En Suisse, le biogaz est produit dans environ 110 installations agricoles et 35 installations industrielles. L’une des plus grandes installations se situe à Inwil, dans le canton de Lucerne. C'est là que SwissFarmerPower Inwil AG produit du gaz renouvelable à partir de déchets verts communaux ainsi que de déchets organiques issus de l’industrie alimentaire et de l’agriculture. Par an, plus de 36 GWh de biogaz y sont produits. La majeure partie (32 GWh) est injectée dans le réseau régional de gaz naturel. Environ 2 GWh sont transformés sur place en électricité et en chaleur, fournissant ainsi de l’électricité à 600 foyers moyens de quatre personnes et de la chaleur à 400 foyers moyens de quatre personnes. Une station-service pour voitures à gaz se trouve également sur le site. Si toute la production d’énergie de SwissFarmerPower Inwil était utilisée dans le secteur des transports, le gaz suffirait à faire rouler 5500 voitures de tourisme avec une autonomie annuelle de 10'000 km.
Selon les statistiques annuelles de l’Association Suisse de l’Industrie Gazière, le biogaz couvre environ 6% des besoins en gaz de la Suisse. Si l’on considère les différents domaines d’application du gaz, le biogaz joue un rôle considérable dans le secteur du transport: parmi les carburants gazeux, le biogaz représente environ un quart (fig. 1). Cela est également dû au fait que le carburant vendu dans les stations-service de gaz naturel suisses est mélangé à au moins 20% de biogaz.
Fig. 1 En Suisse, environ un quart des besoins en gaz pour la propulsion des véhicules sont couverts par le biogaz. (Graphique: VSG)
Le carburant dont les véhicules à gaz font généralement le plein aujourd’hui est certes gazeux, mais comprimé (d’où l’appellation «compressed natural gas», en abrégé CNG). Grâce à la compression, il est possible de multiplier le contenu énergétique pour une taille de réservoir donnée par rapport à un gaz non comprimé, typiquement d’environ 200 fois pour les voitures de tourisme. Il est possible de mettre encore plus d’énergie dans un réservoir de gaz en liquéfiant le gaz, en le refroidissant à environ -162 °C. Le gaz peut être utilisé pour le chauffage, le refroidissement et la climatisation. Le gaz naturel liquéfié (GNL) a une densité énergétique 600 fois supérieure à celle du gaz naturel dans des conditions normales et permet des autonomies comparables à celles des véhicules diesel. «Ce carburant liquide à base de gaz est de plus en plus utilisé dans le transport lourd. Il permet de réduire les émissions de CO2 de 5 à 20% par rapport au diesel», explique Elimar Frank, professeur à la Haute école spécialisée de Suisse orientale OST. «Dans ce contexte, nous avons voulu examiner dans une étude la contribution que le biogaz liquéfié (bioGNL) pourrait apporter à un transport de marchandises respectueux du climat en Suisse».
Le projet «HelloLBG» (LBG signifie «liquified biogas», soit biogaz liquéfié en anglais) s’est achevé au printemps 2023, après une période de quatre ans. Il a été soutenu financièrement par l’OFEN, le Fonds de recherche, de développement et de promotion de l’industrie gazière suisse (FOGA) et Lidl Suisse SA. Le détaillant était impliqué en tant que partenaire pratique, tout comme l’entreprise de transport Krummen Kerzers AG, qui travaille notamment pour Lidl Suisse. Dans le cadre du projet, cette dernière a mis à disposition deux de ses camions GNL dont les émissions ont été relevées pendant un an. Les mesures réalisées dans ce contexte devaient initialement être réalisées avec du bioGNL, mais dans la mesure où celui-ci n’était pas disponible en raison de la pandémie, les scientifiques ont opté pour le GNL, dont la composition est presque identique (d’un point de vue chimique, le bioGNL et le GNL sont tous deux presque entièrement du méthane). Le GNL comme le bioGNL génèrent des émissions de CO2 lors de la combustion, mais le bioGNL est considéré comme respectueux du climat car le carbone libéré a été préalablement extrait de l’atmosphère par des plantes.
