAD puisque qu’il offre une sécurité pour les centrales de bois et couvre les pointes hivernales, ce qui évite de surdimensionner les installations.

Comment l’augmentation de la part de gaz renouvelable demandée dans la planification énergétique territoriale 2035 sera-t-elle atteinte?

Nos analyses sur la possibilité de produire du biogaz local pourront potentiellement nous aider à répondre à cet objectif. Pour l’instant, il est satisfait grâce à l’achat de certificats de biogaz. Selon la stratégie mise en place, la quantité de certifications acquis augmente de 0,7% annuellement.

Est-il envisagé de construire à cet effet des installations de production locale de gaz renouvelables?

Cette possibilité n’est pas écartée. Toutefois, le territoire morgien fait état d’un cruel manque de place disponible pour ce genre d’installations. Il faut ajouter que le territoire principalement urbain de la commune offre peu de possibilités d’exploiter la biomasse. Nous n’avons donc aucune certitude à ce sujet.

Existe-t-il des idées sur le thème du couplage des différents secteurs d’approvisionnement des Services Industriels de Morges ou existe-t-il déjà des «hubs» par lesquels certains secteurs sont déjà couplés?

Les secteurs de l’eau potable, du gaz naturel et de l’électricité sont déjà couplés dans la mesure où ce sont les mêmes personnes qui travaillent sur ces infrastructures, autant dans les phases de planification que sur le terrain. C’est un peu différent pour le chauffage à distance dans la mesure où la planification et la gestion de projet sont également assurées par les mêmes personnes, mais le travail de terrain est externalisé.

Considérez-vous le couplage des secteurs comme un élément important de la transformation de l’approvisionnement énergétique de la commune de Morges?

C’est essentiel! Pour prendre un exemple, le développement du chauffage à distance doit absolument se faire en cohérence avec l’évolution du réseau de gaz. Cela peut être réalisé grâce à une communication efficace, ou à l’attribution de ces tâches à la (aux) même(s) personne(s). La transition énergétique n’est pas réalisable si elle n’est pas faite de manière cohérente!

Et pour finir, au sujet de l’approvisionnement en eau potable: D’où provient l’eau que vous distribuez? Y a-t-il plusieurs sources d’approvisionnement?

Notre eau potable provient de la nappe du Morand située sur la commune de Montricher. Un approvisionnement depuis le réseau des Services Industriels de Lausanne est également disponible en cas de quantités insuffisantes provenant de la source primaire.

Y a-t-il eu jusqu’à présent des problèmes d’ordre quantitatif? Comment y a-t-on réagi?

Oui, en période de sécheresse principalement. La priorité est toujours donnée aux consommateurs résidentiels. Par conséquent, les besoins d’eau d’arrosage, notamment pour les gazons privés, sont les premiers à être impactés par les mesures de restriction mises en place. En second lieu, les arrosages agricoles peuvent également être concernés. Dans les contrats de fourniture aux agriculteurs, il est clairement défini que les Services industriels se réservent le droit de limiter la fourniture d’eau en cas de besoin. Par conséquent, dans ce genre de situation, un arbitrage de l’approvisionnement est effectué par les Services industriels. Il est à relever que la Ville de Morges s’est montrée proactive sur cette problématique en développant depuis les années 1980, un réseau d’arrosage alimenté par de l’eau non potable provenant du lac qui permet d’arroser les espaces publics et les terrains de sport tout en préservant la ressource d’eau potable.

«Les besoins d’eau d’arrosage, notamment pour les gazons privés, sont les premiers à être impactés par les mesures de restriction mises en place.»

Existe-t-il des réflexions pour l’avenir sur la manière de se préparer et de gérer les phases de sécheresse qui seront probablement plus fréquentes en été?

La consommation d’eau potable par habitant fait d’ores-et-déjà partie des indicateurs qualité et environnement suivi de près par les Services industriels. Des réflexions sont en cours sur des démarches de sensibilisation de la population à l’utilisation rationnelle de l’eau potable. Ces réflexions envisagent une phase d’information de la population ainsi qu’une phase d’accompagnement des citoyens, notamment par le biais de conseils en matière de choix d’équipements économes.

Nous travaillons également à l’amélioration de l’interconnexion avec les distributeurs voisins car, à l’avenir, il sera nécessaire d’élargir la vision d’exploitation à plus large échelle. Il en va de la sécurité d’approvisionnement.

Et finalement, comment les Services industriels protègent et assurent-ils la qualité de l’eau brute captée?

La nappe phréatique du Morand est une source qui ne subit aucun traitement chimique. Non seulement ses caractéristiques naturelles sont excellentes, mais le travail de surveillance mis en place par les Services industriels permet d’en assurer la sécurité. En premier lieu, les zones de protection dites «S» ont été définies selon les directives du canton de Vaud. Ces zones permettent une protection bactériologique de l’eau. Grâce au temps pris à cheminer entre les différentes couches du sous-sol, l’eau est ainsi «nettoyée par le milieu naturel» avant d’être pompée.

Par ailleurs, la Ville de Morges a développé depuis 25 ans un partenariat avec 19 agriculteurs de l’aire d’alimentation afin de limiter au maximum les nitrates ainsi que les produits phytosanitaires. Ce projet est exemplaire puisqu’à ce jour plus de 180 ha sont sous contrat. Le suivi des mesures est assuré par une société agronomique ainsi qu’un hydrogéologue. Il prouve qu’un partenariat intelligent est aussi efficace que des mesures contraignantes.

Ă€ propos de la personne

Au bénéfice de deux CFC (dessinateur en génie civil et employé de commerce), Jacques Brera a fait plusieurs formations complémentaires, dont la plus récente est un Certificate of Advanced Studies (CAS) HES-SO en management et gestion du changement et, à une date antérieure, la formation SVGW d’installateur agrée gaz. M. Brera travaille depuis 2002 au sein de l’administration communale morgienne. Sa carrière au sein de la Ville a commencé en tant que responsable technique des Services industriels. Il est devenu chef de l’Office en 2017. Depuis le 1er avril 2024 il est chef du Service des infrastructures, qui comprend les Offices des services techniques et des services industriels. Jacques Brera s’engage également auprès de la SVGW: il est membre du comité et président de la commission principale de formation professionnelle (B-HK).

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