Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
02. décembre 2024

Émissions de CH4 de l’industrie gazière suisse

Nouvelle méthode de calcul indique des valeurs nettement plus basses qu’admis jusqu’à présent

Les émissions de méthane de l’industrie gazière suisse ont été largement surestimées jusqu’à présent. C’est ce que met en lumière un nouveau modèle d’estimation des émissions de méthane qui s’appuie sur les mesures actuelles et les connaissances scientifiques. Il ressort en outre du modèle que la Suisse a fait des progrès notables lors des dernières décennies pour réduire ses émissions de méthane. L’introduction de nouveaux processus et matériaux et de nouvelles technologies y a largement contribué. Néanmoins, d’autres mesures et investissements sont nécessaires pour continuer à faire baisser les émissions de méthane suisses.
Roman Huber 

Les gaz que l’on appelle gaz à effet de serre sont des gaz traces qui contribuent à divers degrés à l’effet de serre. Ils absorbent une partie du rayonnement de chaleur émis par la surface terrestre en direction de l’espace et le redirigent vers la Terre sous forme d’un contre-rayonnement atmosphérique, ce qui entraîne un réchauffement supplémentaire de la surface de notre planète. Le méthane (CH₄) est le deuxième gaz à effet de serre anthropique en quantité derrière le dioxyde de carbone (CO₂) et contribue fortement au réchauffement climatique. Il induit un effet de réchauffement dans l’atmosphère nettement plus important que le CO₂. Plus précisément, sur une période de 100 ans, un kilogramme de méthane contribue 28 fois plus à l’effet de serre qu’un kilogramme de dioxyde de carbone. Cela fait de la réduction des émissions de méthane, quelle qu’en soit l’origine, un objectif crucial dans la lutte contre le changement climatique.

Comptage des émissions

Le gaz naturel et le biogaz se composent tous deux de méthane à plus de 90%. En Suisse, l’approvisionnement en gaz naturel s’effectue par le biais d’un vaste réseau de conduites et d’installations. Des fuites peuvent survenir en différents endroits du système, en particulier au niveau de conduites en matériaux anciens et moins résistants comme la fonte grise, qui a entre-temps été presque intégralement remplacée par des matériaux plus modernes tels que le polyéthylène (PE).

Le méthane est libéré non seulement par des dommages, souvent causés par les machines de chantier, mais également de manière volontaire. C’est par exemple le cas lorsque des tronçons de conduite doivent être remplacés ou posés et que les gaz inflammables doivent en être évacués au préalable. Dans le scénario le plus défavorable, cela se produit en purgeant le gaz naturel contenu dans la conduite.

Pour respecter son engagement conformément à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et à l’Accord de Paris qui est lié, la Suisse enregistre chaque année les quantités d’émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national. Ce comptage est fondé sur la modélisation des pertes issues du réseau de transport et de distribution ainsi que des consommateurs finaux. Le développement de ce modèle a commencé dès le début des années 1990, et il a depuis été révisé en continu.

Estimations et données obsolètes

Les anciens modèles reposaient sur des estimations ou des données collectées en partie avant 1980. Étant donné que ces hypothèses n’étaient plus représentatives quant aux technologies et matériaux d’aujourd’hui, l’Association pour l’eau, le gaz et la chaleur (SVGW), en collaboration avec Carbotech AG et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), a développé un modèle d’estimation des émissions de méthane qui s’appuie sur les mesures et les connaissances scientifiques actuelles. À l’aide de ce nouveau modèle développé à partir de zéro, les émissions de l’industrie gazière suisse peuvent désormais être représentées plus précisément et les sources, mieux assignées.