L’équipe de projet a calculé, sur la base de mesures et de l’évaluation des données d'exploitation, dans quelle mesure les émissions de gaz à effet de serre pourraient être réduites si une flotte de camions suisses se ravitaillait en bioGNL d’origines diverses au lieu du diesel. Le résultat: les émissions de gaz à effet de serre diminuent d’un peu plus de quatre cinquièmes (82%) en cas d’utilisation de bioGNL issu d’une production à grande échelle en Norvège, si l’on considère l’ensemble de la chaîne de valeur. Ceci inclus la production (y compris la liquéfaction), le transport, le stockage et l’utilisation dans le véhicule (analyse «well-to-wheel») (fig. 2). Pour le calcul, l’équipe scientifique a supposé que pour la production et la liquéfaction du bioGNL des énergies renouvelables étaient utilisées, et que le transport vers la Suisse s’est fait avec du diesel fossile.
Fig. 2 Un camion fonctionnant au biogaz liquide (bioGNL) ne génère que 18% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à un camion diesel. Les émissions restantes sont dues pour environ deux tiers à la production de biogaz et pour un tiers au transport du carburant vers la Suisse et à son utilisation. Le calcul présuppose que le carburant bioGNL a été produit en Norvège puis transporté en Suisse.
Dans le projet «HelloLBG», un camion GNL (liquified natural gas, LNG) équipé de la technologie de moteur HPDI (injection directe à haute pression) et un camion GNL équipé d’un moteur à essence (Otto) ont été comparés (fig. 3). Le véhicule à moteur Otto présentait des émissions de CO2 plus élevées lors de l’utilisation de GNL que le véhicule à moteur HPDI (qui utilise également du diesel pour l’allumage), et également des émissions plus élevées qu’un camion diesel. La haute quantité de gas à effet de serre émise est causé par l’efficacité moindre du moteur à essence étudié dans le projet, par rapport au véhicule HPDI. En revanche, lors de l’utilisation du bioGNL, les émissions du moteur à essence ont été inférieures à celles du moteur HPDI. La raison: les moteurs HPDI ne peuvent pas être entièrement convertis au bioGNL dans la mesure où il faut toujours un reste d’environ 10% (en masse) de diesel.
Fig. 3 Comparaison des émissions de gaz à effet de serre d'un camion GNL équipé d'un moteur HPDI et d'un camion GNL équipé d'un moteur à essence (Otto). (Graphique: Rapport final de «HelloLBG»)
Les camions bioGNL sont donc respectueux du climat, mais ne sont pas climatiquement neutres. Dans la chaîne de valeur du bioGNL, il existe deux sources possibles d’émissions de méthane, lequel a un potentiel de réchauffement global de gaz à effet de serre 28 fois plus important que le CO2. D’une part, il y a les émissions directes de méthane lors de la production de biogaz qui ne peuvent pas être totalement évitées. D’autre part, des émissions de méthane peuvent résulter du «venting» (voir aussi encadré 1). Lors du transport du bioGNL vers la Suisse, le carburant utilisé à cet effet détermine une part des émissions totales de la chaîne de création de valeur ayant un impact sur le climat. Les auteurs du rapport final «HelloLBG» constatent toutefois que le transport de bioGNL importé (par exemple de Norvège) ne joue qu’un «rôle secondaire» dans le bilan climatique. Les émissions pourraient ainsi être réduites, par exemple en choisissant d’autres moyens de transport ou en évitant le venting.
L’alternative la plus évidente à l’importation serait la production de bioGNL en Suisse. Selon les calculs de l’équipe du projet, le biogaz liquide pourrait déjà être produit dans des installations de production relativement petites (production annuelle de 1500 à 2000 t de bioGNL) à des coûts raisonnables (moins de 2 Fr./kg de bioGNL; fig. 4). En Suisse, il existe déjà quelques installations de biogaz avec des volumes de production correspondants. Des installations comme celle d’Inwil, mentionnée ci-dessus, pourraient fournir du bioGNL pour plus de 100 camions (100'000 km par an). En incluant le potentiel de biomasse encore inexploité en Suisse, il serait théoriquement possible d’alimenter l’ensemble de la flotte suisse de camions, explique Elimar Frank.
Fig. 4 Selon les calculs de l’équipe «HelloLBG», la production d’un kilogramme de bioGNL en Suisse, qui a une capacité de production d’environ 5 tonnes par jour, pourrait coûter environ 2 francs. Environ 15% de ces coûts (soit environ 30 centimes) sont liés au traitement et à la liquéfaction du biogaz. La plus grande partie des coûts (environ trois quarts) est liée à la production du biogaz. (Graphique: adapté à partir du rapport final de «HelloLBG»)
Cette vision se conjugue au conditionnel dans la mesure où le gaz liquéfié se voit actuellement confronté à des vents contraires. En 2022, les prix de GNL et du bioGNL ont fortement augmenté en raison de la crise énergétique d’origine géopolitique. Pour l’instant, le bioGNL n’est pas compétitif, explique Sabine Krummen, responsable du développement durable chez l’entreprise de transport Krummen Kerzers. «Si cela ne tenait qu’à nous, nous aurions déjà fait le plein de nos 30 camions GNL avec du bioGNL, car selon notre expérience de ces dernières années, ce carburant fonctionne sans problème. Mais, malheureusement, il existe des obstacles importants à l’importation de bioGNL ainsi qu’à sa reconnaissance en tant que gaz biogénique, et le manque d’incitations économiques empêche le fuel-switch». Pour remplacer les camions fonctionnant au diesel, Krummen Kerzers mise donc sur des véhicules à gaz alimentés en GNL, complétés par des camions purement électriques. «Par rapport aux camions électriques, les véhicules GNL n’ont pas de perte d’autonomie et de charge utile, de plus ils font rapidement le plein - il s’agit d’avantages considérables, notamment pour le transport international ou le transport lourd sur de longues distances», explique Krummen.
Pour que le biogaz liquide ait une chance d’être utilisé dans le transport par poids-lourd, des incitations financières sont indispensables, est également convaincu le professeur Frank de l’OST. Concrètement, il plaide pour la reconnaissance des certificats européens, à condition que les exigences suisses soient remplies pour les substrats utilisés, afin que l’exonération de l’impôt sur les huiles minérales accordée en principe au biogaz s’applique également au bioGNL importé. De plus, si la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) était réduite, par exemple à 50%, pour les camions bioGNL, le biogaz liquide serait compétitif avec le diesel, souligne Frank. «L’utilisation de bioGNL permettrait de rendre rapidement le transport lourd plus respectueux du climat, même s’il ne s’agit que d’une technologie de transition jusqu’à ce qu’une bonne offre de véhicules électriques et suffisamment d’électricité renouvelable soient disponibles pour le transport routier de marchandises».
Le biogaz liquide (bioGNL) a un grand contenu énergétique et est respectueux du climat. Point de vue inconvénient, le bioGNL a besoin d’énergie pour être liquéfié (selon les calculs de l’équipe «HelloLBG», environ 10% de l’énergie contenue dans le biogaz). Le bioGNL a alors une température de -162 °C. Pour maintenir cette basse température, il est transporté et stocké dans des réservoirs sous vide (sans refroidissement actif). Lors des trajets de plusieurs jours en camion, une partie du bioGNL s’échauffe et se transforme en gaz. Il en résulte une surpression dans le réservoir. Celle-ci peut être réduite en renvoyant une partie du méthane à la station-service pendant le ravitaillement. Si la pression de la station-service est supérieure à 9,5 bars, cette restitution n’est pas possible et le méthane «excédentaire» doit être rejeté dans l’atmosphère (en anglais 'venting'). Le méthane, dont le bioGNL est principalement composé, est alors renvoyé dans l’environnement. Cela n’est pas souhaitable car le méthane est un gaz à effet de serre agressif. Dans le projet OST «HelloLBG», l’équipe de scientifiques a pu démontrer que les ventings «peuvent être réduits à presque rien grâce à un taux de conversion de méthane plus élevé à la station-service (environ 2000 kg par jour) ainsi qu’à des adaptations ciblées dans la disposition des camions», comme l’indique le rapport final du projet.
Le projet présenté dans le texte principal a été soutenu par le programme pilote et de démonstration de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Avec ce programme, l’OFEN encourage le développement et l’expérimentation de technologies, de solutions et d’approches innovantes, lesquelles contribuent de manière significative à l’efficacité énergétique ou à l’utilisation des énergies renouvelables. Les demandes d’aide financière peuvent être soumises à tout moment.
Le rapport final du projet «Utilisation du biogaz liquéfié (bioGNL) pour le transport lourd en Suisse ('HelloLBG')» est disponible sur: https://www.aramis.admin.ch/Texte/?ProjectID=44233
Men Wirz (men.wirz@bfe.admin.ch), co-responsable du programme pilote et de démonstration de l'OFEN, et Sandra Hermle (sandra.hermle@bfe.admin.ch), responsable du programme de recherche Bioénergie de l’OFEN communiquent des informations supplémentaires à ce sujet.
Vous trouverez plus d’articles spécialisés concernant les projets pilotes, de démonstration et les projets phares dans le domaine de la bioénergie sur www.bfe.admin.ch/ec-bioenergie.
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