Nouveau modèle de calcul

Méthode utilisée

Le nouveau modèle fonctionne par induction. Les facteurs d’émissions et les données d’activité, en plus des pertes signalées directement, constituent la base des calculs. Des facteurs d’émissions ont été déterminés pour les composants et événements les plus variés au sein de l’infrastructure du réseau gazier. Il s’agit par exemple des pertes de gaz annuelles d’une installation de détente de gaz, ou de la fuite de gaz moyenne en cas d’endommagement d’une classe de conduite donnée par un engin de chantier. Quant aux données d’activité, elles peuvent être principalement déduites de la statistique Gaz collectée une fois par an auprès de l’ensemble des exploitants de réseau en Suisse. Dans plus de 100 paramètres, elle fournit entre autres des informations sur le nombre de certains composants du réseau gazier ou de certains événements comme les dommages et les fuites. Additionner l’ensemble des produits issus des données d’activité et leurs facteurs d’émissions, et ajouter les pertes signalées permet d’estimer les émissions de méthane pour l’ensemble de la Suisse:

Émissions totales = ∑ données d’activité x facteurs d’émission + pertes signalées

Améliorations

Les facteurs d’émissions très importants pour le calcul reposent désormais davantage sur les mesures et données actuelles issues de la pratique, en particulier de campagnes de mesure en Suisse et en Allemagne. La qualité des estimations des émissions a ainsi pu être nettement améliorée. En outre, les facteurs d’émissions sont régulièrement adaptés aux conditions réelles grâce à la nouvelle méthode. Tandis que la méthode utilisée jusqu’ici reposait depuis 1990 sur des facteurs fixes, la nouvelle méthode développée tient compte, par exemple, des fuites qui se sont réellement produites. Pour résumer, les importantes améliorations suivantes ont été mises en œuvre:

Facteurs d’émissions variables

Les facteurs d’émissions fixes ont été, autant que possible, remplacés par des facteurs variables et dépendant du temps, qui tiennent compte du développement de l’infrastructure gazière et de l’introduction de nouveaux matériaux et processus.

Campagnes de mesure

De nombreux facteurs s’appuient désormais non plus sur des estimations, mais sur des mesures réelles des fuites et pertes, qui ont été réalisées tant en Suisse qu’en Allemagne. Ces nouvelles données offrent une base solide pour des calculs plus précis.

Nouvelles sources de données

La statistique Gaz de SVGW a été élargie et fournit désormais des informations plus détaillées sur les structures du réseau de conduites, les fréquences des fuites et d’autres paramètres pertinents.

Résultats

Diminution des émissions totales

La figure 1 montre la courbe calculée des émissions spécifiques de méthane de l’industrie gazière suisse à partir de l’année de référence 1990, exprimées en g d’éq. CO₂/MWh. La baisse prononcée et en majeure partie continue des émissions totales depuis le milieu des années 1990 est bien visible. Étant donné que la nouvelle méthode garantit la cohérence de la chronologie sur toutes les années de 1990 à aujourd’hui, les modifications temporelles de chacune des catégories peuvent être examinées en détail. Afin de permettre une comparaison des deux années malgré l’augmentation des ventes de gaz, les émissions sont également représentées par unité énergétique (MWh) dans la figure 2.

Moins d’émissions en cas de fuites

Dans presque toutes les catégories, on peut faire état de réductions parfois importantes. Le recul des émissions spécifiques en cas de fuites est particulièrement flagrant. Étant donné que des statistiques détaillées sur les dommages et les conduites étaient disponibles tant pour l’année 1990 que pour 2020, on peut s’attendre à une grande qualité des estimations dans les résultats. Les installations domestiques sont également concernées par une importante baisse des émissions. Les estimations sous-jacentes des pertes s’appuient pour les deux années sur des campagnes de mesures de grande ampleur. On peut donc estimer que les résultats sont fiables.

Différentes catégories d’émissions

La figure 3 montre les parts en pourcentage des différentes catégories d'émissions dans les émissions totales de méthane, à titre d'exemple pour l'année 2020. On peut donc en conclure:

  • En ce qui concerne les appareils ménagers, les installations de chauffage dominent, ce qui est dû, d’une part, à leur grand nombre et, d’autre part, aux fréquents cycles marche/arrêt.
  • Le grand nombre d’installations domestiques par rapport aux réseaux industriels place la catégorie «installations chez les consommateurs finaux» en tête, bien que les émissions spécifiques soient nettement plus élevées dans les réseaux industriels.
  • Dans le réseau de distribution et de raccordement, les fuites entraînent des pertes importantes, suivies des dommages liés aux incidences extérieures (dommages causés par des tiers).
  • En 2020, presque toutes les émissions chez Transitgas revenaient à la station de compression de Ruswil. Les émissions principalement liées à la maintenance le long du tracé des conduites sont toutefois soumises à de très fortes fluctuations.

 

TDes émissions plus basses qu’admis jusqu’à présent

La base de données et donc aussi la fiabilité des données de base utilisées ont pu être nettement améliorées par rapport à la méthode précédente, non seulement en ce qui concerne les facteurs d’émissions, mais aussi par rapport aux données d’activité grâce à la statistique Gaz de SVGW, qui a été élargie ces dernières années. Le modèle de calcul utilisé jusqu’ici par l’OFEV et l’industrie gazière et qui se fonde sur des facteurs d’émissions fixes peut désormais être comparé à la nouvelle méthode qui repose davantage sur des mesures et des facteurs variables. Il a ainsi été possible de montrer que dans la quasi-totalité des 100 catégories prises en compte dans le modèle, les émissions ont jusqu’alors été surestimées, parfois jusqu’à 25 fois. Si on considère p. ex. l’année 2020, on observe des émissions 78% plus basses qu’admis jusqu’à présent; dans les principales catégories, les plus grandes différences apparaissent dans les réseaux industriels (-95%) et pour les fuites dans le réseau de distribution (-95% également). La figure 4 montre clairement à quel point les émissions ont été surestimées dans chaque catégorie avec l’ancienne méthode.

Le projet de recherche ME DSO, publié par la société DBI Gas- und Umwelttechnik GmbH en 2022, fournit des résultats comparables en Allemagne. Certains résultats, entre autres les taux de perte issus des mesures très complexes sur les fuites réelles dans le réseau de distribution, ont pu être utilisés pour estimer les émissions en Suisse.

Perspectives et recommandations

La nouvelle méthode développée montre non seulement que les émissions ont été largement surestimées jusqu’à présent, mais aussi que la Suisse a fait des progrès notables lors des dernières décennies pour réduire ses émissions de méthane. L’introduction de nouveaux processus et matériaux et de nouvelles technologies ont participé à réduire les émissions. Malgré ces avancées, la réduction des émissions de méthane reste un défi permanent qui appelle d’autres mesures et investissements. Ceux-ci doivent être mis en œuvre là où ils produisent le plus d’effet avec les moyens disponibles, par exemple:

Amélioration des stratégies de maintenance

L’utilisation de technologies pour effectuer la décompression avant les travaux de maintenance et le recours à des compresseurs mobiles peuvent réduire encore les purges prévues.

Modernisation des infrastructures

Le remplacement continu des anciens matériaux et composants reste une des mesures les plus efficaces pour réduire les fuites.

Campagnes de mesure

D’autres mesures et des enquêtes détaillées permettent de mieux surveiller les émissions de méthane afin de prendre des mesures ciblées.

La collaboration internationale, notamment avec des pays comme l’Allemagne et l’Autriche qui disposent de structures de réseaux gaziers similaires et font face aux mêmes défis, est ainsi de plus en plus importante.

Rapports sur les émissions pour les membres de SVGW

La nouvelle méthode de calcul a été contrôlée par l’OFEV et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), et est entre-temps utilisée pour établir un inventaire national des gaz à effet de serre conformément aux exigences de l’ONU/du GIEC. La méthode offre pour la première fois la possibilité d’estimer les émissions des différents réseaux de distribution séparément.

SVGW propose à ses membres l’établissement d’un rapport de plusieurs pages sur les émissions, qui présente également des comparaisons détaillées entre les valeurs moyennes de l’ensemble des exploitants de réseau en Suisse (cf. à droite). L’offre s’adresse exclusivement aux exploitants de réseau de distribution. Plus d’informations et indications pour la commande:

svgw.ch > Gas > Methanemissionen; Contact: r.huber@svgw.ch

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